Plaignant
Office du
Tourisme du Témiscamingue
Représentant du plaignant
M. André Raymond
(agent de développement touristique, Office du Tourisme du Témiscamingue)
Mis en cause
La Presse
[Montréal] et Mme Michèle Ouimet (journaliste)
Résumé de la plainte
La journaliste Michèle
Ouimet de La Presse encourage les préjugés et tient des propos méprisants
envers l’Abitibi-Témiscamingue, ses entreprises et ses habitants dans quatre
articles sur cette région, publiés le 6 juin 1991 sous les titres
«Abitibi-Témiscamingue, le pays du positivisme», «La « percée » de 100
000$ des gens de Belleterre», «Le rêve : transformer» et «Deux récessions plus
tard… au cabaret». Ces articles s’inscrivent dans une série de reportages
portant sur «Le Québec des régions».
Faits
La plainte
concerne quatre articles sur l’Abitibi-Témiscamingue parus dans le cahier
spécial de La Presse du 6 juin 1991, sous la signature de Mme Michèle Ouimet.
Ces articles, intitulés «Abitibi-Témiscamingue, le pays du positivisme»; «La
« percée » de 100 000$ des gens de Belleterre»; «Le rêve: transformer»;
et «Deux récessions plus tard… au cabaret», s’inscrivent dans une série de
reportages sur «Le Québec des régions».
Griefs du plaignant
L’Office du
Tourisme du Témiscamingue, par l’entremise de M. André Raymond, agent de développement
touristique, reproche à La Presse et à sa journaliste d’avoir diffusé des
préjugés et tenu des propos méprisants et discriminatoires à l’endroit de
l’Abitibi-Témiscamingue, de ses entreprises et de ses habitants.
Dans une lettre
qu’il adressait le 9 juin 1991 à M. Roger D. Landry, éditeur de La Presse,
laquelle fut publiée le 18 juin suivant, M. Raymond s’en prend notamment à ce
qui a été écrit concernant le tutoiement des gens, les raisons pour lesquelles
ils vivent dans cette région, la culture et les services offerts dans la
région. Il considère que la journaliste «en s’enracinant dans des idées
préconçues», s’est attardée à ce qui n’allait pas, mais «a oublié les bons
côtés de la vie ici», par exemple, la nature et le dynamisme des gens. Il ajoute
que «si elle n’avait pas eu une vision biaisée par ses préjugés», elle aurait
pu constater plusieurs réalisations, et ce, dans différents domaines:
agriculture, foresterie et tourisme.
M. Raymond dit
avoir comparé les textes de Mme Ouimet à ceux produits par La Presse sur les
autres régions du Québec dans le cadre de cette série. Il constate que seul
ceux-ci ont «un tel niveau de mépris», y compris les photos retenues. Il ajoute
que les autres articles n’étaient pas que positifs, mais qu’«aucun n’adoptait
l’attitude hautaine et méprisante de Mme Ouimet». Selon M. Raymond, ce
«reportage n’est qu’un ramassis de négativisme qui contraste merveilleusement
avec le titre retenu». Tant qu’à écrire de tels articles, ajoute-t-il, il
aurait préféré que la journaliste s’abstienne.
Commentaires du mis en cause
Mme Ouimet
considère que cette plainte est sans fondement et qu’elle n’a pas manqué à
l’éthique professionnelle. Elle accorde à M. Raymond le droit de détester ses
articles, mais cela ne signifie pas pourtant, dit-elle, qu’elle a fait preuve
de discrimination.
Elle rappelle
que, devant la forte réaction suscitée par ses articles, La Presse a consacré
une page complète aux lettres des gens de cette région afin de leur permettre
de répliquer. La Presse a également publié à cette occasion la lettre que M.
Raymond a fait parvenir à l’éditeur du journal.
Outre les
éléments relevés par M. Raymond dans sa plainte, auxquels elle répond dans ses
commentaires, Mme Ouimet estime que le reste des griefs énoncés est une
«question de perception».
Mme Ouimet fait
par ailleurs remarquer qu’elle n’allait pas couvrir un événement précis, mais
plutôt «faire le portrait d’une région en essayant de décrire son humeur. C’était
donc un reportage qui pouvait être subjectif et où le journaliste était appelé
à faire part de ses commentaires».
Analyse
La série de quatre textes sur l’Abitibi-Témiscamingue soulève la question des genres journalistiques: s’agit-il d’un reportage d’information sur cette région ou d’un portrait (même subjectif) de celle-ci?
Le reportage consiste à rapporter des faits et à les situer dans leur contexte, sans toutefois les commenter. Il est destiné à informer le public de façon qu’il puisse se former une opinion en toute connaissance de cause sur les sujets traités. Le portrait, pour sa part, vise à mettre en scène une personne, une entreprise, une région, etc., à travers ses caractéristiques: activités, manière d’être, apparence physique, etc. Il peut être présenté sous des formes et des longueurs variées.
Le Conseil constate que la journaliste Michèle Ouimet a introduit dans ses textes plusieurs commentaires sur les gens et les endroits visités: «Ici, ça prend un coup solide même si la mode santé-plein air a calmé les esprits et rendu les gens légèrement hypocondriaques», «Pourtant, ce n’est pas beau l’Abitibi. C’est même laid», «Les villes se ressemblent: une rue principale – affreuse – …», etc.
Ces commentaires donnent un caractère personnel et subjectif aux textes, lesquels reposent davantage sur le regard que Mme Ouimet a posé sur cette région que sur un angle de traitement conduisant à un reportage complet, équilibré et factuel. Si tel était le but de ces articles, La Presse aurait dû les identifier comme tels. Le Conseil déplore que La Presse ne l’ait pas fait afin d’éviter toute confusion auprès des lecteurs quant à l’information qui leur est communiquée et de respecter les distinctions qui s’imposent entre les genres journalistiques qui relèvent de l’information et ceux qui relèvent de l’opinion.
Par ailleurs, le Conseil considère que le ton, et certaines des expressions et des tournures de style utilisées par Mme Ouimet, peuvent donner un portrait plutôt négatif de l’Abitibi-Témiscamingue. Le Conseil estime toutefois qu’un journaliste, même s’il en vient à une telle vision d’une région, et quel que soit le genre journalistique qu’il retient, doit traiter son sujet dans le respect des individus et des collectivités.
Analyse de la décision
- C18B Généralisation/insistance indue
- C20A Identification/confusion des genres
Date de l’appel
12 April 1994
Appelant
La Presse
[Montréal]
Décision en appel
Après étude, les
membres de la commission d’appel ont jugé qu’il n’y avait pas lieu de rouvrir
ce dossier et ont décidé à l’unanimité de maintenir la décision du tribunal.
Ils ont convenu que leur décision se lirait comme suit:
Constatant que
la décision rendue a fait l’objet d’interprétations diverses, la commission
apporte les précisions suivantes:
1) elle confirme
le droit de la journaliste Michèle Ouimet d’exprimer des impressions
personnelles dans un grand reportage et estime qu’elle l’a fait sans enfreindre
les règles d’éthique journalistique;
2) elle
reconnaît que la mise en page er la publication de certains cahiers spéciaux,
ainsi que l’utilisation de certains formats, peuvent constituer une
identification valable de certains genres journalistiques, mais elle est d’avis
que si ces codes sont compris et admis dans le milieu journalistique, ils ne
sont pas toujours évidents pour le public, spécialement pour le public
occasionnel, et elle invite les médias à les clarifier davantage pour le
public;
3) elle estime
que le portrait fait par la journaliste Michèle Ouimet l’a été dans le respect
des individus et des collectivités.
Griefs pour l’appel
M. Claude
Masson, vice-président et éditeur adjoint du quotidien La Presse, a interjeté
appel de cette décision.