Plaignant
M. André St-Jean
(ex-sous-ministre adjoint, ministère du Revenu du Québec)
Mis en cause
CBFT-TV et
CBF-AM [SRC, Montréal] et Mme Andrée Brassard (journaliste)
Représentant du mis en cause
M. Marc Gilbert
(directeur des nouvelles, CBFT-TV [SRC, Montréal])
Résumé de la plainte
Les 8 et 9 avril
1993, la Société Radio-Canada diffuse un reportage de la journaliste Andrée
Brassard colportant des informations fausses et calomnieuses à l’endroit du
plaignant, qui n’occupe plus de fonctions au gouvernement mais continue de
recevoir un salaire. La journaliste n’a pas cherché à communiquer avec le
plaignant, ce qui lui aurait permis de clarifier la situation et de corriger
certaines affirmations. Le traitement accordé à cette affaire risque de porter
atteinte à sa réputation.
Faits
La plainte
concerne un reportage diffusé sur les ondes de Radio-Canada au Téléjournal du 8
avril 1993 et à l’Edition magazine du 9 avril 1993, ainsi qu’un reportage
radiodiffusé le 8 avril 1993. Ce reportage, réalisé par la journaliste Andrée
Brassard, traite du fait que M. André St-Jean, anciennement sous-ministre
adjoint au ministère du Revenu, n’occupe plus de fonctions depuis plus de 3 ans
et continue à être payé par le gouvernement.
Griefs du plaignant
M. André St-Jean
estime que ce reportage induit «dans une mise en scène sensationnaliste, des
informations fausses, calomnieuses et diffamatoires». Il regrette vivement que
la journaliste Andrée Brassard n’ait pas cherché à communiquer avec lui avant
son reportage, ce qui lui aurait permis de clarifier la situation et de
corriger certaines affirmations.
M. St-Jean tient
en effet à rectifier les informations erronées selon lesquelles il serait sans
fonction depuis 4 ans, bien que nommé à la Commission des services juridiques,
alors que cette situation ne dure en fait que depuis 3 ans et 4 mois. De même,
ce n’est pas près d’un demi-million qu’il a touché, mais seulement moins de 300
000 $.
De plus, M.
St-Jean reproche le passage suivant du reportage: «En 1989, André St-Jean est
sous-ministre adjoint au ministère du Revenu mais le ministre de l’époque Yves
Séguin s’en débarrasse pour des motifs obscurs». Il souligne que les «motifs obscurs»
évoqués par la journaliste sont de nature à induire le public en erreur,
puisque ce sont véritablement des raisons politiques qui ont conduit à cet état
de fait.
Enfin, M.
St-Jean indique, documents et explications à l’appui, qu’il «est faux de prétendre
(qu’il n’a) pas montré d’ouverture aux offres d’emploi du Conseil exécutif
puisque c’est toujours (lui) qui (a) pris l’initiative des rencontres et
discussions».
En conclusion,
M. St-Jean, qui constate que «la société Radio-Canada refuse de reconnaître son
tort et rétracter les faits», déplore un tel traitement «sensationnaliste» de
l’information, «de nature à nuire gravement à (sa) réputation et à (l’) exposer
à l’opprobre de (ses) collègues et de (ses) concitoyens».
Commentaires du mis en cause
En réponse à
cette plainte, la journaliste Andrée Brassard fait les commentaires suivants:
– elle précise
d’abord qu’elle a tenté de rejoindre M. St-Jean avant la diffusion de son
reportage, mais qu’elle n’a pas pu, malgré ses démarches, obtenir ses
coordonnées assez rapidement;
– l’identité de
M. St-Jean a été révélée parce que c’est «un élément important et tout à fait
pertinent puisque c’est la personne même de M. St-Jean qui est au centre de
toute cette histoire»;
– les raisons politiques
qui l’ont écarté de son poste au ministère du Revenu justifient l’expression
«motifs obscurs» et ne «signifient aucunement que M. St-Jean était
incompétent».
– elle fait
valoir que les «trois ans et quatre mois au salaire approximatif de 98,000 $
dépasse les 300,000 $», ce qui approche le demi-million si l’on ajoute les
différentes primes et coûts marginaux alloués aux employés de l’Etat;
– elle souligne
qu’elle s’est exprimée au conditionnel pour ce qui est du peu d’intérêt
manifesté par M. St-Jean pour occuper d’autres emplois; elle rapporte
d’ailleurs que cette information lui a été communiquée par deux personnes
«fiables» au Conseil exécutif.
En conclusion,
Mme Brassard estime avoir accompli son devoir de journaliste en révélant un cas
d’intérêt public.
De son côté, M.
Marc Gilbert, directeur des nouvelles, reprend essentiellement les principaux
éléments développés par la journaliste Andrée Brassard. Il insiste toutefois
sur le fait qu’il n’y a eu «ni mise en scène, ni sensationnalisme» dans le
traitement de cette information.
Analyse
L’objet du reportage mis en cause étant d’intérêt public, il ne s’agit donc pas ici de remettre en cause la décision de Radio-Canada et de Mme Andrée Brassard de traiter de cette affaire. Il s’agit plutôt de déterminer si le traitement accordé à celle-ci est conforme aux règles et aux principes d’éthique journalistique.
Si le choix et le traitement de l’information relèvent du jugement rédactionnel des médias et des journalistes, ceux-ci doivent par contre livrer une information exacte, équilibrée, et conforme aux faits et aux événements. Les choix qu’ils exercent en la matière doivent se faire dans un esprit d’équité et de justice. La véracité des faits et leur degré d’intérêt public sont deux critères qui doivent guider ces choix, a fortiori lorsque des informations publiées risquent de porter atteinte à la réputation de personnes ou de groupes.
Dans le cas présent, le Conseil relève les manquements suivants dans le traitement accordé à cette affaire:
1. Concernant l’information selon laquelle M. André St-Jean a été «approché pour remplir d’autres fonctions, mais (qu’il) n’aurait pas manifesté beaucoup d’ouverture», le Conseil reproche à Radio-Canada et à Mme Brassard d’avoir diffusé une information incomplète. Dans la mesure où Mme Brassard avance que M. St-Jean «aurait manqué d’ouverture», elle aurait dû appuyer cette information. C’est là une information qui peut être discutable. Or, aucun élément venant établir celle-ci n’a été porté à l’attention des auditeurs.
Par ailleurs, la façon dont cette question est présentée fait porter l’odieux de l’inaction à M. St-Jean et est susceptible de porter atteinte à sa réputation. Si cet effet a pu être quelque peu atténué par l’utilisation du conditionnel dans le reportage télévisé, le Conseil déplore que Mme Brassard n’ait pas fait preuve de la même prudence dans son reportage radiodiffusé.
2. Concernant le salaire perçu par M. St-Jean. Le Conseil déplore que Mme Brassard ait quelque peu manqué de rigueur à cet égard dans son reportage.
Il n’est pas inexact d’affirmer, tel que les présentateurs l’ont fait dans leur introduction du reportage télévisé, que cette affaire a coûté près d’un demi-million de dollars aux contribuables. Cette évaluation est vraisemblable si l’on tient compte de l’ensemble des frais qui ont pu incomber au gouvernement employeur. Il est toutefois exagéré de rattacher ce même montant au salaire perçu comme tel par M. St-Jean, tel que le rapporte Mme Brassard dans son reportage: «C’est presqu’un demi-million de dollars que le gouvernement du Québec a versé en salaire à M. St-Jean même s’il n’a pas travaillé».
Enfin, le Conseil ne peut se prononcer, sur la base des versions des parties, sur les démarches effectuées par la journaliste Andrée Brassard afin d’entrer en contact avec M. St-Jean avant la diffusion du reportage. Le Conseil rappelle cependant l’importance de tenter d’obtenir la version des faits des personnes mises en cause dans une nouvelle traitant d’une affaire litigieuse ou controversée. Si après des efforts raisonnables ces personnes ne peuvent être rejointes, il devrait en être fait mention dans le reportage.
Analyse de la décision
- C02A Choix et importance de la couverture
- C11B Information inexacte
- C12B Information incomplète
- C12C Absence d’une version des faits
- C17A Diffamation