Plaignant
Mme Olivine
Duguay
Mis en cause
Châtelaine
[Montréal] et Mme Julie Thibeault (journaliste)
Représentant du mis en cause
Mme Catherine
Elie (rédactrice en chef, Châtelaine [Montréal])
Résumé de la plainte
Dans un texte
sur les mariages gais, publié dans le numéro de janvier 1994 de Châtelaine sous
le titre «Gai, Gai, marions-nous!», la journaliste Julie Thibeault rapporte le témoignage
de la plaignante en déformant, dans une citation, l’esprit de ses propos. La
revue néglige d’obtenir le consentement de la plaignante avant de faire
paraître son témoignage, alors que ce dernier a été obtenu par la journaliste
alors qu’elle était étudiante, aux fins d’un travail universitaire et non pour
publication.
Faits
La plainte
concerne un article sur les mariages gais, paru sous la signature de Mme Julie
Thibeault, dans l’édition de janvier 1994 du magazine Châtelaine. Ce texte, publié
sous forme d’encadré avec le titre «Gai, Gai, marions-nous!», vient compléter
un article de Mme Monique Roy sur la vie des lesbiennes, intitulé «Quand les
femmes préfèrent les femmes».
Griefs du plaignant
Mme Olivine
Duguay reproche un court passage de l’article de Mme Thibeault qui rend compte
de son témoignage sur son mariage de 15 ans avec un homme et de son second
mariage avec une femme. Elle reproche particulièrement la citation suivante au
sujet de son ex-mari: «Mais je n’ai jamais aimé faire l’amour avec mon mari».
Outre le fait
qu’elle considère que ce qui a été publié à son sujet ne reflète pas les propos
qu’elle a tenus lors de l’entrevue qu’elle a accordée à Mme Thibeault, elle dit
être «outrée, profondément blessée et psychologiquement affectée à l’idée que
(ses) enfants apprennent par le biais d’une revue comme Châtelaine, que leur
mère n’a jamais aimé faire l’amour avec leur père; (ce qui est) une fausseté
monumentale».
La plaignante
reproche également à Châtelaine d’avoir publié ce témoignage sans obtenir son
autorisation. A ce sujet, elle relate que Mme Thibeault l’a contactée en mars
1993 afin d’obtenir un entrevue aux fins d’un travail universitaire, mais qu’en
aucun temps il n’a été question que son texte soit publié dans Châtelaine.
Aussi, en
omettant d’obtenir son autorisation pour fin de publication, Mme Duguay
considère que les dirigeants de Châtelaine ont fait preuve d’un manque de
professionnalisme, «le peu qu(‘elle) puisse dire c’est de l’abus de pouvoir et
une atteinte grave à sa vie de famille».
Commentaires du mis en cause
En réponse à
cette plainte, Mme Julie Thibeault dit trouver cette situation très désagréable
et n’ayant pas sa raison d’être. Elle indique que les accusations de Mme Duguay
ne sont pas fondées et que celles-ci la surprennent au plus haut point compte
tenu de la gentillesse que la plaignante a manifesté lorsqu’elle l’a
interviewée.
Mme Thibeault
relate qu’elle a effectivement contacté Mme Duguay en mars 1993, à titre
d’étudiante en journalisme, afin d’obtenir une entrevue pour un article sur les
mariages gais. Quoiqu’elle n’ait pas écrit cet article dans le but de le
publier (elle terminait alors son baccalauréat), elle lui a indiqué que si
celui-ci s’avérait aussi intéressant qu’elle le prévoyait, il serait peut-être un
jour publié.
Elle indique
qu’elle a fait parvenir copie de son texte à Mme Duguay en mai ou juin 1993,
tel que promis lors de l’entrevue. Elle a décidé par la suite, à la mi-juillet
1993, d’envoyer son texte à Châletaine qui l’a acheté pour publication au début
de 1994. Mme Thibeault indique qu’elle a informé la plaignante que son texte
serait publié dans Châtelaine. Or, Mme Duguay n’a en aucun temps réagi ni après
qu’elle lui ait fait parvenir son texte ni lorsqu’elle lui a téléphoné pour
l’informer de sa parution éventuelle.
Quant à ce qui a
été publié concernant Mme Duguay, Mme Thibeault remarque que la phrase
litigieuse n’était qu’un détail dans son article et que ce n’est pas ce qu’elle
aurait voulu retenir de son témoignage lors de l’entrevue. Elle souligne
toutefois que les coupures effectuées dans son texte initial par Châtelaine
étaient hors de son contrôle. Elle fait par ailleurs valoir qu’elle n’aurait
jamais pu inventer un tel énoncé sur la vie sexuelle de Mme Duguay si celui-ci
ne lui avait pas été mentionné par cette dernière. Le faire aurait été immoral.
Pour sa part,
Mme Catherine Elie, rédactrice en chef de la revue Châtelaine, indique que
lorsque le texte de Mme Thibeault a été révisé avant publication, des
précisions et des vérifications lui ont été demandées; et que cette dernière a
apporté les modifications requises. Toutefois, pour des raisons d’espace, le
texte original de Mme Thibeault, constitué de six feuillets, a été réduit à
deux feuillets.
Mme Elie
mentionne également que Châtelaine veille à ce que les textes soient scrutés
avec soin pour éviter de possibles recours en diffamation. Aussi, le magazine a
pour politique de rappeler les personnes interviewées si leurs propos n’ont pas
été enregistrés pour s’assurer que leurs citations sont exactes. Cependant,
dans le cas du court passage publié sur Mme Duguay, «Rien dans ce petit texte
ne prêtait d’après nous à une quelconque controverse, puisque les vérifications
demandées avaient été faites».
Mme Elie indique
par ailleurs qu’après publication, la plaignante est entrée en contact avec
Châtelaine pour signifier que les propos qu’on lui prêtait n’étaient pas ceux
qu’elle avait tenus. Il lui a alors été proposé de publier son opinion à ce
sujet dans une prochaine édition, ce que Mme Duguay a refusé. Il a lui
également été offert à deux reprises de rencontrer Mme Thibeault dans les
locaux de Châtelaine, mais la plaignante n’a donné aucune suite.
En conclusion,
et après son enquête maison dans cette affaire, Châtelaine a la conviction que
Mme Duguay a été avertie de la publication de l’article et que Mme Thibeault
lui «a bien relu les propos qui lui sont prêtés dans (celui-ci) et que cette
dernière les a approuvés».
Analyse
Le Conseil de presse rappelle que la rigueur intellectuelle et professionnelle dont doivent faire preuve les médias et les journalistes constitue la garantie d’une information de qualité. Cette rigueur et ce professionnalisme doivent non seulement se retrouver dans la production finale du travail journalistique, mais également dans la méthode employée pour effectuer celui-ci.
Dans le cas présent, en présence d’affirmations contradictoires et sans vouloir mettre en doute la bonne foi des deux parties, le Conseil ne peut donner raison à l’une ou l’autre pour ce qui est de l’autorisation de publication qui aurait été ou non accordée par la plaignante.
En ce qui concerne la citation litigieuse, il n’est pas possible d’en vérifier l’exactitude puisque l’entrevue n’a pas été enregistrée et que ces propos de la plaignante n’ont pas été consignés par la journaliste Julie Thibeault dans ses notes manuscrites de l’interview.
Cependant, le Conseil constate que les coupures effectuées au texte initial de la journaliste lors de sa publication amènent un éclairage différent sur les propos de la plaignante:
– Texte publié: «Cette union a duré plus de 15 ans. « Mais je n’ai jamais aimé faire l’amour avec mon mari », confie-t-elle».
– Texte initial: «Son mariage a duré plus de 15 ans. « J’étais bien avec lui. Si je ne l’étais pas, ça n’aurait pas duré aussi longtemps. Mais je n’ai jamais aimé faire l’amour, avec lui ou avec tout autre homme »».
Compte tenu de la nature délicate du sujet traité et du contexte dans lequel l’entrevue a eu lieu, soit en vue d’un travail universitaire et non d’un article pour fin de publication, le Conseil conclut ce qui suit:
Dans la mesure où le magazine Châtelaine avait la liberté rédactionnelle d’effectuer des coupures dans le texte initial de la journaliste Julie Thibeault, il avait également la responsabilité de vérifier la teneur exacte des propos de la plaignante retenus pour publication, d’autant plus que les propos litigieux ont été amputés. Le Conseil se serait attendu à ce que Châtelaine fasse preuve de plus de prudence à cet égard compte tenu de l’impact susceptible d’être créé auprès des enfants de la plaignante.
Analyse de la décision
- C06J Modification d’un texte journalistique
- C11D Propos/texte mal cités/attribués
- C23F Faire voir un texte avant publication