Plaignant
L’Association
des biologistes du Québec
Représentant du plaignant
M. Alain Morin
(président, Association des biologistes du Québec)
Mis en cause
Le Soleil
[Québec] et M. André Bellemare (chroniqueur)
Représentant du mis en cause
M. J.-Jacques
Samson (éditeur adjoint et rédacteur en chef, Le Soleil [Québec])
Résumé de la plainte
Le chroniqueur
André Bellemare du Soleil porte atteinte à la crédibilité professionnelle de M.
Michel Crête, biologiste et porte-parole du ministère du Loisir, de la Chasse
et de la Pêche, dans une série d’articles parus les 30 mars, 4 et 10 avril
1992. Ces textes présentent l’opinion du chroniqueur dans un débat controversé
touchant à la gestion du coyote au Québec.
Faits
La plainte
concerne une série d’articles parus dans le quotidien Le Soleil, les 30 mars, 4
et 10 avril 1992, dans lesquels le journaliste et chroniqueur André Bellemare exprime
son opinion dans le débat controversé relatif à la gestion du coyote au Québec:
– «Berger allemand contre coyotes» (30 mars 1992); – «M. Blackburn, cette
campagne, ça vient?» (4 avril 1992); – «Coyotes: Crête fait l’autruche» (10
avril 1992).
Griefs du plaignant
L’Association
des biologistes du Québec, par la voix de son président, M. Alain Morin,
considère que M. André Bellemare a «manqué à l’éthique professionnelle et qu’il
a tenu sans motif, des propos portant atteinte à la crédibilité professionnelle»
de M. Michel Crête, biologiste et porte-parole (du dossier de la gestion du
coyote) du ministère du Loisir, de la Chasse et de la Pêche.
Reconnaissant la
liberté d’opinion de M. Bellemare, M. Morin estime cependant qu’il est
inacceptable qu’il «s’en prenne au porte-parole du Ministère pour faire valoir
son point de vue». Il considère que M. Bellemare, par «des insinuations
mensongères et par des affirmations gratuites atteint à la réputation du Dr
Michel Crête».
M. Morin indique
que, dans sa chronique datée du 10 avril 1992, qu’il juge la plus répréhensible
dans le présent dossier, M. Bellemare exprimerait ses divergences de point de
vue sur la controverse des coyotes en véhiculant des idées fausses sur l’action
du Dr Crête et sur sa façon d’aborder ce dossier. C’est contre cette attitude
que s’élève l’Association des biologistes du Québec, en présentant une vision
corrigée des véritables propos et actions entreprises par le Dr Crête.
D’autre part,
l’Association reproche à M. Bellemare de ne pas être entré en relation – comme
d’autres journalistes ont pu le faire – avec le Dr Crête. Ce qui a conduit M.
Bellemare à prêter à M. Crête une image qui n’a que peu de rapport avec ses
compétences réelles et le travail qu’il a effectué. Ainsi, dans les chroniques
mises en cause, M. Crête apparaît comme un chercheur «obnubilé par un idéal
zoologique de scientifique complètement déconnecté de la réalité».
Ceci aurait pour
effet, non seulement de discréditer M. Crête auprès du public, mais surtout
d’anéantir ses efforts entrepris, en collaboration avec les chasseurs et les
trappeurs, pour solutionner le problème posé par les coyotes.
En conclusion,
l’Association des biologistes du Québec «exige de M. Bellemare qu’il cesse ses
attaques personnelles contre le Dr Crête et qu’il se rétracte, en faisant par
exemple connaître les travaux de recherche réalisés par ce biologiste».
Commentaires du mis en cause
M. J.-Jacques
Samson, éditeur adjoint et rédacteur en chef du Soleil, indique que M. André
Bellemare est en désaccord avec le biologiste Michel Crête et qu’il a exprimé
son point de vue de façon respectueuse. Il rappelle que M. Bellemare «est un
chroniqueur et qu’à ce titre il est autorisé à formuler des commentaires et à
émettre ses opinions sur les politiques gouvernementales et les règlements en
vigueur dans le secteur d’activités dont il assume la couverture
journalistique».
Pour sa part, M.
André Bellemare s’étonne de la lenteur avec laquelle la plainte a été déposée
devant le Conseil de presse du Québec. Mais surtout, il regrette de ne pas
avoir été préalablement contacté par M. Morin ou M. Crête lui-même, ni d’avoir
reçu une quelconque demande de rectification auprès de son quotidien, à la
suite de ses déclarations dans les colonnes du Soleil.
M. Bellemare
estime en fait que le véritable motif d’une telle plainte est de le faire
réprimander par un organisme respectable, afin de «réduire la crédibilité de
ses chroniques futures auprès des lecteurs du quotidien Le Soleil»; ceci pour
«plaire assurément à certains biologistes à l’emploi du ministère québécois du
Loisir, de la Chasse et de la Pêche». Cette plainte aurait donc pour objet de
créditer les thèses et positions du Dr Crête que lui-même, justement, ne
partage pas.
Il rappelle que
ses prises de position relèvent avant tout de son propre jugement, qu’en tant
que chroniqueur il demeure libre d’exposer, grâce à ce style particulier qui
«permet au journaliste d’adopter un ton de polémiste pour prendre parti et
exprimer ses critiques».
Répondant à
plusieurs arguments de la plainte, M. Bellemare dit ne pas comprendre «pourquoi
M. Alain Morin (l’)accuse d’atteindre à la réputation du biologiste Michel
Crête, alors (qu’il n’a) fait qu’exprimer honnêtement une opinion différente de
celle de M. Crête, à la suite d’un débat bien émotif, sur un sujet hautement
controversé dans le monde entier».
Il refuse de
simplement se faire l’écho des théories avancées par les biologistes sans
chercher à les réfuter: «Comme journaliste-chroniqueur spécialisé, je ne suis
pas qu’un simple agent multiplicateur des opinions du biologiste Crête, mais un
analyste et commentateur d’une partie de ses oeuvres, faits, gestes,
déclarations et opinions».
En conclusion,
M. Bellemare réaffirme sa connaissance suffisante de ce dossier et ses prises de
position personnelles que partage «une majorité des chasseurs du Québec». De ce
fait, il ne voit pas pourquoi il devrait se rétracter; il invite donc le
Conseil à rejeter cette plainte.
Réplique du plaignant
L’Association
des biologistes du Québec tient fermement à souligner et à rappeler que l’objet
de cette plainte n’est ni de «ramener l’affaire à une simple divergence
d’opinions» ni de «plaire à certains biologistes du ministère».
D’autre part, le
choix d’une telle procédure est le fruit d’une décision «mûrement réfléchie et
discutée», qui conclut au recours souhaité auprès du Conseil de presse, plutôt
qu’à une simple demande de rectification auprès du journal, dans la mesure où
celles-ci ne sont pas toujours très correctement retranscrites.
La démarche
entreprise par l’Association n’est donc surtout pas de contester «le droit de
M. Bellemare de penser ce qu’il pense», mais au contraire de lui reprocher «sa
façon de faire portant atteinte à la réputation du Dr Crête et à travers lui, à
la profession de biologiste».
Analyse
La chronique est un genre journalistique qui se distingue de l’information, en ce sens qu’elle est le lieu d’expression des convictions et des points de vue. La chronique est essentiellement du journalisme d’opinion et constitue une manifestation de la liberté de la presse et de la liberté d’expression. Ce genre journalistique laisse donc au journaliste-chroniqueur une grande latitude dans l’expression de ses jugements et de ses points de vue. De même, le ton polémiste peut tout à fait être employé dans la mesure où le chroniqueur est libre de choisir son propre style.
Cependant, le chroniqueur ne saurait se soustraire aux exigences de rigueur et d’exactitude. La latitude dont il jouit doit s’exercer dans le respect le plus strict des droits et libertés d’autrui. Il doit éviter, tant par le ton que par le vocabulaire utilisé, de donner aux événements une signification qu’ils n’ont pas, ou de laisser planer des malentendus qui risquent de discréditer des individus ou des groupes. Il importe donc qu’il présente d’abord les événements de façon factuelle, avant d’en faire la critique, pour que le public puisse se former une opinion en toute connaissance de cause.
Le journaliste et chroniqueur André Bellemare jouit donc d’une grande liberté dans l’expression de ses points de vue; et, partant, avait droit à ses opinions relativement au dossier de la gestion du coyote au Québec. Le Conseil s’interroge cependant, dans le cas présent, sur la possibilité que M. Bellemare ait outrepassé cette liberté de chroniqueur pour en faire davantage une attaque personnelle contre le Dr Michel Crête. A cet égard, le Conseil invite M. Bellemare à plus de prudence et de rigueur dans sa façon de traiter les dossiers controversés.
Analyse de la décision
- C17A Diffamation