Plaignant
M. Jean-Jacques
Pouliot (gestionnaire, Ecole de pilotage de Sorel)
Mis en cause
CHEM-TV [TVA,
Trois-Rivières] et M. Pierre Saint-Yves (journaliste)
Représentant du mis en cause
M. Harold Gagné
(directeur de l’information, CHEM-TV [TVA, Trois-Rivières])
Résumé de la plainte
Le 25 février
1992, la station CHEM diffuse un reportage du journaliste Pierre Saint-Yves
dans lequel un étudiant-pilote accuse l’Ecole de pilotage de Sorel de lui avoir
volé 24 000 $ pour des cours «bidon», portant ainsi atteinte à la réputation du
plaignant, qui gère cette école. Un second reportage, diffusé le 19 janvier
1993, porte également préjudice au plaignant car il est présenté quelques jours
avant la tenue des audiences concernant la poursuite judiciaire intentée par
l’étudiant-pilote. La station refuse au plaignant la possibilité de donner
lui-même sa version des faits.
Faits
La plainte
concerne deux reportages télévisés produits par le journaliste Pierre
Saint-Yves pour la station CHEM-TV, de Trois-Rivières, en date du 25 février
1992 et du 19 janvier 1993. Ces reportages faisaient état des déboires d’un
élève-pilote français au Québec. La plainte est parvenue au Conseil de presse
le 7 février 1994.
Griefs du plaignant
Pour le
plaignant, M. Jean-Jacques Pouliot de Saint-Omer, le reportage effectué par M.
Pierre Saint-Yves porte gravement atteinte à sa réputation, à titre de citoyen
et d’entrepreneur. M. Pouliot indique qu’il est chargé de gérer l’école (de
pilotage) de Sorel au nom de l’entreprise Services aériens spéciaux Madeleine
Lepage Inc.
Le sujet de la
nouvelle était l’histoire d’un étudiant-pilote français, M. Laurent Thibault,
lequel accusait en ondes l’école de Sorel de lui avoir volé 24 000 $ pour des
cours de pilotage bidon.
M. Thibault
avait inauguré deux poursuites, dont une à titre de demandeur avec une autre
personne en Cour Supérieure (district de Trois-Rivières) contre M. Pouliot et
d’autres défendeurs, le 11 mai 1990; l’autre devait se poursuivre au criminel
le 26 janvier 1993. Selon le plaignant, la diffusion du reportage du 19 janvier
1993 (le deuxième), «quelques jours avant la tenue de la dernière audience du
procès en instances criminelles pour l’accusation de fraude contre Pouliot»,
lui a porté préjudice puisqu’elle a été diffusée avant la tenue des audiences
judiciaires.
A la suite de la
diffusion de ce deuxième reportage, M. Pouliot aurait demandé au directeur du
service des nouvelles de CHEM-TV de pouvoir donner lui-même sa version des
faits, ce qui lui aurait été refusé. Le plaignant voit dans la situation qui
lui a été faite «un cas déplorable d’information tendancieuse et diffamatoire».
Commentaires du mis en cause
Pour sa part, M.
Pierre Saint-Yves, journaliste, précise que son intention était simplement de
présenter une histoire digne d’intérêt puisque M. Thibault affirmait avoir
versé 24 000 $ à une école qui n’existait pas. L’étudiant français aurait alors
porté plainte contre M. Pouliot pour récupérer son argent.
Le défendeur dit
qu’après vérifications, le Service des licences aéronautiques de Transport
Canada à Montréal lui aurait confirmé que «l’Institut de Sorel» ne figurait pas
sur la liste des écoles de pilotage autorisées à opérer avec un permis.
A la lumière de
ces éléments, M. Saint-Yves dit avoir voulu simplement mettre en évidence dans
son reportage les difficultés rencontrées par le jeune Français et que sa
démarche journalistique ne visait d’aucune façon à discréditer qui que ce soit.
Réplique du plaignant
M. Pouliot
soumet divers documents de la cour faisant état d’acquittements dans le
dossier: a) poursuites au civil intentées en mai 1990 et déboutées en novembre
1990; b) accusations en vertu du Code criminel et acquittements le 23 janvier
1993. Il explique que les étudiants français en cause avaient abandonné leur
cours de formation de pilotes, sans le consentement de l’école, et sans prendre
en considération non plus les biens qu’il avaient reçus (billet d’avion,
location de voiture, logement, etc.) pendant la durée de leur séjour.
M. Pouliot croit
que le journaliste Pierre Saint-Yves et le services des nouvelles de CHEM-TV
auraient dû prendre connaissance de la poursuite que M. Laurent Thibault avait
entreprise en 1990 contre M. Pouliot et son entreprise.
Le plaignant
répète que M. Saint-Yves et le Service de nouvelles de CHEM-TV ont manqué de
professionnalisme en ne s’informant pas des faits, et que leur comportement a
gravement porté atteinte à sa réputation et à son intégrité. Il fournit par
ailleurs au Conseil quatre lettres reliées aux certificats et licences
d’exploitation d’une entreprise.
Analyse
Les médias et les journalistes doivent livrer au public une information complète et conforme aux faits et aux événements. Ils ne peuvent se contenter des faits qui paraissent crédibles; ils doivent s’assurer de leur véracité, obtenir les différentes versions des faits et présenter une information équilibrée.
Le tribunal d’honneur du Conseil de presse a étudié attentivement les deux reportages et les divers documents mis à sa disposition. Or le journaliste Pierre Saint-Yves et CHEM-TV, surtout dans le reportage télévisé du 19 janvier 1993, n’ont de toute évidence pas fait preuve de jugement dans le choix des renseignements qu’ils ont communiqués au public dans l’affaire qui est l’objet de la plainte. De l’avis du Conseil, ils n’ont pas été non plus attentifs à des tentatives de manipulation de l’information, dans cette affaire. On se serait attendu à un contenu davantage équilibré des reportages télévisés, notamment à une présentation de la perspective de M. Jean-Jacques Pouliot, à cause notamment de la gravité des accusations prononcées par M. Laurent Thibault. Le Conseil voit là un manquement sérieux et il blâme à la fois CHEM-TV et le journaliste Pierre Saint-Yves pour ce manquement.
Le Conseil de presse n’en maintient pas moins que le droit du public à être informé serait grandement diminué, voire compromis, si les médias ne faisaient pas état des poursuites judiciaires, et ce même si pour une affaire en cour, un jugement n’est pas encore rendu. L’administration de la justice est publique et il importe qu’elle soit rendue comme telle malgré le caractère privé et souvent délicat de certains dossiers. Par ailleurs, le droit à un procès juste et impartial est un principe fondamental que la presse doit respecter d’une façon scrupuleuse. La presse doit, entre autres choses, éviter de recourir au procédé de culpabilité par association; elle doit aussi assurer une suite rigoureuse de l’information et accorder autant d’importance à l’acquittement d’un prévenu qu’à son inculpation ou à sa mise en accusation.
Analyse de la décision
- C12A Manque d’équilibre
Date de l’appel
21 August 1995
Appelant
CHEM-TV [TVA,
Trois-Rivières] et M. Pierre Saint-Yves (journaliste)
Décision en appel
Les motifs
d’appel ont été jugés non pertinents par la commission. a) Le fait qu’il y ait
eu rencontre entre le plaignant et l’ex-directeur de l’information de CHEM-TV
n’apporte pas vraiment un élément nouveau dans le dossier, aucune suite à cette
rencontre n’ayant été donnée en ondes. b) Par ailleurs, même si le nom du
plaignant n’était pas donné dans le deuxième reportage (celui de janvier 1993),
ni le nom de son entreprise, la commission a estimé que les deux reportages
(février 1992 et janvier 1993) étaient liés dans l’esprit du public, du moins
chez ceux qui connaissaient le plaignant. En outre, la plainte formulée et la
décision rendue portaient sur les deux reportages.
La commission
d’appel a donc maintenu la décision du tribunal d’honneur blâmant CHEM-TV et le
journaliste Pierre Saint-Yves pour n’avoir pas fait preuve d’un discernement
judicieux dans le choix de l’information à diffuser, pour n’avoir pas été
attentifs aux tentatives de manipulation de l’information dans l’affaire en
cause et pour n’avoir pas assuré l’équilibre requis dans les reportages de
février 1992 et de janvier 1993.
Griefs pour l’appel
M. Pierre
Saint-Yves, journaliste, et M. Harold Gagné, directeur de l’information de
CHEM-TV ont interjeté appel de cette décision.
Dans leur appel
de la décision rendue, deux motifs principaux ont été invoqués par les
défendeurs: a) une rencontre entre le plaignant et l’ex-directeur de
l’information de CHEM-TV témoignant de la bonne foi de la direction du média;
b) le fait que ni le nom du plaignant ni le nom de son entreprise n’aient été
mentionnés dans le second des deux reportages en cause.