Plaignant
M. Alfred Victor
(auteur)
Mis en cause
La Presse
[Montréal] et Mme Lucie Côté (critique)
Représentant du mis en cause
M. Claude Masson
(vice-président et éditeur adjoint, La Presse [Montréal])
Résumé de la plainte
Dans la critique
qu’elle signe dans l’édition du 25 novembre 1990 de La Presse, la journaliste
Lucie Côté présente le plaignant comme un «novice aux cheveux blancs», alors
que ses activités littéraires remontent à de nombreuses années. De plus, cette
critique contient des inexactitudes qui dénaturent le contenu de son roman.
Faits
La plainte
concerne une critique littéraire publiée le 25 novembre 1990 dans le cahier
«Livres» du journal La Presse. L’article, titré «Deux novices aux cheveux
blancs» (à la première page du cahier), et «… et si tous les novices avaient
des cheveux blancs!» (à la deuxième page pour la suite du texte) présente deux
romans et leurs auteurs.
Mme Lucie Côté, qui
signe cette critique, présente M. Alfred Victor, le plaignant dans le présent
dossier, comme l’auteur du roman «Le chemin interdit», publié chez VLB, et Mme
Simone Grenier-Bibeau, auteure du roman «Une histoire personnelle» et gagnante
du concours littéraire «La Plume d’argent», réservé aux apprentis écrivains de
60 ans et plus.
Griefs du plaignant
Dans un premier
temps, M. Victor reproche et trouve insultant que Mme Côté et La Presse l’aient
présenté comme étant un novice dans le domaine de la littérature, alors que ses
activités littéraires remontent à de nombreuses années.
M. Victor
explique qu’il est né en Roumanie où il a passé la première partie de sa vie et
qu’il a exercé une activité intense dans la vie culturelle de ce pays à titre
de journaliste, de critique littéraire, d’écrivain, d’essayiste, de traducteur
et de co-propriétaire d’une maison d’édition. Il fait observer que depuis son
arrivée à Montréal, en 1956, il n’a jamais cessé ses activités littéraires,
ayant accumulé un vaste matériel depuis 35 ans. La seule innovation, dit-il, «a
été, en me trouvant au Québec d’écrire directement en français le roman
« Le chemin interdit »». Il précise qu’il a écrit ce roman il y a une
quinzaine d’années et que s’il ne l’a pas publié avant, c’était pour éviter que
des personnes encore vivantes s’y reconnaissent.
M. Victor estime
que Mme Côté a agi de façon non professionnelle en ne le questionnant pas sur
son passé littéraire comme l’a fait le critique littéraire d’un autre journal.
Il estime, de plus, qu’en traitant de son roman et de celui de Mme
Grenier-Bibeau dans un même article, la journaliste a conclu un peu trop
rapidement qu’il était un novice dans le domaine littéraire.
Dans un deuxième
temps, M. Victor considère que l’article de Mme Côté contient des inexactitudes
qui dénaturent le contenu de son roman, et donne cinq exemples à l’appui.
M. Victor
précise enfin qu’il a fait parvenir deux lettres recommandées au responsable du
cahier «Livres» de La Presse, les 5 décembre 1990 et 31 mars 1991, afin d’obtenir
une rectification. Comme il n’a pas obtenu satisfaction, il demande au Conseil
de presse de se prononcer sur le professionnalisme du travail de la journaliste
Lucie Côté.
Commentaires du mis en cause
Mme Lucie Côté,
journaliste-collaboratrice:
Mme Côté souligne
que le titre qui fait référence à l’âge de M. Victor se voulait plutôt
sympathique et admiratif. Elle estime que «M. Victor fait erreur lorsqu’il
donne à l’épithète novice un sens péjoratif et me prête de la mauvaise foi».
Elle précise qu’il «s’agissait de coiffer le texte d’un titre qui explique la
présence des deux auteurs dans le même article».
Mme Côté
explique que l’attachée de presse de VLB lui avait indiqué qu’il s’agissait
d’un premier roman et qu’elle n’avait «aucune raison de croire fausse cette
information, aucune raison de la vérifier non plus.»
Quant aux
inexactitudes que M. Victor relève dans son article au sujet de son roman, elle
remarque «qu’il ne pourrait être question de vérité en littérature, mais
seulement de perception». Elle déplore que M. Victor ait perçu dans son texte
des choses qui l’ont blessé mais souligne «qu’elles n’ont pas été écrites comme
il les a reçues.» Elle précise: «Il questionne ma vision et ma lecture de son
roman, ce qui est légitime, mais me prête une interprétation qui n’est pas
présente dans mes propos et que je ne reconnais pas comme mienne.»
M. Claude
Masson, vice-président et éditeur adjoint:
M. Masson
endosse et appuie la position émise par Mme Côté. Il est d’avis que «tout est
question d’interprétation, de perception, de compréhension des textes». Il
considère que le traitement donné au livre de M. Victor a été exceptionnel et
qu’il devrait s’en réjouir. M. Victor fait valoir, en réponse aux commentaires
de La Presse, que le «chroniqueur littéraire est libre d’interpréter et de
percevoir à sa manière un texte, mais n’a pas le droit d’altérer le sujet et de
se substituer à l’auteur par des affirmations inexistantes dans l’ouvrage».
Analyse
La critique littéraire est un genre journalistique qui tient de l’éditorial et du commentaire. Toute personne a cependant droit de s’attendre à ce que la presse ne présente pas d’elle une image déformée. Aussi, les professionnels de l’information ne peuvent, même par le truchement du genre journalistique qu’est la critique, renoncer aux exigences de rigueur et d’exactitude que leur impartissent leur fonction et leur responsabilité d’informateur public.
Dans le cas présent, le Conseil estime que le texte de Mme Côté peut porter à confusion et laisser croire aux lecteurs que le plaignant était candidat au concours littéraire «La Plume d’argent», réservé aux apprentis écrivains, alors qu’il n’était associé à ce concours d’aucune manière.
Le Conseil estime également que Mme Côté aurait dû vérifier, avant publication, si M. Victor avait d’autres expériences littéraires. Une telle vérification aurait permis d’éviter tout malentendu. Devant cette situation, le Conseil est d’avis que La Presse, dès qu’elle en fut informée par le plaignant, aurait dû faire part de ces précisions à ses lecteurs dans une publication ultérieure.
Par ailleurs, le Conseil déplore le traitement accordé par la journaliste et La Presse à la présentation de M. Victor. Le Conseil considère que l’utilisation du terme «novice» dans les titres, et l’amorce de l’article («Les auteurs novices de la rentrée ont parfois déjà des cheveux blancs lorsqu’ils se lancent en littérature»), ne lui rendent pas justice.
Enfin, le Conseil ne retient pas le grief du plaignant selon lequel la critique contient des inexactitudes et dénature le contenu du roman. Les commentaires de Mme Côté s’appuient sur sa propre lecture ou interprétation du livre. Ces commentaires peuvent prêter à discussion: ils sont l’expression d’une opinion, et la critique littéraire est un genre journalistique qui accorde une place importante à la subjectivité et à la personnalité de leurs auteurs.
Analyse de la décision
- C11B Information inexacte
- C11H Terme/expression impropre
- C15A Manque de rigueur
- C15D Manque de vérification
- C19A Absence/refus de rectification