Plaignant
Le Syndicat des
employés et employées du service de la rédaction de La Tribune [Sherbrooke]
Représentant du plaignant
M. Yvon Rousseau
(président, Syndicat des employés et employées du service de la rédaction de La
Tribune [Sherbrooke])
Mis en cause
La Tribune
[Sherbrooke], M. Jean-Guy Dubuc (président et éditeur) et M. Jacques Pronovost
(rédacteur en chef)
Résumé de la plainte
La Tribune
modifie un article écrit par un de ses journalistes afin de masquer l’identité
de six commerces et de leur administrateur, condamnés en vertu de la Loi sur la
protection du consommateur. Le texte, paru sans signature le 27 avril 1992 sous
le titre «Amendes à un commerçant d’automobiles», utilise plutôt une
appellation qui n’identifie pas les coupables auprès du public.
Griefs du plaignant
La plainte
concerne un article paru dans le quotidien La Tribune du 27 avril 1992, titré:
«Amendes à un commerçant d’automobiles». Cet article, publié sans signature,
rapporte que la Cour du Québec a condamné six commerces d’automobiles pour des
infractions à la Loi sur la protection du consommateur relativement à la
publicité de leurs produits.
Dans sa plainte,
le Syndicat des employés et employées du service de la rédaction du journal La
Tribune, relate que M. Jean-Guy Dubuc, alors président et éditeur, et M.
Jacques Pronovost, rédacteur en chef, ont fait modifier un texte écrit par le
journaliste Gilles Fisette, le 26 mars 1992, «de façon à masquer l’identité»
des six commerces et de leur administrateur, M. Daniel Beaucage.
M. Yvon
Rousseau, président du syndicat, précise que les noms de M. Beaucage et des
commerces, mentionnés dans le texte initial du journaliste, ont été remplacés
par l’appellation «Groupe Dymax», laquelle n’identifie pas les coupables auprès
du public lecteur. Or, le public a droit à cette information pour sa propre
protection.
M. Rousseau
explique que MM. Dubuc et Pronovost ont invoqué le fait «qu’une erreur commise
par le service de publicité était la cause de la mise en accusation de M.
Beaucage et de ses entreprises». Selon M. Rousseau, cette erreur ne justifie
pas la modification du texte du journaliste Gilles Fisette. Il ajoute par
ailleurs qu’il est contraire au code d’éthique de cacher l’identité des
coupables en raison d’une erreur de la publicité et qu’il «semble que le geste
ait été posé dans le but de garder un bon client de l’entreprise de presse».
Le syndicat fait
valoir également qu’une telle modification a «pour effet de discréditer le
professionnalisme de l’équipe de journalistes du service de la rédaction du quotidien
La Tribune».
Commentaires du mis en cause
En réponse à
cette plainte, M. Jean-Guy Dubuc explique:
– que lorsqu’il
a été avisé de la décision de la Cour du Québec, il a immédiatement déclaré que
la nouvelle devait être publiée sans changement;
– qu’il a été informé
quelques instants plus tard que La Tribune «pouvait être responsable, en
partie, des erreurs à l’origine des plaintes portées contre le commerçant pour
cette publicité jugée trompeuse»; et qu’il lui apparaissait alors «injuste de
publier, sans autre forme de vérification, une condamnation dont La Tribune
pouvait être responsable»;
– que le
lendemain, l’adjoint au directeur de la publicité lui a indiqué qu’il estimait
que La Tribune «pouvait, pour un certain nombre de raisons techniques, être directement
responsable d’environ 70% des accusations»;
– que le
rédacteur en chef a souligné au syndicat des journalistes que le contexte de la
condamnation de la Cour du Québec «pouvait dépasser le cadre du communiqué de
l’OPC (Office de protection du consommateur) à l’origine de la nouvelle» en
regard de l’affrontement récent entre des concessionnaires au sujet de la tenue
de deux Salons de l’automobile. Aussi, «Une de nos préoccupations était celle
de ne pas être utilisé indirectement et injustement dans ce conflit»;
– que,
considérant «la portée des accusations en relation avec leur caractère
d’intérêt public, la valeur de la sanction globale, la connaissance du dossier
général de la guerre des concessionnaires et des informations […] de l’OPC»,
il a été précisé dans l’article publié qu’une part des responsabilités des
erreurs de publicité pouvait être attribuée à La Tribune;
– qu’il
apparaissait plus juste et approprié d’impliquer la compagnie (Groupe Dymax)
plutôt qu’un seul de ses actionnaires et les composantes de cette compagnie;
– que «c’est en
tout respect de la vérité autant que de l’accusé que La Tribune a pris cette
décision libre de tout souci mercantile».
M. Jacques Pronovost
avise pour sa part que cette plainte, ayant été «portée conjointement et
solidairement» contre lui et M. Dubuc, la réponse de ce dernier est partagée
par la direction de l’information. Le syndicat s’interroge sur les «multiples
précautions et vérifications faites par la direction» eu égard à cette
condamnation; et s’étonne que celle-ci manifeste «pareil souci professionnel» à
cette occasion. Une telle attitude de la direction donne à penser que «le sujet
était de lui-même très « chaud » à ses yeux».
En réponse à
l’argument du journal selon lequel il était plus juste de n’impliquer que la
compagnie Groupe Dymax, plutôt que les concessionnaires condamnés et M.
Beaucage, le syndicat fait valoir que ce faisant, l’article publié implique
l’autre associé de cette compagnie, lequel n’a jamais été condamné.
Le syndicat fait
valoir également: que, quel que soit le contexte ayant entouré cette affaire,
l’OPC a porté des accusations; et que les publicités en question contrevenaient
à la loi. Il était par conséquent dans l’intérêt public de faire connaître le
nom des commerces et de l’administrateur condamnés par la Cour du Québec.
Analyse
Dans le cas présent, le Conseil de presse reconnaît que l’attention que décide de porter un organe d’information à un sujet particulier relève de son jugement rédactionnel. Le choix du sujet, de même que l’importance et le traitement accordés à celui-ci, lui appartiennent en propre. De ce fait, le Conseil considère que la direction du journal La Tribune a usé de ce droit en publiant l’article en question sous cette forme.
De plus, étant donné que le journaliste Gilles Fisette s’est dégagé de toute responsabilité dans la rédaction de l’article considéré, en ne le reconnaissant pas comme sien avant sa publication, le Conseil estime que cet article émane de la direction elle-même et que la responsabilité lui revient dès lors en propre.
Ceci dit, le Conseil déplore que l’intérêt du public ait été desservi en ne publiant pas le nom de l’administrateur et des six commerces de vente d’automobiles condamnés, d’autant plus que la décision de la Cour du Québec s’adressait nommément à ces derniers et non au Groupe Dymax.
Analyse de la décision
- C06G Ingérence de la direction du média
- C12B Information incomplète
Date de l’appel
16 March 1995
Appelant
Le Syndicat des employés
et employées du service de la rédaction de La Tribune [Sherbrooke]
Décision en appel
Le conseil
d’administration du Conseil de presse du Québec a étudié l’appel relié au
dossier susmentionné, à la lumière d’une recommandation de la commission
d’appel.
La décision du
conseil d’administration adoptée sur division est la suivante:
Le Conseil
rappelle que la décision du tribunal d’honneur relative à ce dossier réaffirme
la liberté rédactionnelle d’une entreprise de presse, tout en déplorant le fait
que l’intérêt du public ait été desservi en ne publiant pas le nom de l’administrateur
et de six commerces d’automobiles condamnés. A la suite d’une recommandation de
la commission d’appel et du réexamen du dossier par le conseil
d’administration, lors de sa réunion du 12 janvier 1995, et en consideration du
fait que le droit éditorial ne va pas jusqu’à permettre de cacher des faits
essentiels, ou de n’en puhlier qu’une partie, le Conseil de presse blâme le
quotidien La Tribune.
Analyse de la décision en appel
- C12B Information incomplète
Griefs pour l’appel
Le Syndicat des
employés et employées du service de la rédaction de La Tribune a interjeté
appel de cette décision.