Plaignant
M. Pierre
Panaccio (avocat)
Mis en cause
Le Journal de
Montréal et M. Michel Auger (journaliste)
Résumé de la plainte
Dans son édition
du 3 janvier 1995, Le Journal de Montréal illustre l’article «Les motards
criminalisés du Québec» du journaliste Michel Auger par une photo de groupe
comprenant le nom et la date de naissance des individus représentés. La
vignette sous la photo indique à tort que tous ces individus sont membres des
Hells Angels, tandis que l’article laisse entendre que tous les membres des
Hells Angels sont des trafiquants de drogue.
Faits
La plainte
concerne la publication dans Le Journal de Montréal, le 3 janvier 1995, d’un
article intitulé «Les motards criminalisés du Québec». L’article était illustré
par une photo de groupe, identifiant les personnes comme des membres des Hells
Angels et indiquant leurs nom et date de naissance.
Griefs du plaignant
Me Pierre
Panaccio reproche au journaliste Michel Auger de ne pas avoir respecté la norme
du journaliste prudent lors de la parution de l’article du 3 janvier 1995.
Me Panaccio
dénonce l’utilisation d’une photo de groupe où des informations nominatives et
personnelles sont inscrites dans des encadrés juxtaposés sur la photo. La
vignette accompagnant cette photo laisse entendre que toutes les personnes
photographiées sont membres des Hells Angels. Et le texte de l’article
laisserait entendre que tous les membres des Hells Angels sont des trafiquants
de drogue.
Me Panaccio
mentionne que cinq des personnes photographiées ne sont plus membres des Hells
Angels, et que leur association à un groupe tel que décrit par M. Auger peut
leur être nuisible. D’autre part, Me Panaccio explique que seules trois personnes
photographiées ont des casiers criminels reliés à la drogue.
Me Panaccio
déplore que le respect à la vie privée, à l’honneur et à la dignité, ainsi que
la présomption d’innocence, sont des principes qui n’ont pas été respectés lors
de la publication de l’article en cause.
Commentaires du mis en cause
M. Michel Auger
fait parvenir au Conseil de presse du Québec, deux articles qui ont été publiés
le 25 mars 1995.
Le premier
article est titré «Les Hells portent plainte auprès du CPQ» et il est
sous-titré «Présumé « manquement à l’éthique »».
Dans la partie
réponse de l’article, le journaliste Michel Auger énonce différents arguments.
Il cite le
rédacteur en chef d’alors, M. Pierre Francoeur: «Notre journal n’a jamais utilisé
des informations personnelles et ne publie surtout pas des informations sur les
enfants des membres des Hells Angels.»
M. Auger écrit
que l’article incriminé est un résumé fidèle d’une entrevue accordée par deux
officiers supérieurs de la Sûreté du Québec chargés de la lutte au crime
organisé dans la province. Il précise que les informations fournies par les
policiers sont exactes et que les événements récents confirment l’existence
d’une guerre entre les bandes de motards.
M. Auger écrit
que les Hells Angels ont refusé catégoriquement et à plusieurs reprises
d’accorder des entrevues et ses demandes d’explications.
M. Auger
reconnaît que cinq des personnes photographiées ne sont plus membres du
mouvement. Il explique que l’un s’est suicidé, un autre a pris sa retraite
après 30 ans d’activité dans le mouvement motard, un troisième est déménagé
dans le groupe situé à Trois-Rivières et que les deux autres personnes sont
actuellement emprisonnées à vie pour leur participation à la purge de
Lennoxville en 1985.
M. Auger précise
qu’au moins dix-sept des personnes photographiées ont déjà été condamnées pour
des crimes majeurs tels le meurtre, la tentative de meurtre, etc.
Le deuxième
article est titré «Ils portent plainte au Conseil de presse» et a comme
sous-titre: «Contre Le Journal de Montréal».
Réplique du plaignant
Me Panaccio
déplore que les défendeurs n’ont pas respecté les délais pour la production de
commentaires, et qu’ils ont continué leurs commentaires sarcastiques à l’égard
des Hells Angels.
Me Panaccio
relève certains éléments du Rapport annuel du Conseil de presse, tels que:
– la protection
de la vie privée et le droit à l’image sont accentuées par le nouveau Code
civil;
– les
journalistes doivent développer à l’égard du respect de la présomption
d’innocence «une éthique plus rigoureuse»;
– la large
latitude dont jouissent l’éditorial, la chronique ou le commentaire d’opinion
ne s’applique pas à l’article incriminé.
Les
généralisations utilisées par M. Michel Auger, telles que «Pour les Hells Angels
ce produit c’est la drogue»… «Ils s’entendent comme larron en foire avec les
membres de la maffia […]», laissent entendre au lecteur moyen que toutes les
personnes ainsi photographiées sont activement impliquées dans le trafic de
drogue. Dans cette perspective, Me Panaccio indique que l’article constitue de
la désinformation.
Me Panaccio
constate que s’il est difficile de déterminer la mauvaise foi de M. Auger, on
peut affirmer que son article contient des demi-vérités, et que le ton et la
forme de l’article causent un préjudice sérieux aux membres des Hells Angels.
Analyse
Le Conseil de presse est d’avis que la publication de la photographie de groupe, comme telle, représentant des membres des Hells Angels et utilisée pour illustrer les propos d’un article sur la guerre des bandes de motards et plus particulièrement la bande des Hells Angels, est pertinente et acceptable. Cependant, dans le présent cas, ce n’est pas uniquement les personnes mises en cause dans l’article qui sont clairement identifiées, mais tous les personnages de la photo. En outre, l’appartenance à un groupe de motards n’étant pas un crime, les personnes non impliquées par les propos de l’article avaient le droit de conserver minimalement leur anonymat. Le Conseil de presse reproche donc au Journal de Montréal d’avoir identifié tous les personnages de la photo, par des renseignements nominatifs qui ne sont pas mentionnés dans l’article, et non seulement les personnages identifiés dans le texte de l’article du 3 janvier 1995.
Le Conseil de presse rappelle à cet égard que les médias et les journalistes doivent faire preuve de circonspection, afin de s’assurer que les illustrations et les événements soient en lien direct entre eux et ne risquent pas de créer de la confusion sur le véritable sens de l’information transmise.
Analyse de la décision
- C16B Divulgation de l’identité/photo