Plaignant
La Fraternité
des policiers de la CUM
Représentant du plaignant
M. Yves
Prud’Homme (président, Fraternité des policiers de la CUM)
Mis en cause
Le Devoir
[Montréal] et M. Jean-Claude Leclerc (éditorialiste)
Représentant du mis en cause
M. Paul-André
Comeau (rédacteur en chef, Le Devoir [Montréal])
Résumé de la plainte
L’éditorial «La
déontologie policière : Ne retardons pas davantage une réforme qui a trop
traîné», publié dans l’édition du 13 octobre 1989 du Devoir, sous la signature
de M. Jean-Claude Leclerc, renferme un passage inexact et un autre
irresponsable. Par certaines de ses affirmations, l’éditorialiste fait preuve
d’un manque de vision globale de la réalité policière au Québec.
Faits
La plainte
concerne un éditorial du Devoir relativement à la réforme de la déontologie
policière. L’éditorial, publié le 13 octobre 1989 sous la signature de
Jean-Claude Leclerc, est titré «La déontologie policière. Ne retardons pas
davantage une réforme qui a trop traîné».
Griefs du plaignant
La Fraternité
des policiers de la Communauté urbaine de Montréal (FPCUM) estime que l’ancien
éditorialiste du Devoir, M. Leclerc, a manqué à l’éthique journalistique dans
son texte; et soutient que certaines de ses affirmations démontrent un «manque
évident de vision globale de la réalité policière au Québec».
La FPCUM formule
deux griefs particuliers:
1) le passage
suivant est faux et démontre une négligence inexcusable dans la recherche
élémentaire qui aurait dû précéder la rédaction de l’éditorial:
«Les syndicats
de policiers qui redoutaient cette justice spéciale [la réforme de la
déontologie policière], n’ont pu empêcher la création de comités indépendants,
mais ont réussi à réduire la portée du nouveau tribunal en faisant exclure du
code une quinzaine de dispositions litigieuses»;
2) le passage
qui suit est irresponsable:
«Il est vrai que
dans le passé des policiers s’en sont tirés trop facilement. Ils avaient beau
jeu de faire peur aux plaignants, de détruire des preuves ou de faire semblant
d’enquêter sur leurs propres abus».
Dans une lettre
adressée à M. Jean-Claude Leclerc, le 19 octobre 1989, la FPCUM, par
l’entremise de son président, M. Yves Prud’Homme, remarque que si M. Leclerc
avait des preuves de tels méfaits, son devoir était de révéler ces méfaits; et
que la tribune mise à sa disposition devrait servir à les dénoncer sur le champ
plutôt qu’à semer le doute sur le sujet par la suite.
La FPCUM
demandait à ce que cette même lettre soit publiée, de même que rétractation et
excuses à l’endroit de ses membres. Devant le refus du Devoir, la FPCUM dépose
une plainte au Conseil de presse le 3 janvier 1990.
Commentaires du mis en cause
En réponse, M.
Paul-André Comeau, alors rédacteur en chef du Devoir, indique que le journal
maintient sa décision de ne pas publier la lettre de la FPCUM. Il signale que
la Fraternité n’est pas mise en cause dans l’éditorial, celui-ci ne faisant
mention ni allusion à cette dernière.
M. Comeau
présente également les considérations suivantes:
– «C’est un fait
de notoriété publique que divers syndicats de policiers ont multiplié les
démarches, discrètes sans doute mais réelles, en vue de bloquer, sinon de
freiner l’adoption de ce nouveau code. Affirmer que les syndicats ne
redoutaient pas cette justice spéciale, c’est exagérer un peu, beaucoup même»;
– «On cherche à
M. Leclerc un mauvais procès en lui reprochant d’avoir évoqué fautes et abus
dont se sont rendus coupables certains policiers. Il suffit de lire les comptes
rendus des travaux de la Commission de police du Québec pour s’en rendre
compte. Et si des doutes subsistent, on peut toujours relire le rapport de la
Commission Keable.
De là à vouloir
obtenir de M. Leclerc le résumé de toute cette littérature, c’est confondre histoire
et éditorial. De là à considérer que l’évocation de ces faits entendus et
« jugés » est un geste irresponsable, c’est un procédé qui s’assimile à
la réécriture de l’Histoire»;
– «Dans les
limites du genre que constitue un éditorial, M. Leclerc pose un jugement qui
fait la part des choses en é numérant les légitimes motifs de crainte des
policiers (cf. la multiplication des niveaux de procédure, la fausse querelle
entre policiers et élus municipaux)».
Analyse
L’éditorial constitue essentiellement du journalisme d’opinion. L’éditorialiste peut, à l’intérieur des limites de l’éthique journalistique, prendre position, exprimer ses critiques et faire valoir ses points de vue sur les questions et les événements de son choix.
Dans le cas soumis à son attention, le Conseil considère que l’ex-éditorialiste du Devoir, M. Jean-Claude Leclerc, n’a pas manqué à l’éthique journalistique en opinant, comme il l’a fait, dans son éditorial du 13 octobre 1989, sur le dossier de la réforme de la déontologie policière.
Le Conseil rejette les griefs formulés par la Fraternité des policiers de la CUM pour les raisons suivantes:
1) le Conseil ne retient pas l’argument de cette dernière selon lequel le passage suivant est faux: «Les syndicats de policiers, qui redoutaient cette justice sociale, n’ont pas empêché la création de comités indépendants, mais ont réussi à réduire la portée du nouveau tribunal en faisant exclure du code une quinzaine de dispositions litigieuses» (les soulignés sont de la FPCUM). Ce passage tient plutôt d’une différence d’interprétation et d’opinion en ce qui concerne la position des syndicats de policiers relativement à la réforme proposée par le ministère de la Sécurité publique;
2) l’ex-éditorialiste du Devoir était libre d’aborder les différents aspects soulevés dans son texte et d’opiner sur ceux-ci. Les choix qu’il a faits en la matière relèvent de sa prérogative rédactionnelle. Le Conseil ne saurait donc lui reprocher, à l’instar de la FPCUM, d’avoir traité dans cet éditorial de la question de certains abus de policiers.
Aucun blâme n’est donc retenu contre Le Devoir et l’ex-éditorialiste Jean-Claude Leclerc.
Analyse de la décision
- C01A Expression d’opinion