Plaignant
Municipalité
régionale de comté de Manicouagan
Représentant du plaignant
M. Georges-Henri
Gagnon (préfet, Municipalité régionale de comté de Manicouagan)
Mis en cause
CBSI-FM [SRC,
Sept-Iles] et Radio Côte-Nord [Baie-Comeau]
Représentant du mis en cause
M. Pierre
Lafrenière (directeur, CBSI-FM [SRC, Sept-Iles]), M. Camille St-Pierre
(directeur général, Radio Côte-Nord [Baie-Comeau]) et Mme Sandra Morin
(directrice de l’information, Radio Côte-Nord [Baie-Comeau])
Résumé de la plainte
La Société
Radio-Canada de Sept-Iles et Radio Côte-Nord ne respectent pas l’embargo
décrété par la plaignante sur le contenu d’une entente de règlement hors cours
entre la coalition Solidarité environnement Manicouagan et le Gouvernement du
Québec. Ladite entente porte sur l’entreposage à Manic II des BPC en provenance
de Saint-Basile-Le-Grand.
Faits
– Le 8 août 1990,
lors d’une session régulière du conseil de la MRC de Manicouagan, une copie de
l’entente a été remise par erreur aux journalistes, celle-ci ayant été insérée
par inadvertance dans les pochettes d’information destinées à la presse. Cette
Griefs du plaignant
La MRC de
Manicouagan considère que Radio-Canada Côte-Nord et Radio Côte-Nord ont fait
preuve d’un «manque évident de professionnalisme» en ne respectant pas
l’embargo qu’elle avait demandé, même si ces médias n’étaient pas tenus
légalement de respecter cet embargo.
La MRC explique
qu’elle se devait de décréter un embargo car son partenaire dans le dossier de
l’entreposage des BPC, le gouvernement du Québec, lui avait demandé de ne pas
diffuser le contenu de l’entente hors cours avant qu’il ne le fasse.
La MRC souligne
qu’il appartient à l’intervenant qui crée l’événement de juger de l’opportunité
de demander ou non un embargo, que celui-ci soit demandé au préalable, sur
pré-avis, ou lors de la tenue d’une réunion. Elle reconnaît que la population
était en droit d’être informée de cette entente, mais selon la convenance du
gouvernement.
Selon la MRC, en
ne respectant pas un embargo, surtout s’il est formellement demandé, la presse
perd sa crédibilité et détruit sa relation de confiance avec ses sources
d’information. Par suite de cet événement, la MRC dit agir avec plus de
prudence dans ses relations avec les médias. A ce titre, et afin qu’aucun
document ne soit transmis par erreur, la MRC a décidé de ne plus remettre au
préalable les documents d’information aux journalistes pour les assemblées
publiques, sauf l’ordre du jour des sessions. Elle ajoute que les journalistes
reçoivent toutes les réponses à leurs questions après les séances, ainsi que
les documents s’ils en font la demande.
Commentaires du mis en cause
En réponse à
cette plainte, M. Robert Maltais, alors directeur de Radio-Canada Côte-Nord,
soulève les points suivants:
– la MRC de Manicouagan,
invoquant une erreur de transmission de documents, a décrété un embargo sans
préavis aux médias. La question suivante se pose: «un organisme public comme la
municipalité régionale de Manicouagan peut-il légitimement décréter un embargo
partiel au cours d’une réunion à laquelle ont été préalablement conviés les
médias?»;
– les motifs
invoqués par la MRC pour cet embargo apparaissent tout à fait discutables. La
diffusion de la nouvelle litigieuse ne mettait aucunement en péril l’entente
hors cours. Cette diffusion ne pouvait que porter ombrage à un membre du
gouvernement qui s’en réservait l’annonce, ce qui fut fait deux semaines plus
tard à l’Assemblée nationale;
– la population
«n’avait-elle pas pleinement le droit d’être informée d’une décision prise par
différents pouvoirs publics; une décision qui n’était pas sans avoir d’impact
sur la qualité de son environnement et de vie?»
Le directeur
général de Radio Côte-Nord, M. Camille St-Pierre, estime que Mme Sandra Morin,
alors directrice de l’information, a effectué son travail de façon
professionnelle, «précisant comme sa consoeur de Radio-Canada, qu’elle ne
pouvait garder sous silence une décision de la MRC de Manicouagan».
Sans porter de jugement
éditorial sur la décision de Mme Morin de diffuser cette nouvelle, M. St-Pierre
remarque qu’une «réflexion logique» s’impose, à savoir que «les assemblées
publiques d’organismes, tels la MRC et les conseils municipaux, ont justement
pour but de rendre publiques les décisions prises lors des divers comités
desdites corporations».
Mme Sandra Morin
se demande pour sa part pourquoi la MRC de Manicouagan s’en prend à la presse.
Elle indique à cet égard que le préfet de la MRC, M. Georges-Henri Gagné, avait
dit aux journalistes, selon le journaliste de Radio Côte-Nord ayant couvert
l’assemblée du 8 août 1990, «Faites ce que vous voulez avec l’embargo, nous on
le met pour se protéger».
Mme Morin trouve
regrettable l’attitude de la MRC dans cette affaire, d’autant plus que le
dévoilement de l’entente hors cours n’a eu aucune conséquence.
Elle souligne
enfin que l’embargo n’ayant pas été respecté par un média, en l’occurrence
Radio-Canada Côte-Nord, les autres médias étaient encore moins tenus de le
respecter.
Analyse
L’embargo est un délai réclamé par les sources d’information dans le but de retenir la publication d’une information transmise à l’avance jusqu’à une date et une heure données. Dans la pratique courante de l’information, l’embargo revêt différentes formes:
– le huis-clos (lock-up) où les journalistes acceptent d’être enfermés dans une salle sans contact avec l’extérieur pour prendre connaissance d’un dossier avant qu’il ne soit rendu public;
– l’embargo qu’un journaliste ou un média a accepté ou négocié avec un informateur dans le but, notamment, d’approfondir sa connaissance d’un dossier au préalable;
– l’embargo réclamé par les informateurs auprès des médias, pour divers motifs, sans qu’il y ait engagement formel de la part de ces derniers.
Dans les deux premiers cas, les professionnels de l’information sont tenus de respecter ces embargos puisqu’ils se sont formellement engagés à cet égard. En ne respectant pas de tels engagements, ils risquent d’altérer la confiance de leurs sources d’information et de porter atteinte à l’intégrité de la presse. On ne peut toutefois pas empêcher la divulgation d’une information sous embargo si les médias et les journalistes la tiennent d’autres sources, ou si elle est révélée au public par suite d’une fuite, d’une erreur ou d’un accident.
Dans le troisième cas, la politique des organes d’information peut varier quant au respect des embargos réclamés par les sources d’information. Les embargos demandés ne sont pas toujours justifiés du point de vue de l’intérêt public. Aussi, ce qui doit présider dans la décision des médias de tenir compte ou non d’un embargo est d’abord et avant tout l’intérêt public.
Dans le cas qui nous occupe, l’embargo a été décrété par la MRC de Manicouagan à la suite d’une erreur de transmission de documents, une copie de l’entente hors cours ayant été insérée par inadvertance dans les pochettes d’information destinées aux journalistes. La MRC de Manicouagan, l’une des parties à cette entente, invoquait alors le fait qu’elle avait convenu, en acceptant les conditions de ce règlement, de laisser le soin au Gouvernement d’en rendre public le contenu.
Après étude du dossier, le Conseil ne retient pas la plainte de la MRC de Manicouagan à l’encontre de Radio-Canada Côte-Nord et de Radio Côte-Nord. Le Conseil ne considère pas que ces derniers ont manqué à l’éthique professionnelle en diffusant cette information, pour les raisons suivantes:
– les journalistes concernés ne se sont pas engagés formellement à respecter l’embargo;
– l’information mise en cause était d’intérêt public;
– sa diffusion au lendemain de la session du conseil de la MRC de Manicouagan ne desservait pas l’intérêt public et ne portait pas à conséquence pour l’entente;
– l’existence de ce règlement hors cours a été discuté publiquement dans la mesure où celui-ci faisait l’objet d’un point à l’ordre du jour de la session publique du conseil de la MRC en vue d’en autoriser la signature.
Dans ces circonstances, Radio-Canada Côte-Nord et Radio Côte-Nord n’avaient pas à respecter l’embargo décrété par la MRC de Manicouagan.
Par ailleurs, le Conseil tient à signaler que la MRC de Manicouagan ne devrait pas pénaliser les médias et les journalistes, et conséquemment le public, en cessant, par suite d’une erreur de sa part, de mettre à la disposition de la presse en début de réunion les documents pertinents.
Analyse de la décision
- C06A Accès à l’information
- C23A Violation d’un embargo