Plaignant
L’Institut de
développement de la personne
Représentant du plaignant
Mme Annie
Marquier-Dumont (directrice, Institut de développement de la personne)
Mis en cause
La Presse
[Montréal] et Mme Hélène Tainturier (journaliste)
Représentant du mis en cause
M. Claude Masson
(vice-président et éditeur adjoint, La Presse [Montréal])
Résumé de la plainte
L’article «Dix
ans après Jonestown, les sectes continuent toujours à faire des ravages,
chacune à sa façon», paru dans l’édition du 13 novembre 1988 de La Presse sous
la signature de la journaliste Hélène Tainturier, porte gravement atteinte à la
réputation de la plaignante et à celle des personnes qui utilisent ses
services. Cet article et la photographie qui l’accompagne, soit celle des
cadavres retrouvés à Jonestown en 1978, associent de manière abusive tous les
groupes mentionnés dans le texte à des «sortes de Jonestown». La journaliste
accorde beaucoup d’espace au point de vue de l’organisme Projet Culte sans
présenter celui d’autres sources d’informations sur les sectes. Enfin, elle
rapporte un témoignage à propos de la plaignante sans vérifier si ce dernier
s’avère toujours fondé.
Faits
La plainte concerne
un article de la journaliste pigiste Hélène Tainturier publié le 13 novembre
1988 dans La Presse. L’article, intitulé «Dix ans après Jonestown, les sectes
continuent toujours à faire des ravages, chacune à sa façon», traite des sectes
et des groupes qui proposent des cours de croissance personnelle. L’article est
accompagné d’une photo des cadavres retrouvés à Jonestown en 1978, lieu de la
secte le Temple du peuple.
Griefs du plaignant
L’Institut de
développement de la personne (IDP) reproche à La Presse et à la journaliste
Hélène Tainturier d’avoir porté gravement atteinte à sa réputation et à celle
des personnes qui y suivent ou y ont suivi des cours, dans la façon dont ils
ont traité l’information dans cet article. La directrice de l’Institut, Mme Annie
Marquier-Dumont, formule trois reproches particuliers:
1. d’avoir par
le titre, la photo et le «lead» de l’article associé tous les groupes
mentionnés dans le reportage, dont le sien, à des «sortes de Jonestown»;
2. d’avoir
utilisé une demi-page du journal pour donner la parole à un «dénonciateur
professionnel» (la plaignante réfère ici à l’organisation Projet Culte) sur un
sujet aussi délicat et sans avoir procédé à une vérification des faits auprès
d’autres sources.
A l’appui de ce
grief, la plaignante remarque que la journaliste aurait dû vérifier qui est
Projet Culte. Elle indique que celui-ci n’est pas le seul centre de référence
sur les nouvelles religions; et signale, à titre d’exemple, que le Centre
d’information sur les nouvelles religions (CINR) et les facultés de théologie
sont des références tout indiquées pour un tel sujet;
3. d’avoir fondé
sur le témoignage d’une seule personne, ce que la plaignante estime être la
thèse de départ de la journaliste, à savoir que l’IDP ou tout autre centre de
croissance mentionné sont des sortes de Jonestown. La plaignante met en doute
la crédibilité de ce témoin en raison d’une affaire personnelle passée, et
remarque dans un texte soumis à La Presse «qu’aucune vérification sérieuse n’a
été faite sur le fonctionnement réel actuel de l’Institut».
Commentaires du mis en cause
En réponse à
cette plainte, Mme Tainturier fait les commentaires suivants sur chacun des
trois reproches de la plaignante:
1. qu’elle n’a
jamais associé les groupes mentionnés dans son article à la secte de Jonestown;
et qu’elle a pris le soin d’écrire que «[…] les sectes continuent à faire des
ravages, chacune à sa façon. Bien sûr, pareil suicide collectif ne s’est jamais
reproduit»;
– que son
article ne parle pas d’actes criminels, mais qu’il souligne plutôt que
plusieurs de ces groupes ont eu un effet psychologique et émotif négatif chez
certains membres;
– qu’une enquête
menée par la Corporation profession- nelle des psychologues du Québec auprès de
certains groupes ne contredit en rien les témoignages rapportés dans son
article;
2. qu’elle a
respecté les règles de base du journalisme concernant la vérification et la
diversification de ses sources d’information. A preuve, son article ne cite pas
que Projet Culte comme l’indique la plaignante, mais également l’organisme
Info-croissance. Elle a également recueilli des informations auprès de la
Corporation professionnelle des psychologues, de l’Association des
palin-génésistes et du Bureau d’éthique commerciale, même si, pour des raisons
d’espace, son article n’en fait pas état;
3. que la teneur
du témoignage rapporté dans son article concorde tout à fait avec celle de ses
autres sources;
– qu’elle a
interviewé neuf anciens membres de l’IDP qui ont soulevé plusieurs
interrogations, ainsi qu’un membre actif qui s’est dit tout à fait satisfait de
son expérience;
– qu’elle n’a
pas rapporté l’opinion de ce dernier car son article avait pour but de «faire
part des propos de plusieurs personnes et organismes qui pensent que ce genre de
groupe ne convient pas à tout le monde;
– que son
article ne porte pas sur l’IDP.
M. Claude
Masson, vice-président et éditeur adjoint de La Presse:
M. Masson appuie
entièrement les commentaires de la journaliste Hélène Tainturier. Il fait remarquer,
par ailleurs, que La Presse a publié les 28 novembre, 2 et 4 décembre 1988,
trois lettres de protestation concernant l’article incriminé.
Analyse
Les médias et les journalistes sont libres de leurs choix rédactionnels, tant en ce qui concerne les sujets qu’ils décident d’aborder, qu’en ce qui touche la façon de les traiter. Ils doivent, en faisant ces choix, respecter les règles en matière d’équilibre.
Situer l’information dans son contexte, faire état des points de vue pertinents, présenter et illustrer l’information de façon à respecter l’esprit et le contenu des textes, sont parmi les moyens utilisés pour livrer une information équilibrée.
Dans le cas de l’article soumis à son attention, le Conseil relève quelques manquements à l’éthique dans la manière dont l’information a été traitée:
1. Le Conseil considère qu’il y a démesure entre la présentation de l’article (titre, photo et amorce du texte) et le contenu de celui-ci. La mise en valeur qui y est faite du drame de Jonestown, a pour effet d’associer, sinon d’apparenter, l’ensemble des sectes et des groupes de croissance personnelle à des sectes de la nature de celle de Jonestown;
2. Le Conseil estime que la journaliste n’a pas suffisamment mis en contexte certains éléments contenus dans son article présenté comme un dossier sur le phénomène des sectes.
Elle aurait dû, d’une part, mieux identifier les sources d’information dont les points de vue sont présentés dans l’article, afin de permettre aux lecteurs de juger de leur crédibilité ou des limites de leur crédibilité. Elle aurait dû également situer ces sources parmi l’ensemble des intervenants s’intéressant au phénomène des sectes et des groupes de croissance personnelle.
D’autre part, la journaliste aurait dû informer les lecteurs sur ce qu’est et ce que n’est pas une secte; et situer les groupes auxquels elle réfère par rapport aux caractéristiques qui ressortent de cette définition;
3. L’article traite de la question des ravages causés par les sectes. Le Conseil estime que la journaliste aurait dû faire état d’autres points de vue concernant cette question et doser les interventions rapportées de façon à ce que celui des groupes mis en cause dans son texte soit présenté.
Le Conseil est d’avis qu’une information mieux équilibrée et située dans son contexte aurait comporté les éléments nécessaires pour permettre aux lecteurs de former leur propre jugement sur la question traitée dans l’article.
Pour ces raisons, le Conseil de presse adresse un reproche au journal et à la journaliste.
Analyse de la décision
- C12A Manque d’équilibre
- C12D Manque de contexte
- C14A Sensationnalisme/exagération/insistance indue