Plaignant
Redressements
financiers Michel Ste-Marie et Associés
Représentant du plaignant
M. Bernard Ratelle
(comptable agréé, Redressements financiers Michel Ste-Marie et Associés)
Mis en cause
The Gazette
[Montréal], M. Andrew McIntosh, M. William Marsden et M. Rod MacDonell
(journalistes)
Représentant du mis en cause
M. Robert Walker
(rédacteur-gérant adjoint et ombudsman, The Gazette [Montréal])
Résumé de la plainte
Dans leur article
«Bankruptcy consultants prey on debt-ridden Quebecers», publié le 25 avril 1992
par The Gazette, les journalistes Andrew McIntosh, William Marsden et Rod
MacDonell dénoncent les pratiques de consultants en règlement de faillites en
portant atteinte à la réputation des personnes concernées. Les journalistes
rapportent des informations inexactes et omettent certains faits. Ils
choisissent d’ignorer les informations transmises par le plaignant, pour s’en
tenir à une version biaisée de la situation.
Faits
La plainte
concerne un article signé par les journalistes Andrew McIntosh, William Marsden
et Rod MacDonell, paru dans le quotidien The Gazette le 25 avril 1991. Cet
article, titré en première page «Bankruptcy consultants prey on debt-ridden
Quebecers», et en page A8 pour la suite «Business booming for consultants as
bankrupties soar», dénonce les pratiques de certains consultants en règlement
de faillites, dont le bureau Redressements financiers Michel Ste-Marie 1/4
Associés.
Griefs du plaignant
La firme Redressements
financiers Michel Ste-Marie et Associés, par l’intermédiaire de M. Bernard
Ratelle, estime que cet article véhicule de «très graves inexactitudes et
omissions que nous attribuons à une faute professionnelle et un manquement à
l’éthique des journalistes en cause». Selon M. Ratelle, un certain nombre
d’erreurs portent gravement atteinte à la profession et aux personnes citées,
dans la mesure où sont relatés et exposés des faits – juridiques et techniques
– éloignés de la réalité.
M. Ratelle
conteste particulièrement les éléments suivants, lesquels sont exposés selon
les intitulés de la partie plaignante:
1. Affaire
François Tremblay:
M. Ratelle
conteste la véracité de deux passages de l’article. Il indique qu’il est faux
d’affirmer que M. Michel Ste-Marie a conseillé à M. François Tremblay de
transférer les titres de propriété de son chalet à sa mère. Il est également
faux de rapporter que c’est la banque, plutôt que le séquestre officiel attitré
à un autre syndic, qui a soumis cette affaire à la Gendarmerie royale du
Canada.
2. Encouragement
à la faillite:
M. Ratelle
indique qu’il est faux d’écrire que «les bureaux de redressements financiers ne
peuvent servir de « middlemen » (intermédiaires) pour permettre aux
syndics de contourner la loi qui interdit de solliciter en vue d’encourager à
la faillite». Il signale que dans les faits, les gens qui font faillite
représentent moins de 25% des clients de M. Michel Ste-Marie.
3. Affaire
Jean-Claude Marchoux:
Relatant les
faits concernant l’achat et la revente rapide d’une propriété d’un client de M.
Ste-Marie, M. Jean-Claude Marchoux, M. Ratelle indique que contrairement aux
allégations de l’article, «c’est en toute légalité que les transactions furent
exécutées, à la connaissance même d’un juge de la Cour du Québec».
4. Honoraires
professionnels:
M. Ratelle
reproche aux auteurs de l’article d’avoir écrit que les consultants financiers
chargent de 175 $ à 3000 $ pour leurs services. Sur cette question, M. Ratelle
fait valoir qu’une vérification des opérations courantes de Redressements
financiers Michel Ste-Marie et Associés «démontre que la moyenne et la médiane
de (ses) honoraires sont toutes deux inférieures à 500 $, sans parler des
nombreuses consultations gratuites qui font partie des risques de cette
occupation».
5. Justification
professionnelle:
M. Ratelle
indique que contrairement aux allégations de l’article selon lesquelles les
consultants financiers ont fait des millions au cours des cinq dernières années
en «dupliquant» le travail des syndics, «notre travail vise essentiellement à
défendre les intérêts de nos clients contre les méthodes abusives de certains
créanciers, un rôle que la Loi ne permet pas au syndic d’exercer. Alors que le
syndic est exclusivement préoccupé par les intérêts des créanciers, nos
interventions visent non pas à contourner mais à exploiter les nuances permises
par la Loi à la personne en difficulté financière».
6. Enquête
gouvernementale:
M. Ratelle conteste
ici le passage de l’article rapportant que le gouvernement, après que The
Gazette ait porté les conclusions de son enquête à l’attention de l’instance
gouvernementale concernée (federal superintendent of bankruptcy), a créé un
comité d’enquête sur la conduite des affaires des consultants financiers pour
vérifier les possibles violations de la loi et de l’éthique. M. Ratelle, qui
considère que cette affirmation vise à accréditer le contenu de l’article et à
dorer le blason du journal, indique que cette décision n’est pas
gouvernementale mais administrative, et qu’elle datait de trois jours avant
l’intervention des journalistes.
7. Nécessités de
vie:
M. Ratelle s’en
prend ici à un passage de l’article rapportant que des personnes, une fois libérées
de leurs dettes par une déclaration de faillite, découvrent qu’elles doivent
rembourser les dettes qu’elles ont contractées pour des biens de base tels que
des vêtements. A ce sujet, M. Ratelle indique que tous les clients de
Redressements financiers Ste-Marie et Associés sont informés adéquatement de
leurs droits et de leurs responsabilités lorsqu’ils déclarent faillite.
M. Ratelle
souligne que toutes les informations apportées au soutien de sa plainte ont été
transmises aux journalistes concernés, mais que ces derniers «ont
intentionnellement choisi de les ignorer pour s’en tenir à une version biaisée,
voire fausse».
En conclusion,
M. Ratelle estime que les journalistes Andrew McIntosh, William Marsden et Rod
McDonell «ont gravement manqué à leur obligation professionnelle envers le
droit du public à une information juste et honnête, en sacrifiant la vérité
pour privilégier une nouvelle à sensation servant essentiellement un objectif
de ventes mercantiles de copies de journal».
Commentaires du mis en cause
En réponse à
cette plainte, M. J.R. Walker, rédacteur gérant adjoint et ombudsman du journal
The Gazette, signale d’abord que certains éléments soulevés par le plaignant
«s’avèrent des démentis de choses que The Gazette n’a jamais dites». Quant aux
autres passages de l’article contestés par le plaignant, ceux-ci s’appuient sur
des informations obtenues des différentes personnes interrogées. D’autres
viennent en désaccord avec les interprétations du plaignant sur des aspects
techniques et juridiques.
M. Walker
souligne par ailleurs que Redressements financiers Michel Ste-Marie et Associés
ont déjà été condamnés à payer une amende de 16 000$, le 9 septembre 1991,
«pour le genre d’activités décrit dans l’article publié dans The Gazette du 25
avril (1991)»; et que cette compagnie, de même que M. Ratelle sont en instance
de jugement sur 12 autres accusations selon la loi fédérale sur les faillites.
En conclusion,
le journal The Gazette ne reconnaît pas les griefs portés à l’encontre des
journalistes Andrew McIntosh, William Marsden et Rod MacDonell. Il souligne
qu’il n’y a donc pas lieu de porter à la connaissance des lecteurs aucune forme
d’errata ou autres clarifications puisque «l’équité et l’exactitude du contenu
rédactionnel (du) journal» ne peuvent être remises en cause.
Analyse
Les médias et les journalistes doivent livrer au public une information complète et conforme aux faits et aux événements. Ils doivent donc s’entourer de toute la rigueur intellectuelle et professionnelle nécessaire afin de garantir une information de qualité, synonyme d’exactitude, de précision, d’intégrité, et de respect des personnes, des événements et du public.
Dans le cas présent, il y a d’abord lieu de souligner que le sujet de l’article mis en cause par le plaignant – les pratiques de certains consultants en redressements financiers pour le règlement de faillites – revêt sans contredit un caractère d’intérêt public.
Après étude des éléments contestés par le plaignant, le Conseil conclut ce qui suit:
1. Affaire François Tremblay:
Le Conseil ne retient pas les griefs du plaignant concernant les deux passages de l’article qu’il considère fautifs relativement à cette affaire. Concernant le premier passage, le journal n’affirme pas que M. Michel Ste-Marie a conseillé à M. François Tremblay de transférer les titres de propriété de son chalet à sa mère, mais rapporte plutôt que c’est ce que M. Tremblay a déclaré devant un tribunal. Concernant le deuxième passage, le journal n’affirme pas que c’est la banque qui a soumis l’affaire à la Gendarmerie royale, mais bien le syndic, comme le soutient le plaignant.
2. Encouragement à la faillite:
L’article n’indique pas, comme le soutient le plaignant, que les consultants en redressements financiers peuvent servir d’intermédiaires entre les clients et les syndics pour ce qui est des faillites. L’article rapporte plutôt que certains consultants travaillent de près avec un ou deux syndics, et sollicitent des gens en vue de les inciter à déclarer faillite.
3. Affaire Jean-Claude Marchoux:
Le Conseil constate ici que les journalistes rapportent des faits sur la transaction d’une propriété de M. Jean-Claude Marchoux en en notant la nature irrégulière, sans toutefois la qualifier de légale ou d’illégale. En regard de quoi, le Conseil ne retient pas le grief formulé par le plaignant.
4. Honoraires professionnels:
Le passage de l’article indiquant que les consultants font payer à leurs clients de 175 $ à 3000 $ pour les services rendus (lesquels sont décrits plus haut dans l’article), ne vient pas en contradiction avec l’argument du plaignant selon lequel la médiane des honoraires est inférieure à 500 $.
5. Justification professionnelle:
Le Conseil ne retient pas le grief du plaignant qui conteste l’affirmation du journal selon laquelle les consultants en redressements financiers font de gros profits, essentiellement en «dupliquant» le travail des syndics. Le Conseil estime qu’il s’agit ici d’une question d’interprétation et d’opinion sur le rôle respectif de ces intervenants.
6.Enquete gouvernementale:
Devant les versions contradictoires des parties, le Conseil ne peut statuer sur le grief du plaignant qui conteste l’affirmation du journal selon laquelle le gouvernement a décidé de former un comité d’enquête sur les manquements à l’éthique et les activités illégales de consultants en redressements financiers à la suite des informations portées à leur attention par The Gazette.
7. Nécessités de vie:
Compte tenu du plaidoyer de culpabilité du plaignant et de M. Michel Ste-Marie (9 septembre 1991) sur cette question, le Conseil ne retient pas le grief du plaignant à l’encontre de l’affirmation du journal selon laquelle certaines personnes, une fois qu’elles ont déclaré faillite, découvrent – parce qu’on ne les auraient pas informées adéquatement de leurs droits et de leurs responsabilités – qu’elles sont dans l’obligation de payer les montants qu’elles doivent pour des biens de base (dettes dont elles ne sont pas libérées par une déclaration de faillite).
En conclusion, et sur la base des informations dont il dispose dans le présent dossier, le Conseil rejette la plainte de M. Bernard Ratelle à l’endroit du quotidien The Gazette et des journalistes Andrew McIntosh, William Marsden et Rod MacDonell pour le traitement qu’ils ont accordé à la question des pratiques de certains consultants en règlement de faillite.
Analyse de la décision
- C11B Information inexacte