Plaignant
M. Michel
Pallascio (président, Commission des écoles catholiques de Montréal [CECM]), Mme
Anne-Marie Legault, M. Laurent Portugais (directeur général, Commission des
écoles catholiques de Montréal [CECM]) et Mme Martine Lafleur (directrice du
service des communications, Commission des écoles catholiques de Montréal
[CECM])
Mis en cause
L’Actualité
[Montréal] et Mme Dominique Demers (journaliste)
Représentant du mis en cause
M. Jean Paré
(rédacteur en chef, L’Actualité [Montréal])
Résumé de la plainte
Le reportage «La
CECM est-elle de bonne foi?», publié sous la signature de la journaliste
Dominique Demers dans l’édition de septembre 1990 de L’Actualité, s’avère
mensonger et partial. Alors qu’il devait constituer un portrait du président de
la Commission des écoles catholiques de Montréal (CECM), ce texte représente
plutôt une charge dirigée contre lui et la commission scolaire, constituée
d’informations inexactes, d’accusations mensongères et de propos mal cités ou
cités hors contexte. De plus, la journaliste porte atteinte à la réputation de
la directrice du Service des communications de la CECM par une affirmation qui
ne ne s’appuie sur aucune preuve.
Faits
La plainte fait
suite à la parution d’un article sur la Commission des écoles catholiques de
Montréal et son président d’alors, M. Michel Pallascio. L’article, intitulé «La
CECM est-elle de bonne foi?» a été publié dans l’édition de septembre 1990 de
L’Actualité sous la signature de la journaliste Dominique Demers.
Six personnes
ont déposé plainte: M. Michel Pallascio, alors président de la CECM, Mme
Anne-Marie Legault, épouse de M. Pallascio, M. Laurent Portugais, alors directeur
général de la CECM, Mme Martine Lafleur, directrice du Service des
communications de la CECM, M. André Houle, alors président de l’Association des
directions d’école de Montréal et Mme Gérardine Bissonnette, alors présidente
du Comité central de parents. Ces deux dernières personnes ont cependant retiré
leur plainte.
Griefs du plaignant
Les plaignants
dénoncent cet article comme étant mensonger et partial, et son auteure comme
étant de mauvaise foi.
M. Michel
Pallascio, alors président de la CECM:
Selon M.
Pallascio, cet article porte des accusations fausses et mensongères à l’endroit
de la CECM:
– Il précise
d’abord que l’article «établit une relation de cause à effet entre le fait que
la CECM soit catholique et le rendement des élèves». Or, indique-t-il, «c’est
parce que la CECM accueille la majorité des immigrants du Québec et qu’elle
compte sur son territoire la plus grande partie des populations défavorisées du
Québec que ses résultats scolaires sont faibles»;
– Il indique
ensuite que l’article affirme que «Les immigrants sentent qu’hors du
catholicisme il n’y a point de salut. C’est pour ça que tant d’allophones
choisissent le secteur protestant». M. Pallascio fait alors remarquer que «la
CECM a, dans ses écoles, plus de 20 000 immigrants qui ne sont pas de foi
catholique et jamais un élève ou un parent n’a porté plainte parce qu’on
l’aurait contraint dans sa foi».
En deuxième
lieu, M. Pallascio indique que selon l’entente avec la journaliste, l’article
devait tracer un portrait du président de la CECM. Selon M. Pallascio, il ne
s’agit pas ici d’un portrait mais «d’une charge où quelques faits isolés sont
cités hors contexte»:
– Selon M.
Pallascio, l’article établit un lien direct entre l’Association des parents
catholiques et l’administration de la CECM parce que l’Association loue des
locaux de la CECM. Il estime que c’est prendre là un «raccourci qui biaise la
réalité»;
– Egalement, M.
Pallascio considère qu’affirmer à son sujet que «de l’éducation, il ne
connaissait que la vision de sa mère», c’est affirmer sans preuve et trahir la
réalité.
Enfin, M.
Pallascio considère que l’article porte atteinte à sa personne en affirmant
qu’il est «colérique, intransigeant […], ambitieux, calculateur, affamé de
pouvoir, soucieux de son image».
Mme Anne-Marie
Legault:
Pour sa part,
Mme Legault estime que cet article, «qui devait être un portrait de mon mari»,
est une caricature méchante et malhonnête, remplie d’informations erronées et
citées hors contexte». Elle indique, par ailleurs, que la journaliste a abusé
de sa confiance et dénaturé les informations qu’elle lui a transmises de bonne
foi.
Quoiqu’elle
n’ait pas été citée textuellement, Mme Legault donne comme exemple que
l’existence de son petit neveu vietnamien a été mentionnée «en laissant entendre
qu’on voulait l’utiliser à des fins électorales». Elle voit là un exemple
«évident de l’utilisation d’informations personnelles afin d’en proposer une
interprétation gratuite, abjecte et odieuse». Mme Legault dit être révoltée
devant «ce tissu de mensonges, de procès d’intention et d’allusions déplacées».
M. Laurent
Portugais, alors directeur général de la CECM:
Dans une lettre
adressée à M. Jean Paré, M. Portugais écrit que l’article est injuste envers la
CECM et, exemples à l’appui, qu’il contient des propos qu’il n’a jamais
prononcés.
Il fait par
ailleurs valoir que «L’article pose la question de la bonne foi de la C.E.C.M.
alors qu’il ne décrit nullement les réalisations pédagogiques de l’organisme. Ne
peut-on pas douter de la bonne foi d’un journaliste qui parle de la C.E.C.M.
sans dire quoi que ce soit de sa mission fondamentale?».
Il considère
enfin que Mme Demers fausse la réalité en affirmant que la CECM fait passer la
religion avant la langue. Il signale que «le mot d’ordre de l’année (à la CECM)
«Réussir en français» fait précisément porter les efforts collectifs sur
l’amélioration et la valorisation du français». Il rappelle à cet égard la
controverse politique du printemps 1990 sur l’obligation de parler français
dans les écoles de la CECM.
Mme Martine
Lafleur, directrice du Service des communications de la CECM:
Mme Lafleur s’en
prend à une affirmation de la journaliste dans l’article: «Aujourd’hui Martine
Lafleur filtre tous les appels, donne les informations au compte-gouttes et
accueille les journalistes comme des espions.» Elle considère cette affirmation
comme étant une atteinte à son intégrité professionnelle et un jugement de
valeur qui ne s’appuie sur aucune preuve.
Commentaires du mis en cause
Mme Demers
réplique qu’aucun des plaignants n’a contesté son article sur le fond, mais
qu’on lui reproche plutôt de «citer hors contexte ou de ne pas apporter
suffisamment de nuances». Elle indique cependant que «tous ces porte-parole ont
été clairement avertis: je travaillais à un portrait d’une dizaine de pages et
je comptais interviewer au moins une vingtaine de personnes. Les entrevues de
deux heures devaient forcément être réduites à quelques lignes». Elle ajoute
que cette façon de travailler, si elle peut être parfois frustrante pour les
personnes interviewées, permet un portrait plus nuancé de la réalité; et qu’un
portrait, comme un reportage, n’est pas un procès-verbal.
Mme Demers
signale par ailleurs, exemples à l’appui, qu’elle a dû faire face aux
désistements, aux consignes du silence, à l’avalanche de déclarations
«off-record», aux refus d’entrevue lors de sa recherche pour cet article.
M. Jean Paré,
rédacteur en chef, L’Actualité:
Pour sa part, M.
Paré dit s’étonner d’avoir à justifier l’article de Mme Demers, cette dernière
ayant «produit un dossier bourré de faits, certains connus, d’autres nouveaux»;
et signale que L’Actualité n’a pas eu un seul démenti sur les faits.
M. Paré fait
remarquer que la CECM est catholique et que ce mandat soulève depuis longtemps
des problèmes, «en particulier celui de la liberté d’une population en majorité
non pratiquante, et plus spécifiquement de l’intégration d’immigrants venant de
pays qui pratiquent la séparation de l’Eglise et de l’Etat».
Il indique que
«Si parti pris il y a dans cet article, c’est en faveur de commissions
scolaires linguistiques ou neutres. Notre position est claire et nous y avons
droit. Au surplus, c’est la position de tous les médias depuis 30 ans», et
depuis quelques temps, d’autres instances (gouvernement, évêques, etc.).
M. Paré ajoute
que d’autres médias ont publié des articles, plus acerbes encore, sur la CECM,
et dit croire que l’article de Mme Demers n’était pas plus critique, envers M.
Pallascio, que d’autres articles de L’Actualité ne l’ont été envers le maire
Jean Doré, le ministre John Ciaccia et la Sûreté du Québec.
Il signale enfin
que toutes les personnes concernées par l’article, et M. Pallascio lui-même,
ont eu l’occasion de faire valoir leur point de vue; et qu’un large éventail
d’experts, de leaders politiques, religieux et intellectuels ont été cités. Il
ajoute que L’Actualité a même publié des «mises au point» de certaines des
personnes concernées, «même si elle ne faisaient au fond que confirmer ce
qu’elles nous avaient déclaré».
Analyse
L’information communiquée au public fait nécessairement l’objet de choix rédactionnels et d’un traitement journalistique. Cependant, les médias et les journalistes doivent effectuer ces choix dans un esprit d’équité et avec le souci de transmettre une information conforme aux faits et équilibrée, présentant des opinions diverses, voire même divergentes, qui sont pertinentes à la question abordée, d’autant plus s’il s’agit d’une question suscitant la controverse.
Dans le cas présent, de l’avis du Conseil, plutôt que de présenter un dossier fouillé et équilibré, présentant les enjeux et les divers aspects pertinents du sujet traité, l’article fait état de nombreuses décisions et de nombreux gestes de la C.E.C.M. qui ont été l’objet de critique, sans qu’apparaissent, sur ces points, les explications du président d’alors, M. Michel Pallascio, ou des autres intéressés.
Or, dans un contexte de campagne électorale – d’ailleurs évoqué dès le début de l’article – la nécessité de ces explications devenait encore plus évidente. Le Conseil estime que L’Actualité et la journaliste Dominique Demers, en négligeant d’inclure les explications des personnes mises en cause sur les nombreux points sujets à controverse contenues dans l’article, et en négligeant d’étayer par des faits les qualificatifs dont on affuble M. Pallascio, ont publié une information partiale et incomplète, ne permettant pas au public lecteur de se faire une opinion éclairée sur le sujet. L’équité et le «franc jeu» commandaient un portrait plus équilibré des enjeux et des forces en présence. A défaut de pouvoir fournir ces informations, l’auteure se devait d’expliquer pourquoi: consigne du silence, entrevues refusées, etc…
Pour ces raisons, le Conseil adresse un reproche à L’Actualité et à la journaliste Dominique Demers.
Analyse de la décision
- C12A Manque d’équilibre