Plaignant
Le Parti
québécois du comté de Rivière-du-Loup
Représentant du plaignant
M. Jean
Desjardins (avocat)
Mis en cause
Le
Saint-Laurent-L’Echo [Rivière-du-Loup], Le Portage [Rivière-du-Loup] et M.
Gilles LeBel (rédacteur en chef)
Résumé de la plainte
Le rédacteur en
chef du Saint-Laurent-L’Echo et du Portage, M. Gilles LeBel, profite de ses
fonctions pour mousser ses opinions politiques. L’édition du 7 septembre 1994
du Saint-Laurent-L’Echo n’accorde pas l’importance voulue à la visite de
députés seniors du Parti québécois dans le comté de Rivière-du-Loup, en
comparaison avec la couverture accordée au chef du Parti de l’action
démocratique, M. Mario Dumont. De plus, le 11 septembre, dans Le Portage, M.
Lebel signe sous le titre «L’autre façon de gouverner…» une réplique
revancharde au communiqué du Parti québécois dénonçant la situation au
Saint-Laurent-L’Echo. Cette même édition ne présente que deux lettres ouvertes
favorables à M. Dumont et une lettre défavorable au candidat du Parti
québécois. Enfin, la signataire de la plus longue de ces lettre est également
signataire d’une chronique au Saint-Laurent-L’Echo.
Faits
Les hebdomadaires,
Le Saint-Laurent-L’Echo et Le Portage, ont tous deux traité d’événements reliés
à la compagne électorale québécoise du 12 septembre 1994, le premier dans son
numéro du 7 septembre, le second dans celui du 11 septembre.
Griefs du plaignant
La plainte de M.
Jean Desjardins, procureur du Parti québécois du comté de Rivière-du-Loup,
porte sur le manque d’impartialité et de jugement du journal Le
Saint-Laurent-L’Echo et de son rédacteur en chef, M. Gilles LeBel, pour avoir
confondu l’importance régionale de deux événements, soit la venue de députés
seniors dans le comté et l’accueil reçu par monsieur Mario Dumont de la part
des sympathisants de son parti au Cap-de-la-Madeleine.
La plainte porte
aussi sur une réplique de M. Gilles LeBel, dans le journal Le Portage, réplique
intitulée «L’autre façon de gouverner…», que le plaignant trouve porteuse
d’un titre tendancieux, lequel démontrerait une utilisation revancharde d’un
outil public de communication par M. LeBel. M. Desjardins reproche spécifiquement
à cette réplique de désinformer le public à l’égard d’un communiqué du Parti
québécois dénonçant la situation au Saint-Laurent-L’Echo.
Il est aussi
reproché notamment à M. LeBel d’avoir utilisé des termes sarcastiques pour
dénigrer l’auteur du communiqué, d’avoir consacré 20% plus d’espace au véhicule
motorisé de campagne de M. Mario Dumont qu’à l’annonce de l’appui de quatre
maires de la région au candidat du Parti québécois, de n’avoir présenté qu’en
page 20, de façon laconique et sous un texte négatif, la venue du chef du Bloc
québécois, M. Lucien Bouchard, pour appuyer le candidat du Parti québécois.
Le plaignant
ajoute que la même édition du journal Le Portage a publié trois lettres
concernant l’élection, deux appuyant M. Mario Dumont et la troisième dirigée
contre le candidat du Parti québécois; il se dit aussi préoccupé du fait que la
plus longue des trois lettres soit signée par madame Lise Paradis, auteure
d’une chronique hebdomadaire au journal Le Saint-Laurent-L’Echo.
Le plaignant, M.
Jean Desjardins, considère que le rédacteur en chef des deux journaux, M.
Gilles LeBel, a utilisé son poste afin de mousser ses opinions politiques
personnelles, en plus de démontrer qu’il était incapable de composer avec la
critique.
Dans l’ensemble,
M. Desjardins considère que Le Saint-Laurent-L’Echo a dissimulé insidieusement
son option politique par son comportement journalistique général, tandis que Le
Portage, qui ne contient pas d’éditorial, est allé plus loin dans son
comportement partisan, une journée avant l’élection du 12 septembre.
Commentaires du mis en cause
Monsieur Gilles
LeBel, au nom des hebdomadaires Le Saint-Laurent-L’Echo et Le Portage, trouve
anormal que la plainte ne porte que sur les numéros des 7 et 11 septembre 1994,
considérant que les hebdos mis en cause ont traité de la campagne électorale
bien avant ces dates.
Relativement au
choix de l’emplacement de photos et du contenu de la une du
Saint-Laurent-L’Echo, M. LeBel rappelle que cette responsabilité relève du rédacteur
en chef et de l’éditeur. Il n’accepte pas, par ailleurs, un autre reproche
qu’on lui fait d’avoir accordé un espace rédactionnel avec photo au candidat du
Parti de la Loi naturelle.
A l’égard du
reproche de manque d’impartialité dans le traitement des nouvelles des
«seniors» du Parti québécois en visite à Rivière-du-Loup, en comparaison de la
présence de M. Mario Dumont au Cap-de-la-Madeleine, M. LeBel précise que le
reportage alors consacré à M. Dumont visait le chef du Parti de l’Action démocratique
du Québec et non le candidat du même parti dans le comté de Rivière-du-Loup.
Le mis-en-cause,
au sujet du commentaire publié le 11 septembre dans Le Portage, explique qu’il
s’est agi d’un droit de réplique d’un journaliste visé en l’occurrence par une
manoeuvre du Parti québécois. En rapport avec la rubrique des lettres ouvertes,
il explique que son journal a appris à démasquer ceux et celles qui sont
peut-être mandatés par le Parti québécois pour remplir les tribunes de lecteurs
des journaux, alors que dans le cas de la lettre de Mme Paradis, celle-ci ne
s’était pas identifiée comme chroniqueure, mais de façon anonyme, comme
auraient pu le faire les douze autres Lise Paradis de la région.
Le rédacteur en
chef, M. Gilles LeBel, fournit aussi avec sa réplique à la plainte copie d’une
lettre au bureau du Directeur général des élections du Québec relative à un
publi-reportage qui aurait été signalé au Directeur général des élections,
parce qu’il ne comportait pas l’autorisation de publication par l’agent
officiel du parti de M. Dumont.
Réplique du plaignant
Le plaignant, M.
Jean Desjardins, a décliné de fournir une réplique au défendeur, considérant
que le tribunal d’honneur du Conseil de presse disposait de tout ce qui était
requis pour prendre une décision.
Cette plainte
nous présente un exemple d’un cas où le Conseil se doit de dépasser les limites
de la plainte émise et d’examiner un problème qui n’est même pas soulevé par le
plaignant, le Parti québécois de Rivière-du-Loup.
Analyse
Le plaignant considère que Le Saint-Laurent-L’Echo n’a pas livré une information objective, tant sur l’espace rédactionnel, que sur le genre de couverture réservée à chacun des partis. Le Conseil n’accueille pas cette plainte.
Tout en rappelant que les médias ont l’obligation et le devoir de livrer une information équilibrée et conforme aux faits et aux événements, le Conseil rappelle que cet équilibre ne se mesure pas en centimètres ni même selon la position d’un article ou d’un autre dans le journal. C’est la couverture en général qui est plutôt visée. Si on reconnaît au plaignant le droit de discuter de la pertinence des choix éditoriaux dans les numéros soumis, il n’apparaît pas au Conseil de presse qu’il y ait vraiment eu déséquilibre dans l’information du numéro du 7 septembre 1994 du Saint-Laurent-L’Echo.
D’autre part, l’éditorial et le commentaire constituent des tribunes réservées à l’éditeur notamment pour exprimer des convictions, des tendances et des points de vue. Le Conseil n’accueille donc pas non plus l’élément de plainte relié au titre et au contenu du commentaire de M. LeBel dans le numéro du 11 septembre 1994 du journal Le Portage. Que le Parti québécois ne soit pas d’accord avec la teneur de l’opinion émise par M. LeBel ne signifie pas pour autant que l’article constitue un manquement à l’éthique journalistique.
Par contre, en dépit du principe voulant que la politique de publication des lettres de lecteurs relève de la prérogative et de la responsabilité de l’éditeur, le Conseil de presse ne peut que déplorer le choix, par la rédaction, d’une lettre d’un de ses propres chroniqueurs au détriment d’autres venant de lecteurs. Le chroniqueur, faut-il le rappeler, dispose déjà d’un accès aux pages de l’hebdo, en plus d’un droit de réplique reconnu aux commentaires des lecteurs. Il nous aurait semblé plus équitable de donner, surtout dans la page réservée aux lecteurs, la chance de s’exprimer à quelqu’un qui en a moins souvent l’occasion et les moyens.
2) Le véritable problème
L’exemple présenté a toutefois donné au tribunal d’honneur du Conseil de presse l’occasion de se pencher sur un problème qui n’est sûrement pas spécifique au Saint-Laurent-L’Echo mais qui contribue néanmoins à miner la crédibilité des médias, soit la confusion qui peut parfois exister entre la publicité et l’information.
Présenter à la une d’un journal un publi-reportage comme s’il s’agissait d’un texte de nouvelles semble au Conseil plonger les lecteurs en pleine confusion et cette pratique mérite en soi un blâme.
Que le rédacteur en chef lui-même accepte une commande d’un annonceur (le Parti de l’Action démocratique) et écrive un publi-reportage contre rémunération apparaît au Conseil de presse tout aussi inacceptable et constitue un comportement qui commande lui aussi un blâme. Le Conseil de presse veut bien croire que M. Gilles LeBel ait fait «un compte rendu juste et le plus fidèle possible». Cette situation soulève des questions fondamentales pour le public, notamment: 1) qu’en est-il de la perception du public?; 2) Comment le lecteur peut-il croire que le journaliste, payé par celui qu’il couvre, pourra être objectif?; 3) Comment peut-il croire qu’il aura le droit d’écrire la vérité si tout ne se déroule pas aussi bien que prévu pour le «client»?
La crédibilité est fondamentale pour un journaliste. Or, de telles pratiques ne peuvent que miner cette crédibilité et entretenir la confusion dans l’esprit du lecteur.
Cette pratique n’étant pas spécifique au Saint-Laurent-L’Echo, le Conseil ne veut pas pointer du doigt cet hebdo et lui faire porter tout l’opprobre. Le Conseil veut plutôt se servir de cet exemple, qui aurait peut-être pu se retrouver dans plusieurs autres médias, pour tenter d’établir certaines balises. Un journaliste n’est pas et ne devrait jamais devenir un rédacteur publicitaire pour des gens ou organismes qu’il est appelé à couvrir car il ne pourrait plus alors conserver l’apparence d’objectivité qui est essentielle à l’exercice de son métier.
La réalité des hebdos, lesquels disposent souvent de peu de moyens et d’une équipe rédactionnelle fort réduite, n’est pas toujours facile. Le Conseil le sait fort bien. Malgré tout, les journalistes devraient tout de même s’abstenir de créer et même d’entretenir ce genre de confusion qui ne peut que leur être néfaste à long terme, à eux, à leurs médias et à l’ensemble de la profession journalistique.
Analyse de la décision
- C01A Expression d’opinion
- C02A Choix et importance de la couverture
- C08A Choix des textes
- C21A Publicité déguisée en information
- C21G Indépendance des services d’information et de publicité