Plaignant
Mme Denise
Carlux
Mis en cause
La Presse
[Montréal] et Mme Lisa Binsse (journaliste)
Représentant du mis en cause
M. Claude Masson
(vice-président et éditeur adjoint, La Presse [Montréal])
Résumé de la plainte
La Presse et sa
journaliste Lisa Binsse accordent une couverture exagérée au 19e congrès de
l’Union internationale de l’industrie du gaz, tenu en Italie, après avoir
accepté un voyage payé par la firme Gaz de France. Les articles de la
journaliste, publiés le 9 juillet 1994 sous les titres «Retard prononcé du
Québec dans le gaz naturel» et «Le Canada reste un petit marché pour le gaz»,
font l’apologie du gaz naturel, sans chercher à dépasser «l’information
officielle».
Faits
La plainte
concerne deux articles parus dans le cahier Economie de La Presse, le 9 juillet
1994, sous la signature de la journaliste Lisa Binsse. Ces articles, titrés
«Retard prononcé du Québec dans le gaz naturel» et «Le Canada reste un petit
marché pour le gaz», font suite au 19e congrès mondial du gaz de l’Union
internationale de l’industrie du gaz tenu à Milan en Italie.
Griefs du plaignant
Mme Denise
Carlux reproche la couverture journalistique qui a été accordée à cet événement
par Mme Lisa Binsse et le journal La Presse. Elle formule les trois griefs
suivants.
1. L’ampleur de
la couverture: Mme Carlux considère que la couverture de ce congrès, si l’on
tient compte de la portée et de l’importance de celui-ci, a été nettement exagérée
par rapport à d’autres événements similaires. Elle relève à cet égard le fait
qu’une pleine page a été accordée à ces articles, l’importance des photos
publiées et le compte rendu détaillé des titres et des propos tenus par les
principaux participants du congrès.
2. Une
information biaisée: il semble à Mme Carlux que la journaliste Lisa Binsse fait
l’apologie du gaz naturel, en tant que source d’énergie, sans avoir exercé un
jugement critique face à cette énergie. Elle en veut pour preuve les faits que
la journaliste a choisi de rapporter. Selon Mme Carlux, la journaliste s’en est
tenue à l’«information officielle», sans chercher à aller au-delà de celle-ci.
3. Un voyage
payé: Mme Carlux trouve déplorable que Mme Binsse ait accepté un voyage payé par
une firme privée, Gaz de France, et que La Presse ait autorisé celui-ci. Elle
estime que ce voyage payé peut expliquer le manque de rigueur de la couverture
accordée à cet événement, et considère que le fait d’accepter ce voyage
contrevient aux normes d’éthique journalistique du Conseil de presse en matière
de conflit d’intérêts.
Commentaires du mis en cause
Mme Lisa Binsse,
appuyée entièrement par M. Claude Masson, vice-président et éditeur adjoint de
La Presse, remarque d’abord que Mme Carlux a parfaitement le droit de ne pas
apprécier ses articles, tout comme elle a le droit de considérer que le 19e
congrès mondial de l’industrie du gaz est assez banal. Elle n’entend donc pas
s’attarder au fait que la plaignante considère que son reportage est nettement
exagéré par rapport à l’importance de cet événement. Elle souligne cependant
que l’impact d’un article n’a rien à voir avec sa longueur.
Mme Binsse
conteste par ailleurs les affirmations de la plaignante selon lesquelles elle
aurait fait l’apologie de l’énergie du gaz et accordé une couverture biaisée et
tendancieuse à cet événement. D’une part, elle souligne qu’elle a écrit un
texte direct et précis, sans avoir recours à des moyens détournés pour dire
quelque chose. D’autre part, elle indique que son reportage, écrit à partir
d’informations obtenues de part et d’autre, porte sur l’industrie du gaz
naturel en Europe, au Canada et au Québec. Elle ne voit pas en quoi il est
tendancieux de faire état d’une industrie, de comparer son importance dans
différents pays, de rapporter les projections de cette industrie en terme de
croissance des marchés, etc. Il ne s’agissait pas ici d’une analyse sur les
avantages et les désavantages de différentes sources d’énergie.
Il apparaît à
Mme Binsse que le coeur de la plainte concerne le fait que le voyage qu’elle a
effectué a été payé par Gaz de France, et que cela, selon Mme Carlux, explique
qu’elle aurait manqué de rigueur. A ce sujet, Mme Binsse remarque que
malheureusement la profession journalistique est divisée sur cette question.
Elle est d’avis qu’il serait préférable que la profession débourse elle-même
les frais de tels voyages, mais que la réalité est tout autre.
Mme Binsse ne
croit pas, honnêtement, que sa couverture de cet événement aurait été
différente si La Presse avait payé les frais de ce voyage. Elle signale par
ailleurs que la section économie de La Presse a pris l’habitude de mentionner
aux lecteurs, par souci de transparence, que le journal était l’invité d’une
entreprise ou d’un organisme, comme cela fut fait dans le présent cas.
Analyse
Dans le cas présent, la lecture des articles en litige ne permet pas de conclure, à l’instar de la plaignante, que ceux-ci démontrent un parti-pris de la part de la journaliste Lisa Binsse, ni que cette dernière fait l’apologie de l’énergie du gaz naturel. Ces reportages reflètent le genre de couverture qui peut être faite d’un événement comme ce congrès mondial de l’industrie du gaz.
Toutefois, l’élément de plainte relié au voyage payé fait problème, dans l’esprit du Conseil de presse, qui fait notamment le reproche au quotidien La Presse de ne pas avoir publié dans le deuxième article une mention indiquant qu’il s’agissait d’un voyage payé.
Le premier article rend compte de l’événement en faisant état de la nature du congrès et des objectifs des participants (faire le point sur l’évolution de l’industrie du gaz et les nouvelles technologies dans ce secteur, développer des relations d’affaires, etc.), et rapporte des interventions et des commentaires de représentants de l’industrie, dont des représentants du Canada et du Québec. Le deuxième article aborde pour sa part certains aspects de l’industrie du gaz quant au développement des marchés, à la production et à la consommation du gaz naturel dans différents pays.
En fonction des constatations précédentes, le tribunal d’honneur du Conseil de presse ne peut tirer la même conclusion que la plaignante quant à l’emplacement et à l’espace qui ont été accordés à ces reportages et aux photos qui les accompagnent. Le Conseil rappelle que les décisions en la matière relèvent de la discrétion rédactionnelle des médias. Ceux-ci sont en effet libres de l’importance qu’il accordent à la couverture d’un événement et à la publication qui peut en découler.
Par ailleurs quant à savoir si le traitement accordé à la couverture de cet événement a été affecté par le fait que le voyage effectué par Mme Binsse a été payé par la firme Gaz de France, rien n’indique au tribunal d’honneur du Conseil, à la lecture de ceux-ci, que la distance critique qu’elle doit préserver en tant que journaliste a été influencée par ce fait. Il est cependant admis que l’acceptation de voyages payés prête flanc aux interrogations que le public peut avoir quant à l’impartialité de l’information qui leur est livrée. De plus, il apparaît au Conseil de presse que les voyages payés s’apparentent de plus en plus aux publi-reportages et requièrent sensiblement les mêmes avertissements aux lecteurs.
Information d’intérêt public
Enfin, le Conseil note que La Presse a publié à la fin du premier reportage la mention «La Presse était l’invité de Gaz de France». Le Conseil estime cependant que cette mention était insuffisante et qu’elle prête à ambiguïté d’où un reproche adressé au quotidien La Presse. Tel que le Conseil le fait valoir dans son avis sur l’acceptation de voyages gratuits ou d’autres services semblables par des médias ou par des journalistes, les médias devraient informer les lecteurs qu’un voyage a été effectué ou qu’un reportage a été rendu possible, en tout ou en partie, grâce à l’apport financier de l’entreprise ou de l’organisme concerné. Le Conseil de presse estime que cette information est elle-même d’intérêt public et que le public y a droit. Se contenter de mentionner que le ou la journaliste a été «invité(e)» par une entreprise ou un organisme ne suffit pas, cette seule mention pouvant prêter à ambiguïté.
Analyse de la décision
- C02A Choix et importance de la couverture
- C12B Information incomplète
- C13A Partialité
- C13C Manque de distance critique
- C22A Voyage gratuit