Plaignant
M. Jeffrey
Asher; M. Marc Grenier
Mis en cause
The Mirror
[Montréal] et Mme Julianne Pidduck (chroniqueure)
Représentant du mis en cause
Mme Ava Chisling
(rédactrice en chef, The Mirror [Montréal])
Résumé de la plainte
La chronique «Female
persuasions», signée par la journaliste Julianne Pidduck dans l’édition du 20
août 1992 du Mirror, constitue une attaque violente à l’égard des hommes en
tant que groupe social. Ce texte jette le discrédit sur les hommes et peuvent
inciter à la violence.
Faits
La plainte
concerne une chronique signée par Mme Julianne Pidduck, parue dans l’édition du
20 août 1992 du journal le Mirror. L’article, intitulé «Female persuasions»,
évoque le problème de la situation de la femme aujourd’hui.
Griefs du plaignant
Pour les
plaignants, M. Jeffrey Asher et M. Marc Grenier, cette chronique constitue une
attaque violente à l’égard des hommes en tant que groupe social. Les termes
employés par Mme Pidduck sont dégradants et généralisants; ils jettent le
discrédit sur tout un groupe social et incitent même jusqu’à la violence.
En outre, les
plaignants tiennent à souligner que ce type d’article aurait été sévèrement
sanctionné s’il avait été question d’un autre groupe social, tel que «les
Noirs, les Juifs, les Indiens, ou les femmes».
En conclusion,
M. Asher et M. Grenier demandent au Conseil de presse de «mettre un terme à ce
genre de choses».
Commentaires du mis en cause
En réponse à ces
deux plaintes, Mme Ava Chisling, alors rédactrice en chef du Mirror, rappelle le
droit à la liberté d’expression et au pluralisme, qui s’exprime d’ailleurs
depuis de nombreuses années dans les points de vue publiés par le journal. La
chronique de Mme Pidduck, mise en cause par les plaignants, s’inscrit donc dans
la tradition du journal qui est d’aborder, par la voie des textes d’opinion,
des sujets divers et controversés, tels le racisme, la pauvreté, le chômage, le
sexisme, etc.
Mme Julianne
Pidduck défend également fortement le droit d’exprimer ses points de vue sur
des sujets et des questions controversés, tels que la violence envers les
femmes, la pornographie, l’avortement, etc., lesquels sont d’une importance
cruciale tant pour les femmes que pour les hommes dans notre société.
Mme Chisling et
Mme Pidduck soulignent par ailleurs que les plaignants, en ne relevant que
quelques extraits de cette chronique, omettent de prendre en considération le
propos tenu dans le reste du texte, de même que le contexte social dans lequel
cette chronique s’inscrit, à savoir la violence envers les femmes dans notre
société.
Elles soulignent
également que les extraits relevés par les plaignants renvoient clairement à
des fantasmes, lesquels doivent être considérés, de préciser Mme Pidduck, comme
étant une réaction de colère face à un contexte accablant de discrimination, de
dégradation et de violence avec lequel les femmes ont à composer sur une base
quotidienne, et non pas comme étant une incitation irresponsable à attaquer les
hommes.
En conclusion,
ni le Mirror ni Mme Pidduck ne s’estiment fautifs dans cette affaire, cette
chronique étant l’expression d’une libre opinion sur un sujet polémique.
Analyse
La chronique est un genre journalistique qui laisse à son auteur une grande latitude dans l’expression de ses jugements et de ses points de vue. Elle lui permet d’adopter un ton polémique pour prendre parti et exprimer ses critiques, ce qu’il peut faire dans le style qui lui est propre, même par l’usage de l’humour et de la satire. Toutefois, le chroniqueur ne saurait se soustraire aux exigences de rigueur et d’exactitude. Il doit éviter, tant par le ton que par le vocabulaire qu’il emploie, de donner aux événements une signification qu’ils n’ont pas, de laisser planer des malentendus qui risquent de discréditer les personnes ou les groupes, et d’inciter à la violence. D’autre part, le genre journalistique qu’est la chronique doit être clairement identifié pour ne pas tromper le lecteur sur le caractère des écrits.
Dans le cas présent, le Conseil de presse estime que la chronique intitulée «Female persuasions» était clairement identifiée, et à ce titre, aucune confusion des genres n’est à craindre. Egalement, le Conseil reconnaît que la journaliste Julianne Pidduck a le droit d’exprimer des opinions personnelles sur des sujets controversés.
Toutefois, le Conseil affirme que quel que soit le genre journalistique utilisé, il ne saurait accepter des propos qui pourraient, dans l’esprit de certains lecteurs, légitimer la violence, ou inciter à la violence, contre des individus ou des groupes particuliers.
Mme Pidduck soutient que les propos qu’elle a tenus dans sa chronique doivent être situés dans le contexte de la violence trop répandue des hommes envers les femmes. Mais aussi horrible soit-il, ce contexte ne justifie pas d’ajouter à cette horreur en suggérant de quelque manière que ce soit, y compris par l’expression de fantasmes, de blesser ou de tuer les hommes qui se rendent coupables de violence ou d’actions offensantes.
Si le Conseil devait admettre la légitimisation de la violence contre certains hommes, il devrait aussi admettre de la part d’un journaliste masculin la légitimisation de la violence envers les femmes qui se seraient montrées offensantes à l’endroit des hommes, ou les propos racistes prônant l’élimination de membres d’une autre race.
En conclusion, le Conseil de presse reproche à Mme Pidduck et au journal Mirror les propos tenus dans la chronique «Female persuasions» du 20 août 1992, lesquels, même s’ils sont l’expression d’un fantasme, peuvent être perçus par certains comme un incitatif à la violence. Dans le contexte actuel, où la société est aux prises avec la violence, des propos comme ceux tenus dans cette chronique font preuve d’un manque de responsabilité sociale.
Analyse de la décision
- C01A Expression d’opinion
- C15I Propos irresponsable
Date de l’appel
4 May 1994
Appelant
M. Jeffrey
Asher; The Mirror [Montréal] et Mme Julianne Pidduck (chroniqueure)
Décision en appel
Ces appels ont
été rejetés par la commission le 4 mai 1994; la commission a considéré que le
libellé des appels n’apportait aucun élément nouveau susceptible d’influer sur
la décision prise par le tribunal d’honneur.
Griefs pour l’appel
M. Jeffrey
Asher, Mme Julianne Pidduck et le journal Mirror ont interjeté appel de cette
décision.