Plaignant
M. Jean-Marc
Ferland (ex-conseiller municipal, Joliette) et M. Michel Bellehumeur
(ex-procureur, Joliette)
Mis en cause
Le Régional
[Joliette] et M. Christian Morissonneau (journaliste)
Représentant du mis en cause
M. Alain
Vaillancourt (ex-éditeur et directeur, Le Régional [Joliette])
Résumé de la plainte
Dans des
reportages parus les 15 et 22 avril 1991, le journaliste Christian Morissonneau
du Régional de Joliette rapporte des informations erronées au sujet d’une
polémique entourant le projet résidentiel de Berthier-en-Haut, ce qui porte
préjudice aux plaignants. Le premier reportage, intitulé «Le conflit continue à
Berthier : Des poursuites contre Bellehumeur et Ferland», relate l’historique
de cette polémique. Le second reportage, intitulé «Dossier Berthier-en-Haut :
Bellehumeur: pas encore de poursuites : St-Martin confirme», fait état de la
mise en demeure adressée au journal à la suite de la parution du premier
reportage. Le Régional se place en situation de conflit d’intérêts en faisant
paraître une publicité de l’entrepreneur concerné dans la même édition que le
premier texte.
Faits
La plainte
concerne deux articles parus les 15 et 22 avril 1991 dans le journal Le
Régional, sous la signature du journaliste Christian Morissonneau, ainsi que
les manchettes de la page une qui renvoient à ces articles.
Le journal
titrait l’article du 15 avril «Le conflit continue à Berthier: Des poursuites contre
Bellehumeur et Ferland» et, la manchette en page une «Dossier Berthier-en-Haut:
Des poursuites engagées». Cet article relate l’historique, entre 1988 et le
moment de publication de cet article, du «conflit» ayant entouré un projet
résidentiel de Berthier-en-Haut. Ce «conflit» impliquait, entre autres, le
procureur de la ville, des conseillers municipaux, un entrepreneur en
construction, un comité de citoyens, etc. Les plaignants dans le présent
dossier, MM. Jean-Marc Ferland et Michel Bellehumeur, étaient respectivement, à
cette époque, conseiller municipal et procureur de la ville. Après avoir
démissionné de son poste de procureur de la ville en mars 90, M. Bellehumeur a
animé le comité de citoyens susmentionné.
Deux jours après
la publication de cet article, le 17 avril 1991, MM. Ferland et Bellehumeur
mettent en demeure le journal et son journaliste de se rétracter et de
rectifier les faits. Dans un avis préalable à l’action, ils dénoncent le «titre
tendancieux» de l’article, précisant qu’aucune procédure judiciaire n’était
engagée contre eux. L’article rapportait que M. André St-Martin, entrepreneur
en construction, annonçait son intention d’intenter une action judiciaire
contre MM. Ferland et Bellehumeur. Les plaignants y dénoncent également le «contenu
fautif» de l’article relativement à l’historique du projet résidentiel de
Berthier-en-Haut.
Le deuxième
article, publié le 22 avril, s’intitulait: «Dossier Berthier-en-Haut.
Bellehumeur: pas encore de poursuites, St-Martin confirme» et, la manchette de
la page une: «Dossier Berthier-en-Haut: Bellehumeur répond à ses détracteurs».
Cet article précise qu’aucune procédure judiciaire n’a encore été engagée
contre MM. Ferland et Bellehumeur. Il rapporte égalements certains éléments de
la mise en demeure que les plaignants ont signifiée au journal et à son
journaliste le 17 avril.
Griefs du plaignant
Les plaignants,
MM. Jean-Marc Ferland et Michel Bellehumeur, précisent que leur plainte se
fonde sur le manque de rigueur professionnelle, sur la partialité et l’inexactitude
de l’information et sur le conflit d’intérêts. Ils soutiennent que le journal
Le Régional et le journaliste Christian Morissonneau ont véhiculé de fausses
informations qui ont joué à leur détriment.
Concernant le
premier article, ils affirment que le journaliste n’a fait aucune vérification
puisque, disent-ils, si des vérifications avaient été faites, cet article ne
serait pas «aussi défectueux au niveau de l’historique de l’affaire». Quant aux
titres publiés en page une et à la page A-3, MM. Ferland et Bellehumeur
considèrent qu’ils ne sont pas révélateurs de la substance de l’article, sont
sensationnalistes et sont «un véhicule de préjugés et de partis pris».
Ils signalent
par ailleurs qu’aucune procédure judiciaire n’était prise contre eux au moment
de la publication de cet article. De plus, ils attirent l’attention sur
l’utilisation erronée du terme «poursuite». Ils font observer que ce terme, en
plus de donner une connotation négative, a été utilisé improprement puisqu’il
est question d’une cause en matière civile et non pénale.
Concernant le
deuxième article publié le 22 avril, MM. Ferland et Bellehumeur se plaignent à
nouveau de la mauvaise utilisation du terme «poursuite». Ils notent également
qu’aucune correction n’a été apportée pour corriger les erreurs contenues dans
l’article du 15 avril. Enfin, ils contestent le titre de la page une qu’ils
considèrent mensonger: «Dossier Berthier-en-Haut: Bellehumeur répond à ses
détracteurs». Ils affirment que M. Bellehumeur n’a pas parlé de ce dossier lors
d’un appel téléphonique du journaliste avant la publication du deuxième
article, et font remarquer qu’une fois l’avis préalable à l’action signifié,
ils avaient la consigne de ne pas discuter de l’affaire avec la partie adverse.
Par ailleurs, les
plaignants voient un conflit d’intérêts dans le fait qu’une publicité de
l’entrepreneur St-Martin, touchant le développement résidentiel, se retrouve
dans la même édition que le premier article de Christian Morissonneau. MM.
Ferland et Bellehumeur font remarquer que cette publicité n’apparaît dans
aucune autre édition du journal.
Commentaires du mis en cause
Selon M.
Morissonneau, le titre du 15 avril n’est pas tendancieux et ne montre ni
préjugés ni parti pris, puisque la procédure judiciaire intentée par M. Saint-Martin
est effectivement parvenue à MM. Bellehumeur et Ferland quelques jours plus
tard.
Il affirme ne
pas avoir de préjugés contre M. Bellehumeur et souligne que, quelques semaines
plus tôt, il lui a accordé une entrevue, lui laissant «toute la place, avec ses
mots, à son interprétation de la vie politique de Berthier» dans un article
«avec titre et photo en page frontispice», précise le journaliste.
M. Morissonneau
rejette l’accusation relevée dans l’avis préalable voulant que des erreurs
aient été délibérément inscrites dans son article pour ternir la réputation de
MM. Bellehumeur et Ferland. Il rejette également l’accusation de conflit
d’intérêts.
En ce qui
concerne les informations que les plaignants relèvent comme étant fausses dans
l’article du 15 avril, le journaliste voit là une bonne part d’interprétation
de la part de M. Bellehumeur. Il ajoute que les informations de faits et les
statistiques ont été recueillies auprès des personnes concernées.
M. Alain
Vaillancourt, ex-éditeur et directeur:
M. Vaillancourt
estime que la plainte de MM. Ferland et Bellehumeur à l’égard de son journal et
du journaliste Christian Morissonneau est parfaitement injustifiée.
M. Vaillancourt explique
que, à la suite de la plainte écrite portée à son attention par les plaignants,
il a demandé au journaliste Christian Morissonneau sa version des faits. Après
quoi, dit-il, en sa présence, M. Morissonneau a communiqué avec les plaignants
pour les inviter à présenter leur version. M. Vaillancourt rapporte que M.
Bellehumeur a carrément refusé de répondre à ses détracteurs par
l’intermédiaire de son journal. Par souci d’équité, précise-t-il, «nous avons
tout de même publié le point de vue que M. Bellehumeur avait fait valoir au
téléphone, avec un titre en première page représentant exactement le même
espace que celui décrié par les plaignants».
M. Vaillancourt
dit pouvoir affirmer, après avoir fait d’autres vérifications que, contrairement
à ce qu’affirment MM. Ferland et Bellehumeur dans leur lettre de plainte, des
procédures ont bel et bien été prises contre eux.
D’autre part, M.
Vaillancourt trouve mesquine l’insinuation voulant que le journaliste ait pu
être influencé par la publication, dans son journal, d’une publicité de
l’entrepreneur St-Martin. Il affirme que le journaliste ignorait que cette
publicité apparaîtrait dans Le Régional.
Comme les
plaignants ont refusé de répondre à l’article du 15 avril qu’ils contestent, M.
Vaillancourt souligne qu’il a tenté de donner l’image la plus juste et la plus
fidèle possible de la réalité des faits en publiant l’article du 22 avril. Il
croit donc que son journal a parfaitement respecté le code d’éthique et que la
plainte de MM. Ferland et Bellehumeur est non fondée.
Analyse
Le choix et le traitement d’un sujet particulier relèvent du jugement rédactionnel des médias et des journalistes, lesquels ont le devoir de livrer une information conforme aux faits. Ils doivent, pour ce faire, prendre tous les moyens appropriés à leur disposition pour s’assurer de la véracité des faits rapportés de sorte que le public ne soit pas induit en erreur sur l’ampleur et la nature de ceux-ci. Ils doivent éviter de donner aux faits et aux événements une signification qu’ils n’ont pas ou de laisser planer des malentendus qui risquent de discréditer gratuitement les personnes mises en cause dans leurs écrits.
Dans le cas présent, le Conseil n’est pas en mesure de statuer sur les griefs des plaignants concernant les informations rapportées dans l’article du 15 avril eu égard à l’historique du développement résidentiel de Berthier-en-Haut. La complexité et la durée de ce dossier exigeraient des ressources dont le Conseil ne dispose pas pour effectuer les vérifications nécessaires concernant les nombreux points soulevés par les plaignants.
Le Conseil déplore cependant que les titres de l’article du 15 avril étaient inexacts. En effet, ceux-ci laissent entendre qu’une action a été prise contre MM. Ferland et Bellehumeur alors qu’aucune procédure judiciaire n’était engagée contre eux au moment de la publication de cet article. Le Conseil note toutefois que cette information a été corrigée dans l’édition du 22 avril.
Par ailleurs, le Conseil reconnaît que l’utilisation du mot «poursuite», dans le contexte de l’affaire rapportée, pouvait porter à confusion. Cependant, l’usage veut que ce terme soit utilisé tant au civil qu’au criminel, aussi bien dans les milieux journalistiques que judiciaires.
D’autre part, le Conseil déplore la manchette du 22 avril: «Dossier Berthier en Haut : Bellehumeur répond à ses détracteurs». Le Conseil estime que cette manchette laissait entendre que M. Bellehumeur répondait à ses détracteurs alors que l’article ne rendait compte que de certains éléments relevés dans la mise en demeure des plaignants eu égard à l’historique du projet de développement résidentiel. Rien n’indique dans cette mise en demeure que ces derniers avaient pour but, en la signifiant au journal, de «répondre à leurs détracteurs». Les plaignants sommaient plutôt le journal et son journaliste de se rétracter et de rétablir les faits qu’ils considéraient fautifs dans l’article du 15 avril.
Enfin, le Conseil ne saurait reprocher au journal d’être en conflit d’intérêts sur la seule base d’avoir publié une publicité de l’entrepreneur St-Martin dans la même édition que l’article traitant d’un dossier dans lequel il était impliqué. Le Conseil rejette donc ce grief de MM. Ferland et Bellehumeur.
Analyse de la décision
- C11B Information inexacte
- C11F Titre/présentation de l’information
- C11H Terme/expression impropre
- C22C Intérêts financiers