Plaignant
Le Joliette
Journal
Représentant du plaignant
M. Jean-Pierre
Malo (éditeur, Joliette Journal)
Mis en cause
Le Régional de
Lanaudière [Joliette]
Représentant du mis en cause
M. André
Lafrenière (président-directeur général, Le Régional de Lanaudière [Joliette])
et M. Pierre A. Champoux (rédacteur en chef, Le Régional de Lanaudière
[Joliette])
Résumé de la plainte
Le Régional de
Lanaudière plagie des articles du Joliette Journal, comme en témoignent les
reportages «Le dépotoir J.-G. Durand vendu», «A Saint-Michel : Enquête
ajournée», «Traverse Sorel-Saint-Ignace : Un peu plus d’utilisateurs» (25 déc.
1989) et «Saint-Charles-Borromée : Agrandir, construire, aménager» (1er janv.
1990). Trois de ces textes portent la signature de la journaliste Claudine
d’Anjou.
Griefs du plaignant
Dans sa plainte,
le Joliette Journal reproche les pratiques anti-professionnelles de
l’hebdomadaire Le Régional de Lanaudière. Selon l’ex-éditeur du journal, M. Jean-Pierre
Malo, Le Régional plagie systématiquement les articles, les reportages et les
entrevues du Joliette Journal.
A l’appui de sa
plainte, M. Malo soumet quatre articles parus dans Le Régional en décembre 1989
et janvier 1990, mis en comparaison avec cinq articles du Joliette Journal
publiés en décembre 1989. Ceux-ci concernaient la vente, en décembre 1989, du
site d’enfouissement sanitaire de Saint-Jean-de-Matha; l’enquête de la
Commission des affaires municipales sur l’administration municipale de
Saint-Michel-des-Saints; le traversier de Sorel selon le dernier rapport
d’activités de la Société des traversiers du Québec; et le programme triennal
d’immobilisations de Saint-Charles-Borromée.
M. Malo précise
que s’il n’y a pas plagiat intégral, la lecture des articles permet de
constater que les textes du Régional procèdent selon la même énumération des
faits que ceux du Joliette Journal. Il signale également que Le Régional a
reproduit dans l’un de ses articles les pourcentages calculés par le journaliste
du Joliette Journal et qu’il a cité des personnes qui n’ont été contactées que
par le Joliette Journal.
Il dit
«comprendre qu’un journaliste puise dans un autre média une nouvelle
d’importance mais encore là, la plus élémentaire courtoisie exige qu’on cite le
média où origine la nouvelle».
Commentaires du mis en cause
M. André
Lafrenière, ex-président-directeur général du Régional:
En réponse à
cette plainte, l’ex-président-directeur général du Régional de Lanaudière, M.
André Lafrenière, nie qu’il y ait eu plagiat. Il renvoie le Conseil au résumé
des faits de cette affaire rédigé par le rédacteur en chef du journal, M.
Pierre A. Champoux (voir ci-après). M. Lafrenière considère qu’il faut «placer
cet épisode dans le contexte d’une mini-guerre entre les journaux de Cogeco
dans Joliette, et la venue de leur nouveau concurrent, […] Le Régional de
Lanaudière».
M. Pierre A.
Champoux, ex-rédacteur en chef du Régional:
Après avoir fait
un relevé exhaustif de la signification du terme «plagier», M. Pierre A. Champoux,
ex-rédacteur en chef du Régional, enchaîne en soulignant que lorsqu’un journal
rend une nouvelle publique, le lecteur et le journaliste, lui aussi un lecteur,
peut y puiser des informations. Et qu’à moins que ladite nouvelle «ne soit
absolument confidentielle à un journaliste déterminé […] et qu’elle n’ait pas
été rendue publique, il ne peut y avoir plagiat, à moins d’une copie».
Pour ce qui est
des pourcentages, M. Champoux mentionne «qu’il n’y a pas seulement les
journalistes du Joliette Journal qui peuvent les établir quand il s’agit de
prendre des chiffres et de les diviser avec d’autres». En ce qui concerne les
déclarations des sources d’information, il remarque «qu’à moins qu’elles
n’aient été prononcées confidentiellement à un seul journaliste, elles sont
susceptibles d’avoir été données sur la rue ou autrement […] à notre
journaliste qui l’a inclue dans son texte comme étant une information
supplémentaire reçue d’une source qu’elle n’est pas nécessairement tenue de
dévoiler».
Dans son exposé
des faits concernant chacun des articles litigieux, M. Champoux soulève ce qui
suit, selon les cas: des informations ont été obtenues ou fournies par d’autres
sources; elles étaient déjà publiques, ayant fait l’objet de nouvelles à la
radio et étant un sujet de discussion dans la région; il n’est pas prouvé que
les informations et les déclarations des personnes impliquées dans les
nouvelles pouvaient être exclusives au Joliette Journal; que les pourcentages
rapportés dans l’un des articles ont été établis par le Joliette Journal à
partir de chiffres tirés d’un rapport officiel et que les mêmes chiffres ont
été fournis au Régional par une autre source que ledit rapport.
M. Champoux
souligne qu’une nouvelle courte, comme en publie Le Régional, doit être structurée
«en entonnoir». Présumant que les articles du Joliette Journal dont il est
question ici ont été bien faits, M. Champoux mentionne que la journaliste du
Régional, elle aussi, «a bien structuré ses textes, comme ceux du Joliette
Journal. Inévitablement donc, les textes pouvaient se ressembler. Evidemment,
ils contenaient les mêmes informations, les mêmes pourcentages, les mêmes
chiffres. Il aurait fallu mentir pour qu’ils ne contiennent pas la même chose.
Il aurait fallu mal les rédiger pour qu’ils ne ressemblent pas à ceux du
Joliette Journal. Donc le plagiat: VOLER, COPIER à autrui est absolument non
avenu surtout qu’il s’agit d’informations publiques diffusées par communiqué,
par rapport, par avis légal ou des informations qui étaient déjà de notoriété
publique lorsque Le Régional en a parlé. Rien de ces informations peut être
qualifié de renseignement absolument exclusif fait à un ou l’autre des
journalistes du Joliette Journal ou à Joliette Journal».
Réplique du plaignant
L’ex-éditeur du
Joliette Journal, M. Jean-Pierre Malo, réplique qu’il n’a pas d’autres
commentaires à faire si ce n’est pour mentionner que «la concurrence normale
entre journaux ne peut tout excuser ou tolérer, y compris le plagiat».
Analyse
Après analyse des articles mis en cause et des explications fournies par les parties, le Conseil ne peut que constater que les textes du Régional de Lanaudière sont tirés du Joliette Journal.
Non seulement tous les faits rapportés dans Le Régional sont identiques à ce que l’on pouvait lire plus tôt dans le Joliette Journal, mais encore, on n’y retrouve aucun détail nouveau qui pourrait laisser croire à un travail original du personnel du Régional de Lanaudière.
Les articles du Joliette Journal ont été repris et résumés par Le Régional. Il en va ainsi des faits et de certaines déclarations de personnes interviewées par le Joliette Journal. Le Régional a également repris des expressions se trouvant dans les textes du Joliette Journal et reproduit des calculs maisons et une faute d’orthographe.
Il s’agit ici de plagiat au sens large du terme, qui s’apparente davantage à du pillage. Cette façon de faire est non seulement malhonnête et indigne d’un organe d’information, mais surtout contraire à l’éthique professionnelle et susceptible d’induire le public en erreur. Le Conseil blâme donc Le Régional de Lanaudière pour cette pratique.
Le Conseil tient à rappeler les règles généralement admises quant à l’utilisation par un média de matériel publié ou diffusé dans un autre média.
Il va de soi qu’une fois publiée ou diffusée, une information devient publique, et n’importe qui, incluant les professionnels de l’information, peut s’y référer, en rapporter la substance et la citer. Toutefois, la forme journalistique et la structure données à cette information demeurent propriété du journal ou de la station de radio ou de télévision qui l’a diffusée. On ne peut reproduire tel quel ce qui a été publié ou diffusé sans en mentionner la provenance et obtenir le consentement du média. Le fait d’effectuer des modifications au texte original ne permet pas non plus de se l’attribuer.
Le Conseil reconnaît qu’en matière d’information le travail d’autres médias peut être utile aux journalistes. En effet, l’information rendue publique par un média sert quelquefois de point de départ au journaliste pour aller plus loin, faire un suivi, obtenir des réactions et déboucher sur d’autres perspectives, selon les cas. L’information qui résulte de ce travail s’avère en général fort différente dans sa forme, et même dans son contenu, et n’a rien du plagiat ou du pillage d’un concurrent.
Lorsqu’un média choisit de traiter d’une affaire, il a l’obligation de faire une vérification indépendante des sources et des données pertinentes. Un article paru dans un journal ou une nouvelle diffusée à la radio ou à la télévision ne dispense pas de ces devoirs. L’ignorer serait d’ailleurs s’exposer à propager des faussetés.
Il y a lieu également de signaler qu’un journaliste ne doit jamais citer, même dans un style indirect, une personne à qui il n’a pas parlé. Les déclarations de cette personne ayant été faites à un journaliste particulier, lui seul et son entreprise sont garants du contenu de l’entrevue. L’on peut toutefois faire état de ces déclarations en les attribuant au média qui les a rapportées en primeur.
En somme, les médias tant écrits qu’électroniques ont intérêt, afin de préserver leur intégrité, à attribuer l’information lorsque leurs propres journalistes n’ont encore pu en faire une vérification directe.
Analyse de la décision
- C23G Plagiat/repiquage