Plaignant
La Fraternité
des policiers de la CUM
Représentant du plaignant
M. Yves
Prud’Homme (président, Fraternité des policiers de la CUM)
Mis en cause
Le Journal de
Montréal et M. François Dowd (journaliste)
Représentant du mis en cause
M. Raymond
Tardif (rédacteur en chef, Le Journal de Montréal)
Résumé de la plainte
L’article «Un
groupe de Noirs menace de passer à l’action : « Nous n’acceptons plus que
la police nous intimide, nous brutalise et nous tue » – Rémy Mercier»,
publié sous la signature du journaliste François Dowd dans l’édition du 26
avril 1990 du Journal de Montréal, renferme des informations susceptibles de
compromettre la paix publique. Cet article rapporte que certains membres de la
communauté noire de Montréal menacent de tuer le prochain policier qui
abattrait un Noir «dans des circonstances aussi nébuleuses que celles qui ont
entouré les décès de Anthony Griffin et Presley Leslie». De telles révélations
auraient dû être transmises aux autorités compétentes avant d’être publiées.
Griefs du plaignant
La Fraternité
des policiers de la Communauté urbaine de Montréal, par l’entremise de son
président, M. Yves Prud’Homme, porte plainte contre le journaliste François Dowd
et la direction du Journal de Montréal, relativement à un article paru le 26
avril 1990 dans ce quotidien, intitulé «Un groupe de noirs menace de passer à
l’action « Nous n’accepterons plus que la police nous intimide, nous
brutalise et nous tue » Rémy Mercier» et signé par François Dowd.
M. Prud’Homme
demande au Conseil de presse de faire enquête sur le comportement du
journaliste François Dowd et de la direction du Journal de Montréal. Il se
questionne sur la pertinence de la publication des informations contenues dans
l’article et s’interroge quant à l’éthique professionnelle du journaliste et
des dirigeants du Journal de Montréal. Selon lui, les informations en cause
devaient être transmises aux autorités compétentes avant de faire l’objet d’une
publication, ces informations étant de nature à compromettre la paix publique.
L’article mis en
cause est réparti sur quatre colonnes et est coiffé d’un titre sur sept
colonnes, en page 3 du quotidien. L’auteur cite M. Rémy Mercier, le
propriétaire d’un café, qu’il donne comme étant le porte-parole de certains
membres de la communauté noire de Montréal. Les informations contenues dans
l’article sont les suivantes: – certains policiers de la CUM s’en prendraient
(harceler, intimider, brutaliser, insulter, tirer) à des membres de la
communauté noire, à cause de la couleur de leur peau; – des noirs auraient
décidé de répondre à la violence par la violence; – le policier qui sera
impliqué dans la prochaine mort violente d’un noir sera exécuté sur le champ; –
il ne s’agirait pas d’une vengeance sur la police en général, mais bien à
l’égard de celui qui commettra la prochaine bévue; – Rémy Mercier dit avoir été
frappé par des policiers, insulté et on lui aurait craché au visage.
L’article fait
aussi état d’habiletés de Rémy Mercier en karaté; il comporte deux photos avec
légendes. L’article est suivi, dans la même page, d’un autre article intitulé
«Un Blanc qui approuve cette décision».
Commentaires du mis en cause
Le Journal de
Montréal, sous les signatures de MM. Raymond Tardif et François Dowd,
respectivement rédacteur en chef et journaliste au quotidien, opine que la
plainte déposée est large et ne précise pas ses reproches.
MM. Tardif et
Dowd font valoir que Le Journal de Montréal n’a jamais voulu compromettre la
paix sociale en publiant l’article contenant les commentaires de Rémy Mercier.
Selon eux, il était d’intérêt public de publier l’entrevue, notamment à la
suite des dossiers Leslie Presley et Anthony Griffin, deux noirs abattus par
des policiers. Ils font leur le commentaire de M. Pierre Schneider, publié le
27 avril 1990 dans le même quotidien, selon qui la publication des déclarations
fracassantes de Mercier a désamorcé une « bombe qui était prête à
exploser ».
MM. Tardif et
Dowd arguent par ailleurs que tous les médias auraient suivi Le Journal de
Montréal dans cette affaire et que M. Mercier aurait répété ses déclarations à
plusieurs émissions de radio et de télévision. Ils écrivent, en outre, que la
police de la CUM aurait affirmé prendre très au sérieux les déclarations de
Mercier, tout comme Le Journal de Montréal et son journaliste François Dowd.
MM. Tardif et Dowd s’emploient à contredire la FPCUM et affirment que le
quotidien et son journaliste François Dowd n’ont pas compromis la paix sociale
et n’ont pas manqué à l’éthique professionnelle mais ont plutôt témoigné d’une
réalité, d’un problème vécu. A leur avis, il y eu communication d’une «vérité
qui a pu choquer les policiers, mais que le public avait droit de savoir […]
que certains meneurs noirs aux dossiers criminels chargés, dont Rémy Mercier,
menaçait (sic) les policiers et faisaient preuve d’intimidation envers eux à la
suite des décès de Presley et Griffin».
Le Journal de
Montréal, par son rédacteur en chef et son journaliste François Dowd conclut
que la plainte de la FPCUM n’est pas fondée.
Réplique du plaignant
Invité le 14
septembre 1990 à répliquer aux commentaires des défendeurs, le plaignant, M.
Yves Prud’Homme, président de la Fraternité des policiers et policières de la
CUM, a confirmé qu’il souhaitait que le Conseil de presse procède dans le
présent dossier sans requérir autre démarche de sa part.
Auparavant, soit
le 24 mai 1990, dans une lettre adressée au Conseil de presse M. Prud’Homme
écrivait que le caractère particulier de l’événement, de nature à compromettre
la paix sociale, nécessitait une enquête sérieuse par le Conseil, de manière à
éviter la répétition de tels incidents, ce qu’une rétractation ou une lettre
d’excuse ne pourrait engendrer. Il joignait alors à sa lettre la copie de
l’article de M. Pierre Schneider, adjoint au directeur de l’information au
quotidien, intitulé «La vérité a ses droits […] même si ça choque!» M.
Prud’Homme écrivait que cet article, paru le 27 avril 1990, démontrait l’état
d’esprit des dirigeants du quotidien dans cette affaire. Dans cet article, M.
Schneider argue que la colère, et la violence contenue de groupes marginaux et
criminalisés, comme ceux décrits par Le Journal de Montréal, auraient continué
à se gonfler de haine si eux, du quotidien, avaient persisté à y faire la
sourde oreille, à l’ignorer. Pierre Schneider conclut son article en affirmant
que ce sont toujours des extrémistes, surtout quand ils sont criminalisés, qui
peuvent mettre en danger la paix sociale.
Analyse
Le Conseil doit examiner si le journaliste a eu raison en rédigeant l’article intitulé «Un groupe de noirs menace de passer à l’action […]» et le quotidien aussi en publiant les informations contenues dans cet article, plutôt que de transmettre au préalable ces informations à la police.
Selon le Conseil de presse le public a droit à une information factuelle, complète et rigoureuse qui lui permette de porter des jugements éclairés sur la société qui l’entoure. Par ailleurs, toujours selon le Conseil, dans les cas où la confidentialité n’est pas un enjeu, l’ingérence de la police dans le travail des journalistes entretient une confusion des rôles entre un journalisme au service de l’information du public et un journalisme au service de la police ou de la justice.
La liberté de recueillir et de diffuser l’information est largement tributaire de la confiance qui existe entre le journaliste et les acteurs de l’information. Lorsqu’on détourne les services de l’information au profit de l’appareil policier et de l’appareil judiciaire, c’est en définitive le droit du public à une information complète et diversifiée qui est touché.
Dans cette optique, le Conseil de presse ne peut convenir avec le plaignant que les informations contenues dans l’article de François Dowd auraient dû être transmises aux autorités policières, parce qu’un tel comportement aurait eu pour effet de jeter la confusion sur le rôle de la presse. Le Conseil considère même que le devoir du journaliste était de recueillir des informations et de les transmettre au public et non pas de les recueillir et de les transmettre à la police, d’autant plus que les menaces contenues dans ses informations ne comportaient pas un caractère d’urgence publique et ne touchaient pas une personne en particulier.
En outre, dans la situation, il apparaît au Conseil que les informations transmises au public l’ont été de bonne foi, afin d’attirer l’attention sur des sentiments de haine à l’égard d’un groupe identifiable (en l’occurrence des policiers de la CUM), afin de prévenir éventuellement les problèmes résultant de tensions raciales. Par ailleurs, le Conseil est d’avis qu’il aurait été plus prudent de la part du journaliste de mieux situer l’auteur des menaces, afin de permettre au public d’en mesurer l’ampleur et le sérieux.
Pour un journaliste, documenter et rédiger une nouvelle et pour une entreprise de presse, la publier ou la diffuser sont des questions de jugement. Il leur appartient d’évaluer si les informations qu’ils savent par ailleurs exactes, peuvent être dites, en en mesurant toutes les conséquences.
Le journaliste Dowd et le Journal de Montréal devaient informer le public. Le rôle des journalistes n’a pas ici été confondu avec celui de la police et il n’y a pas eu ici d’autocensure contraire à l’esprit de la profession journalistique ni manquement à l’éthique professionnelle.
Le Conseil rejette donc la plainte de la Fraternité contre le journaliste François Dowd et Le Journal de Montréal.
Analyse de la décision
- C23N Refus de collaboration avec la police