Plaignant
Le Syndicat
canadien de la fonction publique, section locale 301, et M. Jean Lapierre
(président)
Représentant du plaignant
M. André Bouthillier
(coordonnateur national adjoint aux dossiers de sous-traitance et
privatisation, S.C.F.P.-C.T.C.)
Mis en cause
La Presse
[Montréal] et Mme Claudette Tougas (éditorialiste)
Représentant du mis en cause
M. Alain Dubuc
(éditorialiste en chef, La Presse [Montréal])
Résumé de la plainte
Un éditorial de Mme
Claudette Tougas, publié sous le titre «Les eaux troubles du président» dans
l’édition du 19 juin 1991 de La Presse, prend parti pour la ville de Montréal
dans le dossier de la plage municipale de l’Ile Notre-Dame, s’opposant ainsi à
la position donnée en conférence de presse par le Syndicat des cols bleus.
L’éditorialiste ne respecte pas les faits présentés au cours de cet événement
et manque de rigueur dans l’évaluation de la situation qu’elle commente.
Faits
La plainte concerne
un éditorial de Mme Claudette Tougas, intitulé «Les eaux troubles du
président», paru dans le quotidien La Presse le 19 juin 1991. Cet éditorial a
été publié à la suite de la conférence de presse tenue le 14 juin 1991 par le
Syndicat des cols bleus de la Ville de Montréal, afin d’informer la presse du
résultat d’une enquête sur le parc-plage de l’Ile Notre-Dame.
L’éditorial
prend parti pour la version des faits de la Ville de Montréal eu égard à la
salubrité de l’eau de baignade de cette plage municipale par rapport à la
position que le Syndicat rendait publique en conférence de presse quelques
heures avant l’ouverture officielle de la plage. L’éditorial exprimait l’avis
que la dénonciation du Syndicat était une stratégie pour «secouer la lenteur de
négociations [entre le Syndicat et la Ville] qui achoppent depuis des mois», et
reprochait à son président de mentir à la population sur la qualité de l’eau.
Griefs du plaignant
M. Jean
Lapierre, président du S.C.F.P., section locale 30l, et M. André Bouthillier,
coordonnateur national adjoint aux dossiers de sous-traitance et privatisation
S.C.F.P.-C.T.C., considèrent que l’éditorial de Mme Claudette Tougas est «une
tirade contre le président et le Syndicat des cols bleus». Ils reprochent à Mme
Tougas de ne pas avoir été fidèle aux faits présentés à la conférence de presse
du Syndicat, et d’avoir manqué de rigueur et d’intégrité intellectuelles dans
l’évaluation de la situation qu’elle commentait dans son éditorial.
MM. Lapierre et
Bouthillier signalent par ailleurs qu’ils ont demandé un droit de réplique à
Mme Tougas, et que cette dernière a accepté de publier leur réplique dans la
section des lettres des lecteurs, mais que cette publication n’a jamais eu
lieu.
Enfin, ils
mentionnent que La Presse a publié, le 16 août 1991, un article rapportant que
la ville de Montréal changeait le système de filtration du parc-plage, ce qui,
selon eux, confirment que les cols bleus disaient vrai.
Commentaires du mis en cause
M. Alain Dubuc,
éditorialiste en chef de La Presse, estime que la plainte du Syndicat canadien
de la fonction publique est non fondée pour les raisons suivantes:
– l’éditorial
signé par Mme Claudette Tougas est un article d’opinion. Il précise que les
normes journalistiques qui s’appliquent à ce genre de texte ne sont pas les
mêmes que celles qui s’appliquent à des articles d’information, et qu’un
éditorial peut adopter un point de vue et prendre parti;
– Mme Tougas
était en présence de deux versions des faits contradictoires et a choisi
d’appuyer la version des autorités municipales, ce qui s’inscrit dans les
normes qui régissent le journalisme d’opinion. Son éditorial faisait écho à un
autre article publié dans La Presse, le 16 juin 1991, intitulé «L’eau du
parc-plage est d’excellente qualité, dit Bourque»;
– le coeur de
l’éditorial de Mme Tougas ne porte pas sur la qualité de l’eau au parc-plage,
mais bien sur les procédés du Syndicat canadien de la fonction publique. Elle
associe les révélations du Syndicat à une opération politique qui s’inscrit
dans une stratégie de négociation.
Quant au grief
des plaigants relativement au droit de réplique qu’ils ont demandé, M. Dubuc
remarque que le droit de réponse n’est pas un droit absolu et que La Presse se
réserve toujours le droit final de publier ou de refuser de publier un texte.
Il mentionne également que l’été est une période où le fonctionnement d’une
salle de rédaction est perturbé et qu’«il est fort possible que, dans des
circonstances plus normales, le texte de Monsieur Bouthillier ait été publié».
Il estime par ailleurs que M. Bouthillier n’a pas déployé beaucoup d’efforts
pour s’assurer de la publication de son texte et qu’il aurait pu tenter de
prendre contact avec les supérieurs de Mme Tougas qui ont la responsabilité de
décider si un texte sera publié ou non.
Réplique du plaignant
M. Jean Lapierre
ne conteste pas que l’éditorial est un article d’opinion, mais il croit que
l’éditorialiste a aussi des obligations.
Il indique que
Mme Claudette Tougas n’était pas face à deux versions des faits
contradictoires. Il rappelle que Mme Tougas n’avait pas lu le document de fond
du Syndicat, tel qu’elle en avait fait part à M. Bouthillier lors d’une
conversation téléphonique, et n’avait donc en main que la version de la Ville
de Montréal.
M. Lapierre soutient,
analyse de l’éditorial à l’appui, que celui-ci porte bien sur la qualité de
l’eau: «les reproches faits au président sont des reproches sur mes
déclarations quant à la qualité de l’eau du parc-plage. Le thème de la
stratégie de négociation y apparaît de façon très accessoire».
Quant au droit
de réplique promis à M. Bouthillier à deux reprises par Mme Tougas, M. Lapierre
estime que si La Presse se réserve toujours le droit final de publier ou de
refuser un texte, il faudrait, dans ce dernier cas, que le journal «dise non au
lieu de dire oui et de laisser traîner jusqu’à non-pertinence». M. Bouthillier
n’avait aucune raison de croire que Mme Tougas ne respecterait pas son
engagement.
Analyse
L’éditorial est un genre journalistique qui, contrairement à la nouvelle ou au reportage, constitue du journalisme d’opinion. L’éditorialiste peut donc, à l’intérieur des limites de l’éthique journalistique, prendre position, exprimer ses critiques et faire valoir ses points de vue sur les questions et les événements de son choix. L’éditorialiste a cependant le devoir de mesurer la portée de ses écrits aux exigences de rigueur qui prévalent pour tous les professionnels de l’information.
L’éditorial mis en cause dans la présente plainte prend parti pour la version des faits de la ville de Montréal eu égard à la salubrité de l’eau de baignade de la plage municipale de l’île Notre-Dame par rapport à celle que le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) prenait publiquement quelques heures avant l’ouverture officielle de la plage. L’éditorial exprimait l’avis que la dénonciation du Syndicat était une stratégie pour «secouer la lenteur de négociations (entre le Syndicat et la ville) qui achoppent depuis des mois», et reprochait à son président de mentir à la population sur la qualité de l’eau.
Dans le cas présent, Mme Claudette Tougas, en vertu de la latitude permise en éditorial, était en droit de prendre parti pour la version des autorités municipales eu égard à la salubrité de l’eau de la plage de l’île Notre-Dame, et d’exprimer son point de vue sur la position du SCFP et le fait, considérant l’état des négociations entre la ville et le Syndicat, qu’il ait exprimé celle-ci à quelques heures de l’ouverture officielle de la plage.
Le Conseil estime toutefois qu’il y a matière à reproche dans le fait qu’aucune explication et qu’aucun fait n’a été apporté au soutien de l’affirmation selon laquelle le président du Syndicat mentait à la population. En conséquence, les lecteurs ne pouvaient disposer des éléments nécessaires pour se faire une opinion éclairée sur cette affirmation, ni sur l’opinion sévère qui était exprimée dans cet éditorial à l’encontre du Syndicat et de son président.
Dans ces circonstances, le Conseil estime que La Presse aurait dû donner suite à la demande du Syndicat pour la publication d’une mise au point.
Analyse de la décision
- C01B Objection à la prise de position
- C01C Opinion non appuyée sur des faits
- C09A Refus d’un droit de réponse