Plaignant
La Nation
huronne-wendat
Représentant du plaignant
M. Max
«One-Onti» Gros-Louis (Grand Chef, Nation huronne-wendat) et M. Bernard Cleary (représentant,
Nation huronne-wendat)
Mis en cause
Le Soleil
[Québec] et M. André Bellemare (journaliste)
Représentant du mis en cause
M. Gilbert Lavoie
(rédacteur en chef, Le Soleil [Québec])
Résumé de la plainte
Depuis quelques
années, dans sa chronique de chasse et pêche, le journaliste André-A. Bellemare
du Soleil mène une campagne de dénigrement à l’encontre de la nation huronne.
Cette chronique est devenue une tribune politique en raison du choix des termes
utilisés et de l’omission volontaire de certaines informations. Le journaliste
utilise des sources anonymes, ce qui empêche de vérifier l’authenticité des
informations correspondantes.
Faits
Le 18 septembre
1995, le Conseil de la Nation huronne-wendat porte plainte auprès du Conseil de
presse contre M. André A. Bellemare, journaliste, et le journal Le Soleil. Il
leur reproche d’avoir mené une campagne de dénigrement contre la cause de la
Nation huronne depuis plusieurs années en publiant, dans la chronique de M.
Bellemare, une information partiale, incitant à la discrimination raciale,
utilisant de surcroît des sources anonymes, et incitant à penser à l’existence
d’un conflit d’intérêts.
Griefs du plaignant
Le Conseil de la
Nation huronne-wendat considère que les chroniques publiées par M. Bellemare
sont des «informations biaisées qui détruisent la crédibilité de la cause qu’il
défend et réduisent donc considérablement les chances d’arriver à une entente
avec le gouvernement québécois». Le conseil a donc demandé à M. Bernard Cleary,
représentant la Nation Huronne et ancien journaliste, d’établir un rapport sur
les chroniques de M. Bellemare en analysant les manques d’éthique dont a pu
faire preuve ce journaliste dans l’exercice de son métier.
Ce rapport tente
de mettre en perspective la présente plainte par rapport au problème plus
général de reconnaissance de l’existence d’une Nation huronne. M. Cleary
rappelle que, déjà en 1979, la Commission des Droits de la personne avait mis
en garde les différents intervenants quant à leur responsabilité vis-à-vis des
peuples concernés par ce débat. Il souligne dans la seconde partie de son
rapport que le gouvernement de Québec a déjà pris des dispositions législatives
en faveur de ces peuples, leur garantissant un territoire, une culture et un
mode de vie distincts.
Dans une
troisième partie, M. Cleary s’attache à l’analyse des chroniques de M.
Bellemare, parues en 1993 dans le journal Le Soleil, afin de décrire et
d’expliquer les griefs retenus contre ce journaliste. La Charte du journalisme
de la FPJQ adoptée en 1987, le Projet de guide de déontologie de la FPJQ paru
dans Le -30- en 1995 et la jurisprudence du Conseil de presse sont ses
principales références. M. Bellemare aurait profité, depuis plusieurs années,
de sa chronique chasse-pêche dans Le Soleil pour développer un discours de
dénigrement et de fausses informations contre la Nation huronne. Sa chronique
serait devenue une tribune politique par la publication d’une information
partiale, soit par le choix des termes utilisés, soit par l’omission volontaire
de certaines informations (comme l’existence de textes juridiques reconnaissant
les droits de ces minorités). M. Bellemare aurait eu recours à des sources
anonymes pour étayer sa chronique, ne permettant donc pas à son lecteur de
s’assurer de l’authenticité des informations ainsi délivrées. M. Cleary soupçonne
ce journaliste d’avoir agi dans le but de protéger les intérêts de particuliers
mis en danger par la reconnaissance de la particularité huronne, en ce qui
concerne la chasse et la pêche.
Le Conseil de la
Nation huronne note que le Conseil de presse a auparavant décidé de rejeter une
plainte similaire: la chronique est un style de journalisme particulier, dans
lequel le journaliste peut faire preuve d’une plus grande latitude dans le
traitement de l’information. Il lui apparaît, qu’au cours des dernières années,
M. Bellemare a dépassé les limites de l’éthique journalistique. Sa chronique
est devenue un prétexte pour inciter les chasseurs et pêcheurs québécois à la
discrimination et à la haine raciale vis-à-vis des minorités du Nord Québec. La
régularité de sa publication porte à croire qu’elle pourrait façonner les
esprits, portant le discrédit sur la cause huronne et toute possibilité de
coexistence.
Le Conseil de la
Nation huronne-wendat demande au Conseil de presse de s’exprimer sur cette
affaire. Il considère comme légitime que M. Bellemare et Le Soleil soient
blâmés. Il réclame, en contrepartie du préjudice subi depuis vingt ans, la
publication d’un dossier rétablissant les faits et, par là même, l’image de la
minorité huronne.
Commentaires du mis en cause
Le 20 novembre
1995, M. Gilbert Lavoie, rédacteur en chef du Soleil, soutient son chroniqueur,
M. Bellemare, en affirmant qu’il a toujours rempli le mandat qui lui a été
confié par le journal.
Le 20 novembre
1995, M. Bellemare répond des griefs retenus contre lui par le Conseil de la
Nation huronne-wendat. En ce qui concerne la forme de la plainte, M. Bellemare
estime qu’elle ne correspond pas à la demande du tribunal d’honneur puisque M.
Cleary cite des documents antérieurs à l’année 1993. Sur le fond, M. Bellemare
veut se contenter de répondre aux principales accusations de M. Cleary.
– Le chroniqueur
tient d’abord à rappeler les efforts déployés par Le Soleil pour parvenir à
«rapprocher les deux parties» au cours des dernières années, toujours en vain;
ce qui lui fait penser que cette plainte n’est «qu’une autre occasion de
présenter la cause [des Hurons] sur la place publique».
– Il considère
comme «extravaguant et excessif» le fait d’être assimilé à «un maître à
penser», «dictant ses volontés aux fonctionnaires et aux politiciens».
– M. Bellemare
estime que cette plainte «s’inscrit dans le cadre d’une stratégie»: en déposant
cette plainte, le Conseil de la Nation huronne-wendat voudrait faire un exemple
pour pousser les journalistes à l’autocensure ou au soutien passif de ces
revendications.
– M. Bellemare
précise le mandat qu’il a reçu du journal Le Soleil: «surveiller toutes les
activités reliées au monde de la chasse et de la pêche, […] les mettre en
perspective et les commenter». Il réfute toute accusation de conflit d’intérêts
puisque tous ses déplacements sont autorisés par la Direction du journal. De
plus, il précise que «l’information concernant les autochtones ne constitue
qu’une infime partie» des sujets qu’il traite, et que ce traitement ne doit pas
obligatoirement refléter la totalité des aspects et des opinions sur ces
sujets.
– Le Soleil a
toujours permis aux autochtones de s’exprimer dans ses colonnes, et M.
Bellemare note, qu’en vingt-trois années d’activités, il a écrit des chroniques
positives sur leurs activités.
En conclusion,
M. Bellemare estime avoir «accompli son mandat honnêtement». Selon lui, cette
plainte n’est qu’un moyen pour la Nation huronne-wendat «de faire prendre au
Conseil de presse une position dans un débat hautement politique et émotif». M.
Bellemare propose donc au tribunal d’honneur de la rejeter.
Analyse
Le Conseil de presse rejette la plainte concernant l’incitation délibérée à la discrimination raciale dans les textes d’André Bellemare. Cependant, le Conseil de presse reproche à M. Bellemare d’entretenir des préjugés populaires vis-à-vis des populations autochtones en utilisant des généralisations abusives et des stéréotypes négatifs dans certains de ses articles.
En tant que chroniqueur, il est légitime que M. Bellemare exprime son point de vue sur les agissements de certains Hurons, dans le domaine de la chasse et de la pêche. La chronique est en effet un genre journalistique particulier, tenant autant du reportage d’information que du commentaire ou de l’éditorial. Le chroniqueur jouit par conséquent d’une grande latitude dans l’expression de ses jugements ou de ses points de vue. Mais, il doit conserver à l’esprit la responsabilité sociale que son métier d’informateur public lui impose en veillant à ne pas déformer les faits et à présenter au public une information rigoureuse, exacte et honnête.
Le Conseil de presse estime que la situation conflictuelle qui peut naître de l’application des lois provinciales face aux revendications autochtones est un sujet complexe, qui requiert un traitement journalistique rigoureux. Certains commentaires ironiques sur les croyances des Hurons ou l’inversion des termes qui voudrait que les Blancs soient victimes de discrimination de la part des autochtones entretiennent certains préjugés et animosités entre les groupes concernés.
De plus, M. Bellemare utilise à plusieurs reprises des sources anonymes. Le Conseil de presse précise que la source anonyme doit toujours rester l’exception dans le travail de recherche de l’information. Le journaliste doit indiquer la nature de sa source, avoir des raisons valables de préserver son anonymat et vérifier l’authenticité de l’information reçue. Le Conseil estime que M. Bellemare n’a pas donné les moyens à ses lecteurs de s’assurer de cette authenticité: qualifier une source d’«informateur» ne semble pas suffisant pour garantir sa crédibilité.
Devant la preuve présentée par les deux parties, le Conseil de presse ne peut se prononcer sur la question des intérêts particuliers que M. Bellemare défendrait dans ses chroniques. Le Conseil de presse n’a pas les éléments significatifs pour statuer sur ce sujet.
Analyse de la décision
- C03B Sources d’information
- C18C Préjugés/stéréotypes
- C18D Discrimination
- C22H Détourner la presse de ses fins