Plaignant
Le Centre
populaire de documentation de l’Estrie
Représentant du plaignant
M. Alain Poirier
(représentant, Centre populaire de documentation de l’Estrie)
Mis en cause
CHLT-TV [TVA,
Sherbrooke] et M. Marcel Gagnon (journaliste)
Représentant du mis en cause
M. André
Larocque (directeur de l’information, CHLT-TV [TVA, Sherbrooke])
Résumé de la plainte
Les 30 avril et
2 mai 1990, dans le cadre de son bulletin de nouvelles régionales, la station
CHLT-TV diffuse deux reportages du journaliste Marcel Gagnon au sujet de
l’ouverture d’un lave-auto érotique à Granby. En plus d’accorder un traitement
promotionnel à cette information, les reportages en question exploitent le corps
de la femme, puisque certaines séquences montrent une femme nue ou demie-nue
lavant des voitures.
Griefs du plaignant
Le Centre
populaire de documentation de l’Estrie se plaint de deux reportages diffusés le
30 avril et le 2 mai 1990 au bulletin de nouvelles régionales de la station de
télévision CHLT-Télé 7. Ces reportages portaient sur un lave-auto érotique à
Granby.
Le plaignant, M.
Alain Poirier, au nom du Centre populaire de documentation de l’Estrie, reproche
à la station et à son journaliste Marcel Gagnon l’approche utilisée pour
informer le public de l’existence de ce commerce, cette approche s’apparentant
davantage à de la promotion qu’à de l’information. Il en veut pour preuve
l’étalage de détails depuis la localisation exacte de l’établissement jusqu’aux
prix d’un lavage d’auto, avec ou sans sous-vêtements, sans oublier de préciser
que le commerce était en période de recrutement.
L’utilisation du
corps féminin dans les deux reportages et dans les médias en général lui pose
également problème.
Le Centre des
femmes des Cantons et Entr’Elles Granby Inc. appuient la plainte de M. Poirier,
estimant notamment «qu’un journaliste ne doit jamais faire la promotion
d’activités avilissantes pour qui que ce soit, y compris les femmes».
Commentaires du mis en cause
La direction du
service de l’information de CHLT-TV considère que cette plainte est non fondée
et que les reportages mis en cause dans celle-ci ne constituent nullement de la
subordination de l’information à la publicité.
La station
indique que le reportage visait à mettre en évidence l’existence d’un lave-auto
à vocation érotique dans la région et à soulever une réalité sociale. D’où la
divulgation de détails «essentiels à la compréhension du phénomène social» et
qui ne faisaient que répondre aux questions qui sont à la base même du
journalisme: quoi, qui, comment, où et pourquoi.
L’information
selon laquelle le lave-auto érotique était en pleine période de recrutement
visait à faire comprendre que l’entreprise s’était installée dans la région
avec l’intention ferme d’y rester et à démontrer que l’achalandage au lave-auto
commandait l’embauche de nouveaux employés. Dans le second reportage,
l’entrevue avec une employée voulait mettre en évidence le «détachement et la
mentalité» avec lesquels celle-ci exerçait ses fonctions.
Quant au grief
du plaignant concernant l’utilisation du corps de la femme dans les médias, la
station fait remarquer qu’il «est question dans cette démarche journalistique
de l’utilisation du corps de la femme en général davantage que de l’utilisation
du corps féminin dans les médias».
Enfin, le
directeur de l’information signale que ces reportages ont été «l’élément
déclencheur d’une importante contestation» dont le lave-auto érotique a été l’objet.
La station a fait écho à ce mouvement dans des reportages ultérieurs.
Analyse
La nouvelle est un genre journalistique destiné à informer le public sur les événements et l’actualité. Son traitement consiste non seulement à rapporter les faits pertinents, mais à situer ceux-ci dans leur contexte de manière à fournir au public les éléments nécessaires à la compréhension et à la relativisation des faits qui sont présentés.
Dans le cas présent, le Conseil reproche à CHLT-TV et au journaliste Marcel Gagnon d’avoir manqué de distance critique dans la façon dont ils ont traité la nouvelle d’un lave-auto érotique à Granby dans les reportages des 30 avril et 2 mai 1990.
Ces reportages s’attardent essentiellement au service offert dans ce commerce ainsi qu’au point de vue d’une jeune femme sur la nature de son travail. Le contexte dans lequel s’insère cette nouvelle, telles les réactions du milieu et les diverses implications de la présence de cette entreprise à Granby, n’y est pas traité.
Quoique des reportages concernant ces aspects aient été diffusés ultérieurement après que les reportages litigieux se soient avérés, selon la station, «l’élément déclencheur d’une importante contestation» à l’encontre du lave-auto érotique, le Conseil estime que les défendeurs auraient dû se préoccuper du contexte de cette nouvelle dès le moment où il a été décidé d’en traiter. Il s’agit ici de livrer au public une information qui lui permette de se former une opinion en toute connaissance de cause sur le sujet traité ou l’événement rapporté.
Le Conseil considère, par ailleurs, que l’angle choisi et le traitement accordé au sujet confèrent un caractère davantage promotionnel à ces deux reportages. La perspective dans laquelle l’information est présentée relève davantage de l’optique du client d’un tel service que de l’approche journalistique. Le Conseil rappelle que les professionnels de l’information doivent éviter de faire de la publicité indirecte ou d’en donner l’impression dans la manière dont ils traitent l’information.
Le Conseil déplore enfin l’insistance dans ces reportages sur les scènes montrant une femme nue ou demi-nue lavant une voiture. Quoiqu’il était légitime de présenter de telles scènes dans le contexte de la nouvelle, le Conseil considère que le nombre de séquences (près de la moitié) et le temps consacrés à celles-ci (près du tiers de la durée des reportages) n’étaient pas justifiés. Une telle attention n’était aucunement essentielle à la compréhension des faits et constituait une certaine forme d’exploitation du corps de la femme.
Le Conseil rappelle ici l’importance pour les médias et les journalistes de tenir compte de l’évolution de la société et des mentalités dans le traitement journalistique des phénomènes sociaux, tel l’exploitation du corps de la femme à des fins lucratives.
Analyse de la décision
- C12D Manque de contexte
- C18C Préjugés/stéréotypes
- C21C Traitement à caractère promotionnel