Plaignant
L’Association
nationale des téléspectateurs
Représentant du plaignant
M. Michel
Pichette (ex-président, Association nationale des téléspectateurs)
Mis en cause
La Presse
[Montréal] et M. Pierre Gingras (journaliste)
Représentant du mis en cause
M. Claude Masson
(vice-président et éditeur adjoint, La Presse [Montréal])
Résumé de la plainte
Dans son compte
rendu du débat organisé le 25 octobre 1992 par le Conseil de presse du Québec,
le journaliste Pierre Gingras ignore systématiquement les propos tenus par les
représentants du public. Son article, publié sous le titre «Les lecteurs ont
laissé tombé la politique au profit de l’économie et de la qualité de la vie»
dans La Presse du 26 octobre, réduit ce débat à une interaction entre les seuls
représentants des médias.
Faits
La plainte
concerne un article intitulé «Les lecteurs ont laissé tombé la politique au
profit de l’économie et de la qualité de la vie» publié dans le quotidien La
Presse, le 26 octobre 1991, sous la signature de Pierre Gingras. Cet article
rend compte du débat public organisé par le Conseil de presse du Québec sur «La
crise constitutionnelle et l’information», le 25 octobre 1991.
Griefs du plaignant
M. Michel
Pichette, alors président de l’Association nationale des téléspectateurs,
souligne en premier lieu que le Conseil de presse avait organisé cette activité
«dans le but de débattre du sujet avec des représentants d’organismes qui sont
en contact avec le public, et pas seulement avec des représentants des médias».
M. Pichette
indique que l’article de M. Gingras «ne rend pas du tout compte de
l’événement», et qu’il réduit le débat «à une interaction stricte entre les
seuls représentants des médias». Il reproche au journaliste d’avoir «ignoré
systématiquement les propos tenus par les représentants du public», et qu’en
faisant de la sorte, il a corroboré ce que ces derniers ont clairement exprimé
lors de ce débat, à savoir «la surdité chronique des médias, de leurs
gestionnaires et de leurs artisans pour tout ce qui se déroule en dehors des
cercles habituels où [ils glanent leurs] informations».
M. Pichette
conclut que le public a été lésé dans son droit et dans sa compétence à
s’exprimer à propos des médias et dans son droit à voir son point de vue
diffusé.
Commentaires du mis en cause
M. Claude
Masson, vice-président et éditeur adjoint de La Presse, endosse la réplique que
le journaliste Pierre Gingras a soumise en réponse à la plainte de
l’Association nationale des téléspectateurs.
M. Gingras
mentionne qu’il a rapporté les propos des «panelistes», en l’occurrence des
patrons d’entreprises de presse. Il souligne que c’est le travail du
journaliste et de son journal de «traiter la partie d’un événement qu’il juge
pertinente et intéressante pour les lecteurs». Il reconnaît que le terme
«couverture» peut prêter à confusion et laisser croire que les journalistes
sont tenus de rapporter les propos de tous ceux qui prennent part à un
colloque. Selon lui, le travail de «celui qui couvre» un événement est plutôt
d’en retenir les éléments jugés essentiels, «ceux qui constituent la nouvelle,
selon l’interprétation qu’il en fait». M. Gingras explique que c’est ce qu’il a
fait lors de la couverture de ce débat et, à son avis, l’événement pertinent de
la journée s’est retrouvé dans son journal.
M. Gingras
convient que le fait que M. Claude Masson, vice-président et éditeur adjoint de
La Presse, se retrouve cité dans l’amorce de l’article peut sembler étonnant,
mais il considère que ses propos, ainsi que ceux des autres patrons de presse,
lui semblaient les plus susceptibles d’intéresser le public.
Il ajoute par
ailleurs que des contraintes d’espace obligent souvent les journalistes à
effectuer une sélection très serrée des informations, et que, «aussi frustrant
que cela puisse être […] il nous est impossible de tout relater». Il rappelle
que la page d’opinion des lecteurs existe justement pour permettre aux lecteurs
de s’exprimer.
Analyse
Le choix et le traitement d’un sujet, d’un événement ou d’un secteur d’activités particulier, relèvent du jugement rédactionnel des médias et des journalistes.
L’information livrée par les médias fait nécessairement l’objet de choix: choix des nouvelles, de l’angle du traitement, de l’importance de la couverture et du suivi, de l’emplacement des nouvelles lors de leur publication, etc. Les professionnels de l’information doivent effectuer ces choix en fonction du degré d’intérêt public d’une nouvelle. S’ils choisissent de ne pas rendre compte de facon exhaustive de tous les détails concernant une nouvelle ou un événement, il doivent néanmoins s’assurer de situer l’information dans son contexte et de donner les informations nécessaires à la compréhension de la nouvelle.
Les médias et les journalistes demeurent donc libres de traiter d’un sujet donné, de lui accorder l’importance qu’ils jugent appropriée et de le publier (ou le diffuser) au moment où ils le jugent opportun.
Dans le cas étudié ici, le Conseil constate que le journaliste de La Presse a exercé son jugement en fonction de ce qu’il estimait être susceptible d’intéresser les lecteurs de son journal. Il a donc choisi de mettre l’accent sur les propos tenus par les représentants des médias, en l’occurrence des patrons d’entreprises de presse, plutôt que sur ceux du public participant. Le journaliste était parfaitement en droit, en couvrant cet événement, de privilégier cet angle de traitement. Le Conseil ne peut considérer ce choix comme étant un manquement à l’éthique journalistique.
Le Conseil ne retient donc pas la plainte de l’Association nationale des téléspectateurs à l’encontre du journal La Presse et du journaliste Pierre Gingras.
Analyse de la décision
- C03A Angle de traitement