Plaignant
M. Patrice
Tremblay (réalisateur, CBFT-TV [SRC, Montréal])
Mis en cause
Le Journal de
Montréal et M. Franco Nuovo (chroniqueur)
Résumé de la plainte
Dans sa
chronique «Le bouffon d’ascenseur», publiée dans l’édition du 20 septembre 1994
du Journal de Montréal, le journaliste Franco Nuovo règle ses comptes avec le
plaignant à la suite d’une brève rencontre au cours de laquelle ce dernier a
commenté une chronique précédente le concernant. Le journaliste rapporte un
léger différend qui ne présente aucun intérêt pour les lecteurs, tout en
abusant de son pouvoir et en versant dans l’insulte.
Faits
Le 14 septembre
1994, Le Journal de Montréal publiait une chronique du journaliste Franco Nuovo
intitulée «En zappant». M. Nuovo commentait la couverture de la soirée
électorale provinciale du 12 septembre 1994 par les différents réseaux de
télévision (Radio-Canada, Radio-Québec et TVA).
Le 20 septembre suivant,
M. Nuovo signait une deuxième chronique intitulée «Le bouffon d’ascenseur» dans
laquelle il commentait la réaction de M. Patrice Tremblay, réalisateur à la
Société Radio-Canada, à sa chronique du 14 septembre. M. Nuovo et M. Tremblay
s’étaient croisés par hasard quelques jours après la parution de la chronique
du 14 septembre dans un ascenseur de l’édifice de Radio-Canada. M. Tremblay
avait alors fait part à M. Nuovo de son désaccord sur sa façon de voir les
choses concernant la production de la soirée électorale à Radio-Canada.
La plainte
concerne cette deuxième chronique.
Griefs du plaignant
M. Patrice
Tremblay reproche à M. Nuovo d’avoir écrit une chronique qui entache sa
réputation et qui va à l’encontre de toute éthique professionnelle. Il souligne
que la conversation qui a eu lieu entre lui et M. Nuovo consistait en une
«courte et simple conversation d’ascenseur, devant témoin, qui aurait dû, en
principe, s’arrêter là».
Selon M.
Tremblay, M. Nuovo a toutefois préféré abuser de son pouvoir de journaliste
pour régler ses comptes personnels en publiant une chronique qui «revêt un ton
insultant, verse dans la facilité du rabaissement le plus odieux et tombe dans
les attaques les plus basses», et de surcroît, sur un sujet qui n’était d’aucun
intérêt pour les lecteurs.
M. Tremblay
considère que «Se servir d’une tribune publique pour s’en prendre de manière
vulgaire et sans civilités à un réalisateur de la SRC, le traiter de bouffon,
de pépère, de petit clown tout en le tutoyant « ad nauseam » tout au
long de la chronique — qui n’est d’ailleurs consacrée qu’à cela de la première
à la dernière ligne –est inadmissible, inconcevable et mérite un
« pensum »».
Commentaires du mis en cause
M. Franco Nuovo
soutient pour sa part que la conversation qui a eu lieu entre lui et M.
Tremblay n’avait rien de privé. Cette conversation a commencé au pied des
ascenseurs dans le hall central de Radio-Canada, un édifice fédéral et public,
lorsque M. Tremblay l’a apostrophé devant plusieurs personnes pour lui
manifester son désaccord sur sa chronique du 14 septembre, et s’est poursuivie
ensuite dans l’ascenseur devant témoins.
M. Nuovo indique
que M. Tremblay s’est présenté comme étant du service des communications et
réalisateur à Radio-Canada. Partant, il n’y avait aucun doute que M. Tremblay
se présentait comme un employé et un porte-parole officiel de Radio-Canada. Il
ajoute que M. Tremblay savait par ailleurs à qui il parlait et pas une fois il
n’a fait mention de la portée confidentielle des propos échangés.
M. Nuovo signale
que M. Tremblay s’est permis lors de cette conversation de mettre en doute son
intégrité professionnelle en lui faisait remarquer que puisqu’il lui arrivait
de collaborer à titre de chroniqueur de cinéma à certaines émissions (de
Radio-Canada), «(qu’il) mordai(t), par (ses) critiques et en particulier par
cette chronique sur les élections, la main qui (le) nourrissait».
Aussi, après
avoir réfléchi, M. Nuovo dit avoir décidé de rédiger une chronique et de
raconter ce qui s’était passé, non pas pour «régler des comptes personnels»
comme M. Tremblay le soutient, mais parce que cette mésaventure illustrait bien
«le climat « radio-canadien » actuel et le jeu de certaines intrigues
lesquelles, en cette période de crise, contribuent à alimenter le malaise qui règne
au sein d’une télévision financée à même les fonds publics». En d’autres mots,
cette histoire lui permettait de commenter et de mettre en lumière un certain
nombre d’éléments qui «caractérisent et empèsent la Société Radio-Canada
d’aujourd’hui: l’esprit corporatif, la lourdeur bureaucratique et la confusion
du discours « radio-canadien », etc.».
M. Nuovo indique
qu’il s’est servi de l’anecdote, comme il le fait souvent et régulièrement,
pour exprimer son opinion sur la chose publique, artistique et culturelle. Il croyait
alors et croit toujours que la chronique en litige, dans la continuité de la
première qu’il a signée, était d’intérêt public.
Enfin, il
signale qu’il a nommé M. Tremblay dans sa chronique, comme il le fait toujours,
mais qu’il a omis son prénom afin d’éviter l’apparence du «règlement de compte»
et surtout pour ne pas le pointer du doigt, laissant ainsi planer le doute
autour des milliers de Tremblay du Québec et des quelques dizaines qui
travaillent à Radio-Canada.
Réplique du plaignant
M. Tremblay
réplique que M. Nuovo «tente sans réussir à masquer par une contorsion
intellectuelle (les) manquements flagrants dont il faisait preuve dans sa
chronique au chapitre du respect et de la dignité». Il remarque que M. Nuovo a
un esprit tordu ou à tout le moins endormi pour le considérer comme un
porte-parole officiel de la Société Radio-Canada du fait qu’il s’est présenté
comme étant du service des communications et réalisateur à Radio-Canada.
M. Tremblay
souligne que M. Nuovo a le droit d’exercer son métier de chroniqueur et de
critique avec tous les droits que cela comporte, mais aussi avec les
obligations qui s’y rattachent, dont le respect des personnes qu’il critique.
Analyse
La chronique permet à son auteur d’exprimer, dans un style qui lui est propre, ses opinions, critiques et points de vue. Cette latitude ne le soustrait cependant pas au devoir de respecter les personnes et de ne pas les discréditer indûment.
Dans le cas présent, M. Franco Nuovo était en droit de commenter la réaction du plaignant au texte qu’il signait le 14 septembre 1994 au sujet de la couverture de la soirée électorale, de se servir de la conversation d’ascenseur qu’il a eue avec ce dernier comme point de départ de sa chronique, et d’exprimer son point de vue et ses critiques à l’égard de la Société Radio-Canada.
Sa chronique s’attaque cependant dans une mesure importante et de façon gratuite à la personne même de M. Tremblay. M. Nuovo fait ici porter au plaignant le poids de sa charge à l’encontre de Radio-Canada. Le Conseil déplore que ce faisant, et de par le ton insultant et arrogant qu’il utilise à l’endroit de M. Tremblay, M. Nuovo ait contribué à jeter le discrédit sur sa personne.
Analyse de la décision
- C01A Expression d’opinion
- C17E Attaques personnelles