Plaignant
CFTM-TV
(Télé-Métropole) [TVA, Montréal]
Représentant du plaignant
M. Philippe Labelle
(directeur des affaires juridiques, CFTM-TV (Télé-Métropole) [TVA, Montréal])
Mis en cause
CBFT-TV [SRC,
Montréal]
Représentant du mis en cause
M. Claude
Saint-Laurent (directeur général des programmes (information TV), Société
Radio-Canada [Montréal])
Résumé de la plainte
La Société
Radio-Canada traite de manière partiale deux polémiques qui l’oppose à
Télé-Métropole, les 17 novembre 1995 et 5 janvier 1996, dans le cadre de ses
bulletins d’information «Montréal ce soir» et «Le Téléjournal». La première
polémique entoure l’acquisition de la trilogie des Beatles par Radio-Canada,
tandis que la seconde porte sur son financement public. Dans les deux cas, la
direction de la Société Radio-Canada expose ses positions, sans inviter la
partie adverse à s’exprimer.
Faits
Télé-Métropole
porte plainte contre Radio-Canada pour avoir couvert d’une manière partiale des
controverses opposant les deux chaînes, dans le cadre de ses émissions
d’information régulières. Les 17 novembre 1995 et 5 janvier 1996, au cours des
émissions d’information «Montréal ce soir» et «Le Téléjournal», Radio-Canada
aurait uniquement présenté «le point de vue de sa direction» privant ainsi les
téléspectateurs d’une information «équitable et complète».
Griefs du plaignant
La première
controverse entoure l’acquisition de la trilogie des Beatles. Le 15 novembre
1995, le vice-président à la programmation de Télé-Métropole questionne dans
«La Presse» l’à-propos de Radio-Canada –télévision publique — d’acheter la
série d’émission sur les Beatles. Le 16 novembre, la vice-présidente de la
télévision française de Radio-Canada défend sa décision d’achat en affirmant
que Radio-Canada avait obtenu la série pour peu et qu’elle ferait de l’argent
avec sa diffusion. Télé-Métropole note que jusque-là «il n’y a rien d’anormal
sur le plan éthique journalistique.» Le 17 novembre, cependant, Radio-Canada
diffuse deux reportages (Montréal ce soir, Téléjournal) traitant du processus
d’acquisition de ces émissions dans lesquelles la partie adverse n’a pu
s’exprimer.
La seconde
polémique porte sur le financement public de Radio-Canada. Dans le cadre de la
publication des résultats BBM de l’automne 1995, Télé-Métropole fait paraître,
le 5 janvier 1996, un encart publicitaire dans Le Journal de Montréal
affirmant: «Une télé de qualité taxes non comprises». Le soir même, la
vice-présidente de la SRC est l’invitée du «Montréal ce soir» et prend position
en faveur du financement public et d’une programmation généraliste. Selon le
plaignant, «A aucun moment l’animateur ne prend le contre-pied de l’opinion de
son invitée». Aucun autre intervenant n’est invité pour «équilibrer le point de
vue de la direction de Radio-Canada et de l’animateur».
Le plaignant
estime qu’«en se servant de ses émissions d’information régulières pour
justifier certaines de ses positions, Radio-Canada a confondu sa mission
d’information avec la promotion de son point de vue». Télé-Métropole ne réclame
pas un blâme du Conseil de presse: celui-ci doit simplement préciser la régle
éthique qui s’applique lorsqu’un média traite de sujets controversés dans
lesquels il est en cause.
Commentaires du mis en cause
Le 11 mars 1996,
M. Claude Saint-Laurent, directeur général des programmes (information
télévision), réplique que cette plainte est sans aucun fondement puisqu’«elle
s’inscrit au contraire dans une campagne systématique — et plutôt puérile —
de dénigrement de Télé-Métropole à l’endroit de la Société Radio-Canada». Les
deux controverses citées par le plaignant ont en effet été déclenchées par
Télé-Métropole.
M. Saint-Laurent
reconnaît que «la couverture d’événements impliquant leur propre entreprise est
toujours un exercice délicat pour les journalistes», non pas en raison d’un
manque de professionnalisme mais plutôt à cause de la proximité entre le
journaliste et son sujet. Mais M. Saint-Laurent est convaincu que dans ces
cas-là «le service des nouvelles de la SRC s’est comporté de façon totalement
professionnelle et a respecté les règles d’équité, d’équilibre et d’intégrité
que commandent les normes et pratiques journalistiques.»
Le reportage
diffusé le 17 novembre 1995 expliquait comment la SRC avait obtenu les droits
de la trilogie des Beatles. Son but n’était pas de faire état de la controverse
opposant TVA à la SRC sur ce dossier. TVA n’a donc jamais été citée et il n’y
avait aucune pertinence à interroger un de ses représentants.
L’entrevue de la
vice-présidente de la SRC a été diffusée le 5 janvier dans la partie «Affaires
publiques» de l’émission «Montréal ce soir» et non à l’intérieur du bulletin de
nouvelles. Ce type d’émission «met souvent en lumière des questions d’intérêts
pour l’auditoire à travers une entrevue avec une seule personne». Le choix de
l’invité était pertinent puisque la SRC était au coeur de l’actualité:
proximité de la publication du rapport Juneau, critiques contre le Bye Bye,
publicité agressive de TVA à l’occasion des résultats BBM. Dans ce contexte,
l’entrevue ne devait pas obligatoirement se dérouler sur le ton de
l’affrontement. Toutefois, l’animateur a soulevé des points négatifs: les
critiques contre le Bye Bye et l’incident avec un journaliste de TVA.
M. Saint-Laurent
conclut à l’effet que Télé-Métropole ne peut sérieusement prétendre que les
questions de financement public de la radiodiffusion ne sont pas traitées
abondamment dans l’ensemble des médias et, plus particulièrement, à
Télé-Métropole. Selon M. Saint-Laurent, la SRC offre au public une information
équitable et impartiale sur ce sujet d’intérêt public.
Réplique du plaignant
Le 24 avril
1996, Télé-Métropole rappelle que sa plainte a pour but de poser le problème de
la couverture d’une controverse par des journalistes dont l’entreprise de
presse est partie.
Télé-Métropole
reconnaît à Radio-Canada le droit de faire connaître publiquement ses positions
corporatives. Cependant, il reproche à Radio-Canada de les avoir véhiculées à
travers des émissions d’information sans avoir donné à l’autre partie un
traitement équitable.
A propos du
reportage diffusé le 17 novembre, Télé-Métropole s’interroge: «Est-il approprié
pour un service de nouvelles de couvrir un sujet controversé auquel sa propre
entreprise est partie sans en faire apparaître le caractère controversé?»
Quant à
l’entrevue de Mme Fortin, Télé-Métropole estime qu’elle «a privé le téléspectateur
d’un point de vue alternatif à celui de la SRC».
Analyse
Le Conseil de presse est d’avis que le respect de l’autonomie et de l’indépendance des services d’information est essentiel pour conserver et préserver l’image d’indépendance et d’objectivité des médias et des journalistes et la crédibilité de l’information.
Le Conseil de presse estime que, dans le cadre de l’émission Montréal ce soir du 5 janvier 1996, M. Durivage ne s’est pas donné les moyens de respecter ce principe. Même s’il est vrai que les émissions d’affaires publiques laissent une latitude importante à l’animateur, son comportement a été complaisant.
A plusieurs reprises, en effet, Simon Durivage renforce ou complète le point de vue de son invitée, au détriment de la variété d’opinions qu’il aurait dû porter, face à une invitée unique.
A titre d’exemple, Simon Durivage déclare: «Bon. Et sans compter que TVA n’a peut-être pas de taxes… de subventions directes… mais il y en a des indirectes… Les gens nous aiment, je pense, je pense qu’il faut se le dire.»
L’entrevue se déroule ensuite sous la forme d’une conversation libre, au cours de laquelle le journaliste est plus souvent acteur que simple analyste: il exprime son point de vue plus particulièrement sur la campagne publicitaire de TVA et il acquiesce parfois aux réflexions de Mme Fortin.
La complicité qui semble lier le journaliste à son interlocutrice a pu compromettre l’intégrité de l’information diffusée et abuser la confiance du public. La crédibilité de l’information repose en effet pour beaucoup sur l’impartialité réelle ou apparente des professionnels de l’information.
Ce manque de sens critique se retrouve aussi dans un reportage diffusé dans le cadre du Téléjournal du 17 novembre 1995. Ce reportage fut présenté dans le cadre d’une controverse sur l’acquisition de la trilogie des Beatles, controverse à laquelle la présentatrice, Mme Viroly, fait d’ailleurs allusion dans sa brève présentation. Or, aucune explication n’est fournie sur la nature de cette controverse et le point de vue de la partie adverse n’y est jamais présenté. En l’excluant, Radio-Canada donne raison au plaignant à l’effet que Radio-Canada a confondu son rôle d’informateur au profit de la promotion de son point de vue.
Dans les cas étudiés, le Conseil constate que les journalistes se sont trouvés dans une situation de conflit d’intérêts, puisque l’information concernait leur propre entreprise de presse.
Le Conseil de presse propose donc plusieurs lignes directrices afin de préserver, dans ce type de situation, l’authenticité et la qualité de l’information. Tout d’abord, les journalistes ne doivent pas s’autocensurer et s’interdire de traiter d’une information touchant à leur entreprise. La libre circulation de l’information serait alors gravement remise en cause.
Comme dans le cadre habituel du processus d’information, les journalistes doivent présenter tous les points de vue pertinents à la question abordée, d’autant plus lorsqu’il s’agit d’une question suscitant la controverse.
Enfin, les journalistes doivent redoubler de vigilance pour ne pas transformer le reportage ou l’entrevue en un message autopromotionnel. Le sens critique et l’indépendance d’esprit sont alors requis pour permettre la diffusion d’une information honnête et impartiale.
Analyse de la décision
- C13C Manque de distance critique
- C22G Appartenance du journaliste
Date de l’appel
25 February 1997
Appelant
CBFT-TV [SRC,
Montréal]
Décision en appel
Limitant son
étude à l’objet spécifique de la plainte, la commission d’appel maintient la
décision du tribunal d’honneur.
Griefs pour l’appel
La Société
Radio-Canada a interjeté appel de cette décision.