Plaignant
Mme Hilda
Nicholas
Représentant du plaignant
M. Stephen
Ashkenazy (avocat)
Mis en cause
Le Journal de
Montréal, M. Guy Roy (journaliste, Le Journal de Montréal), M. Jean-Maurice
Duddin (journaliste, Le Journal de Montréal), La Presse [Montréal] et Mme Lucie
Côté (journaliste, La Presse [Montréal])
Représentant du mis en cause
M. Claude Masson
(vice-président et éditeur adjoint, La Presse [Montréal])
Résumé de la plainte
Le Journal de Montréal
et La Presse mentionnent l’origine amérindienne des victimes d’une double
noyade et du survivant de cette tragédie, alors qu’une telle information n’est
aucunement pertinente. Dans son article «2 Amérindiens se noient : Et la police
cherche le mystérieux survivant», publié par Le Journal de Montréal le 12 mai
1995, le journaliste Guy Roy rapporte que les trois jeunes hommes impliqués
dans cet incident «étaient vraisemblablement en état d’ébriété», même si aucune
preuve ne démontre l’état du survivant.
Faits
La plainte
concerne des articles parus les 12, 19 et 24 mai 1995 dans Le Journal de
Montréal et un texte publié le 14 mai 1995 dans le quotidien La Presse,
relativement à une noyade survenue au lac des Deux-Montagnes et aux funérailles
des victimes. Deux des trois jeunes hommes impliqués dans cet incident se sont
noyés.
Griefs du plaignant
Mme Hilda
Nicholas, par l’entremise de son avocat, M. Stephen Ashkenazy, formule les deux
reproches suivants:
1) d’avoir fait
mention de l’origine ethnique des victimes et de M. Jason Gabriel, survivant de
cette noyade, puisque celle-ci n’a aucun rapport avec l’incident. Une telle
mention est tout à fait non pertinente, gratuite et raciste:
– dans l’article
de Guy Roy, publié le 12 mai 1995 dans Le Journal de Montréal, sous le titre «2
Amérindiens se noient. Et la police cherche le mystérieux survivant»;
– à la Une du
Journal de Montréal du 19 mai 1995. La manchette «Dans le cortège, un Mohawk
recherché», en surimpression d’une photo du cortège funèbre des deux personnes
qui se sont noyées, est encadrée par une flèche pointant M. Jason Gabriel,
survivant de cette noyade;
– dans l’article
de Jean-Maurice Duddin, publié le 24 mai 1995 dans le Journal de Montréal, sous
le titre «Jason Gabriel toujours au large»;
– dans l’article
de Lucie Côté, paru le 14 mai 1995 dans le quotidien La Presse, sous le titre
«Les corps des deux jeunes Mohawks disparus repêchés». La référence à Jason
Gabriel par la mention «le jeune amérindien».
2) M. Ashkenazy
reproche à M. Guy Roy et au Journal de Montréal, d’avoir rapporté dans
l’article du 12 mai 1995, titré «2 Amérindiens se noient», que les trois hommes
impliqués dans cet incident «étaient vraisemblablement en état d’ébriété»,
alors qu’il n’y a aucune preuve que M. Jason Gabriel, celui qui a survécu à
cette noyade, était sous l’influence de l’alcool.
En conclusion,
M. Ashkenazy demande au Conseil de presse de réprimander les mis-en-cause et de
rappeler clairement que la race, la religion, l’ethnie, la nationalité, etc.,
ne devraient pas être signalés à moins que cette détermination ne soit liée
intrinsèquement à l’affaire rapportée.
Commentaires du mis en cause
En réponse à
cette plainte, M. Guy Roy du Journal de Montréal, indique que selon l’enquête
policière, deux des trois hommes impliqués, dont M. Jason Gabriel, ont visité
un bar situé près du lac des Deux-Montagnes le soir du drame et que le
propriétaire de cet établissement a déclaré à la police qu’ils avaient pris
suffisamment de consommations pour être en état d’ébriété.
M. Claude Masson,
vice-président et éditeur-adjoint du journal La Presse, appuie l’argumentation
déposée par la journaliste Lucie Côté. Mme Côté explique que la mention de
l’origine ethnique des victimes et des plongeurs n’était pas gratuite: la
noyade a eu lieu en partie sur le territoire de Kanesatake; ce sont des
plongeurs volontaires de la communauté mohawk qui ont retrouvé les victimes;
des gens de la communauté se sont dévoués sans relâche aux recherches pour
retrouver les corps des deux victimes. Elle conclut que la mention «Amérindien»
n’avait rien de péjoratif, et que désigner ainsi Jason Gabriel lui évitait la
répétition de son nom.
Réplique du plaignant
M. Ashkenazy
réplique que M. Guy Roy du Journal de Montréal ne répond qu’à une des trois critiques
formulées contre lui. Le journaliste ne justifie en aucun cas le fait d’avoir
précisé dans ses articles l’origine ethnique de Jason Gabriel.
Quant à la
réponse de Mme Lucie Côté, du quotidien La Presse, il rétorque qu’«il serait
inacceptable qu’un journaliste québécois, à court d’idées, utilise dans son
article l’expression «le jeune juif» ou «le jeune noir». M. Ashkenazy ne
comprend pas pourquoi il n’en serait pas de même avec les Autochtones.
Analyse
Le Conseil de presse déplore que Le Journal de Montréal et La Presse aient mentionné l’origine amérindienne des individus dont il est question dans les articles «2 Amérindiens se noient»; «Jason Gabriel toujours au large»; et «Les corps des deux jeunes Mohawk disparus repêchés».
Une noyade et le fait qu’un individu soit recherché par les autorités policières ne présentent aucun rapport avec l’origine ethnique des individus impliqués. Il n’était donc pas pertinent d’en faire mention.
Le Conseil rappelle que la mention de l’origine ethnique n’est légitime que lorsque cela est pertinent, c’est-à-dire lorsqu’il y a rapport entre les événements rapportés et l’origine ethnique, ou que celle-ci a une incidence sur ces événements.
Tel est le cas de l’information rapportée le 19 mai 1995 dans Le Journal de Montréal au sujet des funérailles des victimes de cette noyade, en raison de la dimension politique qui a été donnée à ces funérailles. Le fait que le parc municipal d’Oka ait été choisi pour enterrer les deux victimes, un site qui fait l’objet de revendications territoriales par la communauté Mohawk, justifiait la mention de l’appartenance ethnique.
Ainsi, la manchette de la Une «Dans le cortège, un Mohawk recherché. La SQ ferme les yeux» renvoie les lecteurs à trois articles qui traitent du caractère politique de ces funérailles: «Selon David Cliche (responsable du dossier autochtone au gouvernement du Québec) « Une provocation qui ne respecte pas leurs morts »»; «Les Mohawks enterrent deux des leurs dans le parc municipal d’Oka»; «La SQ s’abstient d’intervenir».
Le Conseil rejette par ailleurs le grief concernant l’information rapportée le 12 mai 1995, dans Le Journal de Montréal, selon laquelle les individus impliqués dans l’incident de la noyade «étaient vraisemblablement en état d’ébriété». Le journaliste Guy Roy a appuyé cette information par la mention de sa provenance: «selon certains témoignages recueillis par la SQ».
Analyse de la décision
- C15H Insinuations
- C18A Mention de l’appartenance