Plaignant
M. Conrad Duroseau
Mis en cause
Le Journal de Montréal et M. Guy Roy (journaliste)
Représentant du mis en cause
M. Raymond Tardif (rédacteur en chef, Le Journal de Montréal)
Résumé de la plainte
Le 8 octobre 1991, Le Journal de Montréal rapporte une agression contre un chauffeur d’autobus en identifiant l’origine ethnique des jeunes criminels, alors que cette précision
n’est pas pertinente, contribue à marginaliser les jeunes Noirs et risque d’augmenter la tension entre ceux-ci et les policiers de Montréal. Ces reproches concernent la manchette «Son véhicule détourné par 3 Noirs : Chauffeur d’autobus molesté» et deux articles du journaliste Guy Roy, parus sous les titres «Séquestré par trois pirates de la route» et «Sa deuxième mésaventure : « J’ai peur que la situation empire… »».
Faits
La plainte concerne la manchette du 8 octobre 1991 du Journal de Montréal: «Son véhicule détourné par 3 Noirs: Chauffeur d’autobus molesté». La plainte concerne également les deux articles auxquels cette manchette renvoie, à la page 3. Le premier, intitulé «Séquestré par trois pirates de la route», relate les faits concernant l’agression dont ce chauffeur d’autobus a été victime le 6 octobre 1991. Le deuxième article, intitulé «Sa deuxième mésaventure: « J’ai peur que la situation empire… »», rapporte les propos de ce chauffeur et de son épouse concernant une autre agression dont il a été victime, dans son autobus, il y a quelques années.
Griefs du plaignant
Le 9 octobre l99l, M. Conrad Duroseau, de Montréal, adressait une plainte au Conseil de presse, dans laquelle il reproche au Journal de Montréal l’utilisation du mot «Noirs» pour décrire trois voyous commettant des actes criminels. Il considère que cette mention n’était pas pertinente. Il ajoute: «est-ce que chaque fois qu’un membre de la communauté majoritaire commet un méfait on l’identifie comme « Blanc »?».
Il estime que cette tendance du journal à pointer du doigt des individus à cause de leur race a pour effet de marginaliser et de «criminaliser» l’ensemble de la jeunesse noire du Québec. M. Duroseau souhaite que le Conseil de presse puisse établir dans un avenir rapproché une règle qui forcerait les médias à ne pas nommer l’appartenance ethnique ou raciale des individus impliqués dans des événements, à moins que le contexte (ex: bagarre pour des motifs raciaux, propagande haineuse, cas de discrimination) le permette.
Commentaires du mis en cause
Dans sa réponse à la plainte, M. Raymond Tardif, rédacteur en chef du Journal de Montréal, écrit que le quotidien «ne s’amuse pas à jeter de l’huile sur le feu et à « criminaliser » la jeunesse noire du Québec.»
Il affirme que le Journal a rapporté les faits précis de l’incident et que l’utilisation du mot «Noirs» en première page était justifiée parce qu’elle était conforme aux faits. De plus, ajoute-t-il, cet acte criminel était au plus fort de l’actualité puisqu’il s’inscrivait dans une série d’incidents impliquant des jeunes de race noire. M. Tardif signale que l’article auquel le plaignant s’en prend ne fait que rappeler un incident antérieur similaire vécu par la victime.
Par ailleurs, M. Tardif écrit que Le Journal de Montréal estime avoir été juste, équitable et
objectif dans la couverture de ce fait divers peu commun.
Analyse
Les médias et les professionnels de l’information n’ont pas à s’interdire de faire état des caractéristiques qui différencient les personnes. Toutefois, la mention de l’identité ethnique n’est légitime que lorsque cela est pertinent, c’est-à-dire lorsqu’il y a rapport entre les événements rapportés et l’origine ethnique, ou que celle-ci a une incidence sur ces événements. De plus, la «signification raciale ou ethnique» des événements doit être clairement démontrée dans l’information qui est livrée au public. Omettre de le faire peut avoir pour conséquence d’entretenir ou de renforcer les préjugés et les attitudes discriminatoires à l’endroit des personnes ou des groupes mis en cause.
Le premier article mis en cause dans la plainte relate essentiellement l’incident. Or, aucun fait rapporté ne démontre l’existence d’un rapport entre cet incident et l’origine ethnique des assaillants. S’il est par ailleurs légitime d’identifier l’origine ethnique des suspects lorsque cela fait partie d’une description détaillée en vue d’aider à leur arrestation, le Conseil constate ici que l’article ne présente aucune description des agresseurs qui permette de croire que l’on tentait d’aider à les retracer.
Quant au deuxième article, celui-ci relate, par le biais du témoignage du chauffeur d’autobus, une autre agression par des Noirs dont il a été victime quelques années auparavant. L’article rapporte aussi les propos de son épouse, qui s’inquiète que son mari et son frère, également chauffeur d’autobus, aient souvent affaire à des drogués et des gens armés. Cet article est essentiellement constitué de ces témoignages, lesquels renvoient indirectement à un problème de violence dans le transport en commun à Montréal. Les lecteurs ne sont toutefois pas informés plus avant sur ce problème.
Considérant ce qui précède, le Conseil estime qu’il n’était pas pertinent de mentionner l’appartenance ethnique des auteurs de l’agression dont a été victime ce chauffeur d’autobus. Le Conseil adresse donc un blâme au Journal de Montréal et au journaliste Guy Roy pour le traitement qu’ils ont accordé à cet incident, un tel traitement étant susceptible d’encourager ou d’entretenir des préjugés et des attitudes discriminatoires à l’endroit de ce groupe ethnique.
Analyse de la décision
- C18A Mention de l’appartenance
- C18E Discrimination (citation)