Plaignant
ACT UP/Montréal
Représentant du plaignant
M. François Dion
(représentant, ACT UP/Montréal)
Mis en cause
The Gazette
[Montréal] et M. Nicholas Regush (journaliste)
Représentant du mis en cause
M. Robert Walker
(rédacteur-gérant adjoint et ombudsman, The Gazette [Montréal])
Résumé de la plainte
The Gazette
véhicule des préjugés sur les sidéens et des faussetés sur le sida en publiant,
dans son édition du 22 janvier 1991, l’article «Ordinary people have little to
fear» du journaliste Nicholas Regush. Ce texte discriminatoire et homophobe
rapporte le point de vue d’un universitaire amÉricain au sujet de la recherche
sur cette maladie.
Faits
La plainte concerne
un article de Nicholas Regush sur le sida intitulé: «Ordinary people have
little to fear», paru dans le journal The Gazette, le 22 janvier 1991.
Cet article
rapporte le point de vue d’un universitaire amÉricain qui soutient que la
recherche sur le sida, en se concentrant sur le VIH (virus d’immuno-déficience
humaine) à l’exclusion d’autres causes ou co-facteurs possibles tels la
malnutrition, l’utilisation chronique d’antibiotiques, etc., a contribué à ce
que les organismes de santé ne demandent pas aux médecins de fournir des
informations sur les styles de vie et l’histoire médicale de leurs patients,
desquelles pourraient se dégager d’autres facteurs pouvant être la cause de
l’affaiblissement du système immunitaire.
Griefs du plaignant
M. François Dion,
représentant de ACT UP/Montréal (AIDS Coalition To Unleash Power), reproche à
l’article de M. Regush d’être discriminatoire et homophobe, et de publier des
informations qui véhiculent des préjugés sur les sidéens et des faussetés sur
la maladie.
Selon M. Dion,
Nicholas Regush et The Gazette répandent l’idée fausse que les hétérosexuels,
qui ne font pas partie des groupes à risque, n’ont rien à craindre dans la
crise du sida: «son insistance sur les « groupes à risque » et non sur
les moyens de transmission du VIH laisse entendre que les gens
« ordinaires » ont très peu de chance de développer le sida».
En insistant sur
les groupes à risque plutôt que sur les comportements à risque, M. Dion estime
que l’article de M. Regush donne une image négative des personnes qui font
partie de ces groupes, diminue l’importance du sida chez les femmes et
contribue à donner «une image négative des homosexuels, des femmes, des
néo-québécois qui ont développé le sida».
M. Dion
considère que l’utilisation du terme «groupes à risque» «stigmatise des groupes
(homosexuels, Noirs, utilisateurs de drogues intraveineuses…) dans des
modèles de comportements clichés, généralisés et truffés de préjugés».
Enfin, M. Dion
juge que l’information véhiculée dans cet article est partielle et partiale:
«Nous n’acceptons pas que de l’information partielle et partiale permettent à
la population de se faire une idée fausse sur une crise…».
Commentaires du mis en cause
M. Robert
Walker, rédacteur gérant adjoint et ombudsman, rappelle d’abord qu’à la suite
d’une demande de rectification de ACT UP/Montréal, il a traité de l’article de
Nicholas Regush dans sa chronique du 18 février 1991, laquelle n’a pas réussi à
répondre aux objections de ACT UP/Montréal.
M. Walker croit
qu’une partie du problème provient du fait que les scientifiques et les
médecins utilisent l’appellation «groupes à risque» pour décrire les couches de
la société qui sont le plus en danger d’être atteintes. Il ajoute que les
journaux utilisent ce terme parce que les chercheurs l’utilisent.
M. Walker
considère que ce terme n’a aucune signification péjorative et ne porte aucun
jugement; il ne fait que démontrer «que les statistiques illustrent que la
grande majorité des personnes atteintes du sida ou qui sont séropositives en Amérique
du Nord ont été des homosexuels de sexe masculin» et que «les chercheurs
croient donc que selon la probabilité statistique, les homosexuels
nord-amÉricains demeurent un « groupe à risque »».
M. Walker
explique que les journaux ne peuvent citer des données qui n’existent pas:
«ainsi nous ne pouvons pas dire, par exemple, que les femmes hétérosexuelles
sont un groupe à risque».
Il admet que le
titre de l’article aurait pu être mieux choisi, ce qu’il a reconnu dans sa
chronique du 18 février. Il soulignait alors que The Gazette aurait dû utiliser
«un titre qui parlait plutôt de «safe behaviour» puisque l’article de M. Regush
était très clair: les pratiques sexuelles sécuritaires réduisent le risque de
contracter le sida pour toute la population, qu’elle soit hétérosexuelle ou
homosexuelle».
M. Walker
mentionne que les journaux reçoivent des plaintes semblables de groupes comme
ACT UP/Montréal lorsqu’ils font état de ce que déclarent les scientifiques:
«les représentants de ces groupes accusent habituellement les scientifiques et
les journaux d’être homophobes et de faire preuve de discrimination». Il estime
qu’une partie de cette réaction provient du fait que ces groupes de pression
ont un ordre du jour politique.
Analyse
Le choix des informations et la manière de les traiter relèvent de la liberté rédactionnelle des médias et des journalistes. Dans le cas étudié ici, il est clair à la lecture de l’article que le journaliste Nicholas Regush rend compte des conclusions d’un universitaire amÉricain sur la recherche sur le sida. Il ne prétend pas faire état des positions de l’ensemble de la communauté scientifique qui s’intéresse à cette maladie. En ce sens, Nicholas Regush et The Gazette étaient libres de traiter ce sujet sous cet angle et de rapporter les conclusions du professeur Robert Root-Bernstein. Le Conseil ne peut donc blâmer le journaliste pour l’avoir fait.
En ce qui concerne les termes et les expressions contestés par ACT UP, le Conseil ne peut conclure que l’article de M. Regush est discriminatoire et homophobe pour avoir rapporté les propos et les termes utilisés par le professeur Root-Bernstein, et notamment l’expression «groupe à risque», expression employée fréquemment dans la recherche scientifique.
Cependant, le Conseil estime que le titre « »Ordinary » people have little to fear» était susceptible de laisser entendre que les «gens ordinaires» ont peu à craindre du sida, et il le déplore. Le Conseil note toutefois avec satisfaction que l’ombudsman du journal The Gazette, dans sa chronique du 18 février 1991, a reconnu et porté à l’attention des lecteurs que ce titre aurait pu être mieux choisi et qu’il aurait dû parler de «safe behaviour» (pratiques sécuritaires).
Analyse de la décision
- C03C Sélection des faits rapportés
- C11F Titre/présentation de l’information
- C18C Préjugés/stéréotypes