Plaignant
Mme Lise Payette
(auteure), M. Richard Martin (réalisateur) et Avanti Cinévidéo Inc.
Mis en cause
Le Devoir
[Montréal] et Mme Nathalie Petrowski (ex-journaliste)
Résumé de la plainte
Dans l’édition
du 3 avril 1991 du Devoir, la journaliste Nathalie Petrowski signe, sous le
titre «Victor Lévy-Beaulieu accuse Lise Payette de l’avoir piraté», un article
qui traite d’une polémique entre ces auteurs au sujet de la série «Montréal,
ville ouverte». Le journal et la journaliste dérogent à l’éthique, en ne
vérifiant pas faits auprès des plaignants; en accordant foi à des propos
susceptibles de porter atteinte à leur réputation; et en utilisant un titre de
nature à porter préjudice à Mme Payette. La rétractation publiée le 10 avril
s’avère insuffisante.
Faits
La plainte
concerne un article de Mme Nathalie Petrowski, alors journaliste au Devoir,
publié à la une de ce journal le 3 avril 1991.
L’article,
intitulé «Victor Lévy-Beaulieu accuse Lise Payette de l’avoir piraté», rapporte
que Victor Lévy-Beaulieu est «furieux» contre Lise Payette, qui, selon lui, «a
manqué d’éthique» et «a joué dans ses plates-bandes» en acceptant d’écrire la
série Montréal, ville ouverte pour Télé-Métropole, alors qu’il écrivait
lui-même une série sur le même milieu et la même époque.
Mme Petrowski
relate que la petite histoire veut que Victor Lévy-Beaulieu ait proposé son projet
à Radio-Canada, qu’il a signé un contrat et qu’il a approché le réalisateur
Richard Martin. Ce dernier aurait manifesté un vif intérêt, mais se serait
désisté «sous prétexte» qu’il n’arrivait pas à s’entendre avec Radio-Canada.
Elle poursuit en
indiquant que l’on apprenait la semaine précédente que la série de Lise Payette
serait réalisée par le même Richard Martin. Elle écrit: «De là à conclure à une
entreprise de piratage, il n’y aurait qu’un pas. Victor Lévy-Beaulieu ne le
franchit qu’à moitié», suivi du commentaire de M. Lévy-Beaulieu: «Si on vivait
dans un autre genre de société, ironise-t-il, je l’accuserais d’espionnage
industriel, mais comme on est au Québec, je me tais».
Après avoir
relaté la chronologie des demandes financières à Téléfilm Canada pour le projet
de Lise Payette, Mme Petrowski rapporte que le projet de Victor Lévy-Beaulieu
n’est pas menacé, mais que ce dernier reste furieux «à l’idée que ce qu’il
considère comme son idée ait traversé la rue jusqu’à Télé-Métropole».
Griefs du plaignant
Mme Lise
Payette, le réalisateur Richard Martin et le producteur Avanti Cinévidéo inc.,
considèrent que Mme Petrowski et Le Devoir ont manqué à l’éthique
professionnelle. Ils leur reprochent de n’avoir procédé à aucune vérification
des faits auprès d’eux avant de publier cet article; d’avoir accordé foi à des
propos susceptibles de leur causer un préjudice irréparable alors que de
nombreux faits connus leur permettaient de douter de leur véracité; et d’avoir
coiffé l’article d’un titre de nature à porter préjudice à Mme Payette.
Les plaignants
mentionnent que Le Devoir a publié une rétractation le 10 avril 1991. Ils
estiment toutefois que ce correctif demeure insatisfaisant compte tenu que «Le
Devoir savait que les accusations portées étaient de nature à causer préjudice
à la réputation des personnes en cause».
Après avoir pris
connaissance de la réponse de M. Descôteaux et de Mme Petrowski (voir
ci-après), les plaignants disent constater que cette dernière ne s’est jamais
associée à la rétractation publiée par Le Devoir.
Ils considèrent
qu’elle fait preuve, dans sa réponse, d’une «consternante mauvaise foi». Ils
rejettent nombre des arguments qu’elle y énonce, et considèrent important
«qu’une attitude comme celle manifestée par Mme Petrowski tout au long de cette
affaire, et réitérée dans sa lettre de réponse, fasse l’objet d’un blâme du
Conseil».
Commentaires du mis en cause
M. Bernard
Descôteaux, rédacteur en chef du Devoir:
M. Descôteaux
souligne que ce qu’il faut retenir dans ce dossier, c’est que Le Devoir a
publié le 10 avril 1991, à la une, une mise au point concernant cette affaire.
Il relate qu’à
la suite de l’article du 3 avril, les plaignants ont mis Le Devoir en demeure
de se rétracter. Et qu’après discussions et négociations entre le journal et
les plaignants, Le Devoir a convenu de publier cette mise au point.
M. Descôteaux
considère que cette plainte est non avenue: «Des excuses ont été présentées et
les plaignants ont eu satisfaction. Que veut-on de plus?» Il estime que le
Conseil de presse devrait rejeter cette plainte et même refuser de l’étudier.
Mme Petrowski
estime pour sa part, que cette plainte est «d’autant plus injustifiée que les
plaignants ont obtenu gain de cause avec la publication d’une rétractation à la
une du Devoir […], tel qu’ils l’avaient exigé». Elle ajoute qu’elle n’aurait
jamais donné suite à cette requête, tant elle considère leurs accusations
gratuites et sans fondement.
En réponse aux
griefs des plaignants, Mme Petrowski indique qu’elle a rapporté fidèlement les
propos de Victor Lévy-Beaulieu, un des plus grands écrivains du Québec, qui n’a
pas, à ce qu’elle sache, l’habitude d’accuser les gens inutilement. Elle ajoute
que c’est sur la foi de la crédibilité de M. Lévy-Beaulieu qu’elle a rapporté
ses propos, comme elle l’aurait fait pour n’importe quel personnage public, y
compris Mme Payette.
Elle explique
que l’article litigieux est né d’une conversation téléphonique avec M.
Lévy-Beaulieu après la parution d’un texte qu’elle avait signé, le 22 mars
1991, au sujet de la conférence de presse convoquée par les plaignants «pour
annoncer la mise en chantier du projet « Montréal, ville ouverte »».
Rappellant qu’elle a alors rapporté les commentaires de Mme Payette concernant
le projet de M. Lévy-Beaulieu, Mme Petrowski explique, que dans son esprit, la
version de Mme Payette a été bel et bien publiée avant celle de M.
Lévy-Beaulieu. C’est pourquoi elle n’a pas senti le besoin de lui soumettre les
déclarations de ce dernier avant la publication de l’article du 3 avril.
Mme Petrowski
remarque par ailleurs qu’il est faux de prétendre qu’elle n’a vérifié aucun
fait, des vérifications ayant été faites (et rapportées) auprès de Radio-Canada
et de Téléfilm Canada. Des informations recueillies concordaient avec celles
énoncées par M. Lévy-Beaulieu, notamment concernant certaines dates eu égard
aux projets et dont la coïncidence inquiéta ce dernier et l’amena à faire ses
déclarations.
Mme Petrowski ne
croit pas avoir manqué d’éthique professionnelle envers les plaignants. Elle ajoute
qu’elle n’a peut-être pas fait les vérifications qu’ils souhaitaient, mais
qu’elle a fait celles qui lui semblaient les meilleures et les plus
rigoureuses.
Dans la mise au
point publiée le 10 avril 1991, Le Devoir reconnaît que les affirmations de M.
Lévy-Beaulieu n’ont pas été vérifiées auprès des personnes qu’elles mettaient
en cause et que cette situation «a pu créer auprès de ces personnes de graves
inconvénients et donner aux lecteurs du Devoir l’impression que celles-ci
auraient participé à « une opération de piratage », selon les
affirmations de Victor Lévy-Beaulieu». Le Devoir rétablit ensuite les faits
concernant les projets de M. Lévy-Beaulieu et de Mme Payette, et termine en
disant regretter les conséquences que cette situation a pu avoir auprès des
plaignants.
Analyse
Après étude de la plainte dont les motifs sont exposés plus haut, et de la mise au point publiée par Le Devoir, le Conseil estime que le journal a rétabli les faits de façon satisfaisante dans les circonstances, d’autant plus que cette rectification a été publiée, à la même page, en page A-1, que la parution de l’article litigieux.
Considérant que Le Devoir s’est acquitté de ses responsabilités en rétablissant les faits auprès de ses lecteurs et en tentant ainsi de remédier rapidement aux torts qu’il aurait pu causer aux plaignants, le Conseil n’entend pas adresser de blâme au journal et à la journaliste. Il y a lieu de souligner ici qu’une rétractation publiée par la direction d’un journal tient lieu également d’une rétractation pour son ou sa journaliste, même si elle n’en porte pas sa signature.
Analyse de la décision
- C19B Rectification insatisfaisante