Plaignant
Les Editions La
Pensée inc.
Représentant du plaignant
M. Albert
Duchesne (directeur des services pédagogiques, Les Editions La Pensée inc.)
Mis en cause
L’Actualité
[Montréal] et Mme Agnès Gruda (journaliste)
Représentant du mis en cause
M. Jean Paré
(rédacteur en chef, L’Actualité [Montréal])
Résumé de la plainte
Dans son article
«Quand la morale est immorale», publié dans le numéro du 15 septembre 1994 de
L’Actualité, la journaliste Agnès Gruda s’intéresse au programme d’enseignement
de la morale et au matériel pédagogique correspondant en employant une technique
d’analyse lacunaire. Cet article fait preuve d’une méconnaissance évidente du
sujet traité, en plus de présenter des informations incomplètes, imprécises et
simplificatrices.
Faits
Le 15 septembre
1994, L’actualité, publiait un article intitulé: «Quand la morale est
immorale», consacré au programme d’enseignement de la morale au Québec et à une
critique d’imprimés (cahiers d’exercices) reliés à cet enseignement.
L’article
commente le contenu d’un guide d’enseignement moral attribué aux Editions La Pensée,
cite des commentaires de parents, d’écoliers et d’enseignants; il commente
aussi les imprimés de d’autres maisons d’édition.
Griefs du plaignant
Les Editions La
Pensée inc., par l’entremise de M. Albert Duchesne, directeur des services
pédagogiques, formulent un plainte au Conseil de presse, le 28 septembre 1994.
Il est demandé au Conseil de se pencher sur l’article pour juger du
professionnalisme de la technique d’analyse employée et de l’échantillonnage
retenu; il est aussi demandé une rectification portant sur les affirmations
biaisées ou erronées, ainsi que sur certaines omissions importantes.
Le plaignant
écrit que sa plainte s’articule autour de trois défauts majeurs qu’il attribue
à la journaliste:
1) le recours à
une méthode d’analyse de contenu qui isole quelques rares éléments
fragmentaires du matériel et les cite sans contextualisation pédagogique ou
disciplinaire, guidée, semble-t-il, par le souci d’avoir avant tout un «punch»
provocateur;
2) une méconnaissance
évidente de l’histoire des programmes et de l’instrumentation didactique en
enseignement moral, laquelle conduit à des affirmations réductrices et même
erronées;
3) des
affirmations imprécises et simplificatrices et de graves omissions touchant
notamment la démarche d’apprentissage prônée par le ministère de l’Education du
Québec (MEQ).
Le plaignant
écrit que l’article lui apparaît superficiel, mal ciblé, peu soucieux des
genèses et des liens, n’évitant pas les pièges de la généralisation à outrance
pour ne pas dire ceux de la désinformation. Il considère que l’article témoigne
plus d’un journalisme de rumeurs, que d’un journalisme d’enquête.
La plainte
ajoute que l’article de Mme Gruda semble symptomatique du fossé de plus en plus
profond qui se creuse entre le monde des médias et celui de l’éducation; le
plaignant préconise une approche médiatique «en toute connaissance de cause,
avec rigueur, loin des images tapageuses et racoleuses ou des propos
simplificateurs ou purement négatifs».
Commentaires du mis en cause
La direction du
périodique L’actualité, par la voix de M. Jean Paré, a expliqué, dans sa
réponse à la plainte, pourquoi l’article n’a pas fait une analyse de contenu ou
une contextualisation pédagogique. Il commente par ailleurs la plainte et
certaines des affirmations qu’elle contient. Enfin, en ce qui a trait à un
texte du plaignant présenté pour publication dans L’actualité à titre de
réplique à l’article, M. Paré le dit impubliable à cause de ses quinze
feuillets, et indique avoir présenté un résumé succinct de ce texte, le 15
novembre 1994, dans la rubrique des lettres des lecteurs.
La journaliste
visée par la plainte, Mme Agnès Gruda, a pour sa part présenté une réponse à la
plainte, en affirmant entre autres choses que les reproches à son endroit
étaient injustifiés et dénotaient une méconnaissance profonde des pratiques
journalistiques courantes. Elle considère avoir procédé selon la pratique
d’enquête journalistique: hypothèse critique, démonstration par des faits,
commentaires opposés à l’hypothèse de départ. Elle estime s’être acquittée de
sa tâche en respectant toutes les règles de la profession.
Pour ce qui est
de l’ouvrage des Editions La Pensée, Mme Gruda estime qu’un manuel scolaire
doit pouvoir se défendre tout seul et qu’un mauvais livre d’enseignement […]
demeure un mauvais livre, quel que soit le contexte. Elle reprend ensuite
divers aspects de la plainte: le questionnaire sur les drogues, l’humour relié
à la question des mauvaises manières, les liens entre M. Debunne et le
Ministère, son commentaire sur l’état de vide sidéral du marché des manuels de
morale, l’appellation de la méthode d’enseignement de la maison d’édition, des
avis sur le caractère thérapeutique de la méthode, le choix des propos
recueillis en entrevue avec les plaignants et le caractère de controverse
associé à la méthode.
Réplique du plaignant
M. Albert
Duchesne, directeur des services pédagogiques des Editions La Pensée inc.,
donne la réplique de manière cinglante aux commentaires de M. Jean Paré,
paragraphe par paragraphe, pour conclure au maintien de sa plainte.
La réplique aux
commentaires de Mme Agnès Gruda, dans une veine similaire, est signée par le
conseil d’administration des Editions La Pensée inc., à l’unanimité.
Analyse
Le Conseil déplore que la journaliste Agnès Gruda et L’actualité n’aient pas respecté les distinctions qui s’imposent entre les différents genres journalistiques. En effet, ces derniers doivent être facilement identifiables pour éviter d’induire le public en erreur sur l’information qu’il reçoit.
Dans le cas présent, il y a un évident mélange de genres entre le reportage et l’éditorial. En effet, dans un reportage, les médias doivent habituellement s’en tenir à rapporter les faits et les situer dans leur contexte sans les commenter. On ne peut y retrouver les humeurs du journaliste. Le Conseil croit qu’ici, ce fut le cas.
La journaliste donne une orientation au reportage: elle martèle le plaignant en le visant directement. Elle admet, elle-même, que Les Editions La Pensée inc. constituent un quasi-monopole dans le domaine de l’édition scolaire concernant l’enseignement de la morale.
La journaliste de L’actualité porte un jugement, d’ailleurs exprimé dès le titre («Quand la morale est immorale»), et soutient une thèse tout au long de son article sans donner au lecteur — ce qui est le but d’un reportage — les informations nécessaires pour qu’il puisse se former une opinion en toute connaissance de cause.
Analyse de la décision
- C20A Identification/confusion des genres
Date de l’appel
22 September 1997
Appelant
L’Actualité
[Montréal]
Décision en appel
Après étude du
dossier, les membres de la Commission d’appel considèrent non fondée la plainte
déposée par Les Editions de la Pensée à l’encontre de la journaliste Agnès
Gruda et le magazine L’Actualité.
La décision de la
Commission d’appel repose sur les éléments suivants:
– L’importance
de différencier les genres journalistiques — comme s’était efforcé de le faire
le tribunal de premiere instance –, en tenant compte de l’évolution de la
pratique journalistique au Québec, au cours de la dernière décennie. Or, de
l’avis de la Commission, le contenu des publications de type «magazine» comme
L’Actualité se situe à la frontière de deux genres journalistiques: ceux de la
nouvelle et du commentaire.
L’article signé
par Mme Gruda, intitulé «Quand la morale est immorale», emprunte le style
personnalisé du magazine et, bien qu’il ne fasse pas oeuvre scientifique, ne
respecte pas moins les grands principes journalistiques que sont l’exactitude
des faits, la rigueur et l’équilibre. L’article de Mme Gruda, estime la
Commission, a présenté au public-lecteur, sur la question des manuels
scolaires, un tour d’horizon suffisamment complet.
Conséquemment,
le Conseil de presse du Québec accueille favorablement l’appel de L’Actualité
et exonère Mme Agnès Gruda.
Analyse de la décision en appel
- C20A Identification/confusion des genres
Griefs pour l’appel
L’Actualité
porte appel de la décision rendue par le Conseil de presse.