Plaignant
La Commission de
protection des droits de la jeunesse [CPDJ]
Représentant du plaignant
Mme Claire
Roberge (secrétaire-adjointe par intérim, Commission de protection des droits
de la jeunesse [CPDJ])
Mis en cause
CBFT-TV [SRC,
Montréal] et Mme Michaëlle Jean (journaliste)
Représentant du mis en cause
M. Claude
Saint-Laurent (directeur général des programmes (Information Télévision),
CBFT-TV [SRC, Montréal])
Résumé de la plainte
Dans un
reportage diffusé à l’émisssion «Le Point» du 23 septembre 1992, sur les ondes
de la Société Radio-Canada, la journaliste Michaëlle Jean identifie certains
jeunes hébergés dans un centre d’accueil en vertu de la Loi sur les jeunes
contrevenants ou de la Loi sur la protection de la jeunesse. Cette façon de
faire compromet les chances de réhabilitation des jeunes concernés.
Faits
La plainte
concerne un reportage diffusé à l’émission Le Point de Radio-Canada, le
mercredi 23 septembre 1992. Ce reportage, signé par la journaliste Michaëlle
Jean, traite de l’incidence du suicide chez les jeunes, dont les jeunes
autochtones, dans les communautés isolées du nord québécois.
Griefs du plaignant
La Commission de
protection des droits de la jeunesse, par l’entremise de Mme Claire Roberge,
secrétaire-adjointe par intérim, déplore que certains jeunes hébergés dans un
centre d’accueil en vertu de la Loi sur les jeunes contrevenants ou de la Loi
sur la protection de la jeunesse sont «identifiables d’autant plus que quelques
uns d’entre eux sont apparus à l’écran avec leur prénom en surimpression».
La Commission
s’interroge sur l’identification dans un reportage de jeunes contrevenants ou
de jeunes en «besoin de protection». Elle est d’avis que «l’intérêt de ces
jeunes est heurté et que cette façon de faire compromet leurs chances de
réhabilitation». De plus, la Commission «ne croit pas que l’identification des
jeunes apporte quoique ce soit au traitement de l’information en contrepartie
des torts qu’elle puisse causer».
La Commission
fait valoir que l’on ne doit pas faire fi du contexte social dans lequel
évoluent ces jeunes. Si un tel reportage peut soulever des interrogations pour
les gens du Sud, il porte autrement à conséquence dans le contexte nordique où
les jeunes et leurs familles sont connus de la population.
Commentaires du mis en cause
Mme Michaëlle
Jean et M. Claude Saint-Laurent, directeur général des programmes (Information
Télévision) de Radio-Canada, dans leurs commentaires respectifs, indiquent:
– que ce
reportage a été réalisé à la suite du suicide d’un jeune toxicomane que Mme
Jean avait interviewé quelques mois auparavant;
– qu’il a été
décidé «qu’il ne fallait surtout pas traiter ce suicide comme un cas
particulier et isolé. Il était nettement question d’une problématique sociale
plus large»;
– que devant la
gravité des problèmes de toxicomanie et de suicide dans les communautés du nord
québécois, divers intervenants, de même que le juge itinérant dans le Grand
Nord du Québec, le juge Jean-Charles Coutu, considéraient qu’il était temps de
rompre le silence et de débattre de cette situation; ces derniers ont donné
leur soutien et loué les efforts déployés par Radio-Canada afin d’informer le
public de ces problèmes;
– que Le Point a
procédé «dans la plus grande sobriété», sans sensationnalisme ni voyeurisme, et
dans un «climat de respect et de confiance mutuelle»; qu’il n’était nullement
question de faire le procès de quiconque. Aucune identification, du genre: «le
jeune x… est ici parce qu’il a commis tel crime ou encore parce qu’il a été victime
de telle ou telle agression», n’a été faite;
– que ce
reportage «a été réalisé avec l’entière collaboration et participation des
responsables du Centre d’orientation l’Etape de Val d’Or; que les séquences ont
été filmées en présence et avec l’assentiment des responsables; que «les jeunes
interrogés, sans exception, l’ont été avec leur consentement et
l’accompagnement d’un éducateur»; que l’équipe de Radio-Canada s’est conformée
aux consignes de confidentialité de la direction du Centre;
En conclusion,
Mme Michaëlle Jean remarque que les normes de la CDPJ ont sans doute leur
raison d’être, mais qu’ils étaient plusieurs à partager le point de vue qu’il
serait «plus judicieux de croire que prendre la parole sur ce qui l’oppresse
est, pour chaque individu, […] une façon de se redonner un peu de pouvoir
[…] sur sa vie» et c’est pourquoi ils ont «passé le micro aux jeunes
concernés».
Analyse
Lorsque la presse juge pertinent d’informer le public sur les aspects d’intérêt public que peuvent représenter des situations et des problèmes impliquant des personnes mineures, elle doit le faire avec la circonspection et la prudence nécessaires afin d’éviter que des torts ne leur soient causés.
Le reportage de Michaëlle Jean et de Radio-Canada met à jour et informe la population sur un problème social grave, à savoir l’incidence élevée de suicides chez les jeunes, dont les jeunes autochtones dans les communautés isolées du nord québécois.
Le Conseil estime que Radio-Canada et la journaliste Michaëlle Jean ont traité ce sujet délicat, dont le caractère d’intérêt public ne peut être contesté, avec professionnalisme et dans le respect des personnes mineures interviewées, et identifiées, de leurs familles et de leurs communautés d’appartenance.
Le problème a été traité sous un angle social, sans ingérence dans la vie privée des jeunes et de leurs familles. Egalement, il apparaît clairement que les précautions nécessaires ont été prises en regard des jeunes concernés, le reportage ayant été réalisé avec l’approbation, la participation et l’accompagnement constant des personnes responsables de ces jeunes.
Compte tenu du contexte particulier du reportage, et de façon exceptionnelle, le Conseil ne retient pas le grief de la Commission de protection des droits de la jeunesse. Il note, toutefois, une tendance grandissante dans les médias, et particulièrement à la télévision dans les émissions d’information ou dans les reportages, tendance qui consiste à présenter à visage découvert des jeunes et des mineurs. Cette tendance inquiète le Conseil de presse, lequel invite les journalistes à la prudence.
Analyse de la décision
- C16B Divulgation de l’identité/photo