Plaignant
Le Conseil des
médecins, dentistes et pharmaciens du Centre hospitalier Laurentien
Représentant du plaignant
Dr Pierre Roy (président,
Conseil des médecins, dentistes et pharmaciens du Centre hospitalier
Laurentien)
Mis en cause
L’Hebdo
Laurentien [Ste-Agathe-des-Monts], M. Bernard Béland (journaliste) et M. Benoît
Morin (éditeur)
Résumé de la plainte
Entre le 4 mai
1994 et le 15 février 1995, le journaliste Bernard Béland et l’éditeur Benoît
Morin, de L’Hebdo Laurentien, signent une série de textes empreints de
partialité et d’inexactitudes autour d’une affaire touchant la qualité des
services médicaux dans le département de chirurgie du Centre hospitalier
Laurentien, portant ainsi atteinte à la réputation de cette institution. Les
articles de M. Béland font état de rumeurs et rapportent des informations non
vérifiées.
Faits
La plainte
concerne la publication de plusieurs articles et éditoriaux dans l’hebdomadaire
L’Hebdo Laurentien, les 4, 11 et 25 mai 1994, les 12, 19 et 26 octobre 1994,
les 9 et 16 novembre 1994, le 21 décembre 1994, les 11 et 25 janvier 1995 et
les 8 et 15 février 1995. Ces articles et éditoriaux sont signés par M. Bernard
Béland, journaliste, et M. Benoît Morin, éditeur.
Griefs du plaignant
Le Conseil des
médecins, dentistes et pharmaciens du Centre hospitalier Laurentien porte
plainte contre MM. Béland et Morin et le journal L’Hebdo Laurentien pour avoir
publié une information partiale, non vérifiée et mettant en cause la réputation
du Centre hospitalier Laurentien.
Le 1er mars
1995, le Dr Pierre Roy porte plainte auprès du Conseil de presse, au nom du
Conseil des médecins, dentistes et pharmaciens dont il est le président.
Le CMDP reproche
à MM. Béland et Morin d’avoir publié, dans les pages de L’Hebdo Laurentien, des
articles et éditoriaux empreints de «partialité, d’inexactitude de
l’information et de manque d’éthique journalistique».
Le CMDP estime
qu’il y avait «un but évident de salir la réputation du CHL» en ne présentant
«qu’un seul côté des événements».
Le 20 avril
1995, le CMDP apporte certaines précisions à sa plainte.
L’affaire était
en fait centrée sur une question de qualité de l’acte médical dans le
département de chirurgie et non pas exclusivement sur la mise sous tutelle. Le
CMDP devait statuer après avoir mené une enquête en respectant une certaine
procédure.
Le personnel
hospitalier se devait de rester discret tout au long du processus.
Le CMDP joint
les articles et éditoriaux en cause, publiés entre mai 1994 et février 1995.
MM. Béland et Morin y rapporteraient les faits «d’une manière partiale,
tendancieuse, inexacte ou incomplète»: «la population aurait été mal informée
et inutilement inquiétée et la réputation du CHL entachée».
Le CMDP commente
les articles en cause.
– M. Béland a eu
recours à la rumeur et à des informations non vérifiées. L’absence
d’explication concernant le fonctionnement des institutions en cause (CHL et
CMDP) a entraîné de la désinformation.
– Le CMDP estime
également que MM. Béland et Morin ont traité d’une manière partiale ce dossier
en posant des questions générales, en faisant des associations douteuses et en
défendant la thèse du complot et du règlement de compte.
A deux reprises,
L’Hebdo Laurentien a dû publier une rétractation, concernant la Fondation
médicale et «le médecin agathois».
Le CMDP conclut
que MM. Béland et Morin ont «largement versé dans l’incompétence, la partialité
et l’atteinte à la réputation».
Commentaires du mis en cause
Le Conseil de
presse n’a reçu aucune réponse de L’Hebdo Laurentien, qui a, depuis les
événements, fermé ses portes, ni de son ex-éditeur, M. Benoît Morin.
Le 25 mai 1995,
M. Béland soumet sa version des faits.
Il précise que
ses éditoriaux devaient être percutants puisqu’ils faisaient partie de «la
stratégie marketing» du journal.
Ses articles
étaient basés sur une récolte d’informations auprès d’«informateurs très
divers»: du notable à la prostituée.
Le premier
article relatant la mise sous tutelle du CHL avait comme origine une source
anonyme («une personne qui travaille au CHL»). M. Béland a pu, le lendemain,
converser avec le président du conseil d’administration, puis «les portes du
CHL lui furent fermées».
En septembre,
des extraits du Rapport Desjardins ont été publiés par L’Hebdo Laurentien. «Le
journal a alors décidé de soutenir la cause des deux chirurgiens suspendus et
de fouiller le plus possible la tutelle» en utilisant des «informateurs divers»
au sein du CHL.
M. Béland estime
n’avoir été coupable d’aucune faute. Il affirme: «ce qu’on me reproche, c’est
d’avoir livré une information percutante, certes, mais qui ne se conformait pas
à l’image que ces gens avaient d’eux-mêmes».
Réplique du plaignant
Le 2 octobre
1995, le CMDP réplique que M. Béland aurait dû prendre le temps de «confronter
ses sources» au lieu «d’accepter trop facilement les rumeurs».
Le CMDP précise
que «le centre du problème était […] des dissensions importantes au sein du
département de chirurgie», problème que le CMDP se devait de trancher après
enquête. M. Béland aurait dû faire preuve de retenue et attendre la fin du
processus d’évaluation «au lieu de se lancer à corps perdu dans la
dénonciation», «ne faisant qu’accroître les rumeurs et l’insécurité du public
pour accroître le tirage de son journal».
Analyse
Le Conseil de presse blâme le journaliste Bernard Béland pour avoir utilisé un traitement de l’information partial, pour avoir manqué de rigueur dans la recherche et la vérification de l’information, et n’avoir pas respecté les distinctions entre les genres journalistiques.
Le choix du traitement journalistique d’un événement relève du jugement des professionnels de l’information. Leur responsabilité essentielle est de rapporter fidèlement les faits au public. Pour cela, ils se doivent d’éviter de prendre position en faveur d’une des parties en cause, afin de présenter une information complète et conforme aux faits.
Le Conseil de presse estime que dans cette affaire M. Béland a voulu, au fil de ses articles, défendre une thèse particulière: l’existence d’un conflit à l’intérieur du CHL amenant «la vieille garde» à vouloir se débarrasser des plus jeunes médecins, comme Mme Genest. Cette prise de position de la part du journaliste a engendré un ensemble de manquements à l’éthique journalistique.
Alors que l’utilisation d’une source anonyme doit toujours rester l’exception, M. Béland en a abondamment usé dans sa collecte d’informations. Ses sources étaient «des médecins» ou «des infirmières» du CHL dont il rapportait les propos sans que le public puisse s’assurer de leur crédibilité.
Le Conseil de presse note que sa seconde source d’information était la Dr Genest, alors que le journaliste prend sa défense à plusieurs reprises. Ce manque d’esprit critique a ainsi amené M. Béland à déformer la réalité, par exemple en interprétant d’une manière erronée la décision du CAS.
M. Béland a négligé son travail de collecte et de vérification de l’information: il a préféré recourir à la rumeur et n’a pas cherché de source d’information contradictoire. Ce manque de rigueur a obligé le journal à publier deux rétractations et a entraîné la publication d’une information incomplète et déséquilibrée.
Par ailleurs, les professionnels de l’information doivent respecter les distinctions qui s’imposent entre le reportage et l’éditorial. Si dans les deux cas ils se doivent de se conformer aux faits, le reportage est un style journalistique particulier dans lequel le journaliste ne peut prendre parti ou exprimer un avis.
M. Béland a utilisé dans ses reportages un style éditorial en émettant des opinions personnelles sur la situation à l’intérieur du CHL. Il a choisi à plusieurs reprises de poser une série de questions sans jamais y répondre, laissant libre cours à l’interprétation du lecteur.
L’absence de mise en contexte de certains faits ou d’explication sur le fonctionnement d’institutions telles que le CMDP et le CHL n’ont pas permis au public de se forger sa propre opinion sur les événements en cause.
La confusion des genres journalistiques et l’absence de rigueur dans la démarche journalistique de M. Béland ont entravé l’accès du public à une information claire et conforme aux faits sur un dossier mettant en cause directement la qualité des soins dans un hôpital public.
Analyse de la décision
- C03B Sources d’information