Plaignant
M. Serge
Brouillet (médecin)
Mis en cause
La Presse [Montréal],
M. Eric Trottier (journaliste, La Presse [Montréal]), L’Expression [Joliette]
et M. Réjean Dupuis (journaliste, L’Expression [Joliette])
Représentant du mis en cause
M. Claude Masson
(vice-président et éditeur adjoint, La Presse [Montréal]) et M. André Lafrenière
(rédacteur en chef, L’Expression [Joliette])
Résumé de la plainte
Le 23 décembre
1995, dans son article «La bactérie mangeuse de chair tue un enfant : Les
médecins avaient dit à son père de ne pas s’inquiéter!», le journaliste Eric
Trottier de La Presse rapporte des demi-vérités et des faussetés en se fiant
sur les seules allégations du père de la victime. Le journaliste mentionne les
noms des deux médecins concernés, ce qui n’ajoute rien à la nouvelle, en plus
de laisser sous-entendre que ces mêmes médecins auraient commis une négligence.
Le journaliste ne respecte pas son engagement de publier une rectification.
Faits
La plainte
concerne l’article d’Eric Trottier, paru dans La Presse le 23 décembre 1995,
intitulé: «La bactérie mangeuse de chair tue un enfant. Les médecins avaient
dit à son père de ne pas s’inquiéter!». Cet article est le compte rendu d’une
entrevue réalisée avec le père de la victime. Il est repris dans le journal
L’Expression le 31 décembre 1995.
Griefs du plaignant
Le 7 février
1996, le Docteur Serge Brouillet expose les motifs de sa plainte. Le plaignant
est le dernier médecin à avoir ausculté le jeune Kevin.
Le journaliste
Eric Trottier a rapporté «des demi-vérités et des faussetés portant atteinte à
sa réputation» sur la simple base des allégations du père de la victime.
Le plaignant explique
qu’il est tenu au secret professionnel qui lui interdit de confirmer aux
journalistes s’il a vu ou non l’enfant sans avoir obtenu la permission auprès
du père ou d’un juge. Le journaliste a contacté le plaignant avant publication
mais il n’a pu lui retourner l’appel.
Le plaignant
estime que le journaliste a publié le nom des deux médecins alors que cela
n’apportait rien à la nouvelle, en laissant sous-entendre dans son titre et
dans son article qu’il y aurait eu négligence de la part des deux praticiens.
Le plaignant a
contacté le journaliste pour lui donner sa version des faits après la parution
de l’article. Le journaliste lui a promis un rectificatif qui n’est en fait
jamais paru.
Commentaires du mis en cause
Le 25 avril
1996, M. Claude Masson, vice-président et éditeur adjoint de La Presse, appuie
la position du journaliste Eric Trottier.
M. Eric Trottier
estime que l’information publiée était d’intérêt public puisqu’elle concernait
un problème de santé publique grave, encore mal connu du public et des médecins.
Le journaliste
revient sur le processus de collecte d’informations critiqué par le plaignant.
M. Trottier a eu une entrevue avec le père de la victime, M. Larin. Il a
ensuite pris contact avec les institutions hospitalières qui ont accueilli Kevin.
Celles-ci n’ont pas voulu s’exprimer sur le sujet. Le journaliste a donc
téléphoné au Dr Brouillet: il n’a pas donné suite à cet appel. M. Trottier a
alors contacté le coroner en charge du dossier qui lui confirme qu’il examinera
dans son enquête «le sujet de la visite de Kevin à l’hôpital de Joliette, la
veille de sa mort.»
Le journaliste
estime avoir rendu compte de la version de M. Larin sans jamais faire référence
à une erreur ou à une négligence professionnelle de la part de M. Brouillet.
Le journaliste a
cité le nom des médecins pour que l’information soit la plus complète possible.
Le médecin est par ailleurs un personnage public et il a donc le devoir de
répondre de ses actes.
Le journaliste
fait référence au second coup de téléphone au cours duquel le plaignant a
confirmé le témoignage de M. Larin. En l’absence d’éléments nouveaux, il n’y a
pas eu de rectificatif.
Le 30 avril
1996, le rédacteur en chef de L’Expression, M. André Lafrenière, réplique qu’en
raison du manque de temps et de moyens le journaliste a eu recours aux
informations publiées dans le journal La Presse.
M. Réjean
Dupuis, journaliste, réplique qu’il s’en est tenu strictement à l’article paru
dans La Presse, sans aucune intention malveillante vis-à-vis du médecin en
cause. Le journaliste a d’ailleurs pris contact avec lui, tel que mentionné
dans l’article, mais celui-ci a refusé de témoigner en se réfugiant derrière le
secret professionnel.
Réplique du plaignant
Le plaignant
réitère en tous points les motifs de plainte et il ajoute que les journalistes
devraient être au fait qu’un médecin ne peut commenter en public un dossier
médical sans le consentement direct ou implicite de la personne impliquée.
Les journalistes
ne devraient pas écrire sans discernement comme l’a fait M. Trottier en ne s’en
tenant pas aux faits véritables. Le plaignant considère inacceptable que le
journaliste ait laissé sous-entendre des erreurs médicales alors qu’il n’avait
qu’à traiter le sujet sous un angle humanitaire en faisant partager la peine et
la douleur des parents qui ont perdu un être cher.
Analyse
Le Conseil de presse rappelle que le traitement de l’information oblige les journalistes à opérer des choix. Le reportage n’est pas simplement une liste de faits: le Conseil reconnaît aux journalistes le droit de choisir un angle de traitement pour rendre l’information intelligible. Ce choix les oblige à user de rigueur et d’honnêteté par la vérification minutieuse de l’information et la confrontation de leurs sources afin de publier une information authentique et équitable.
Dans son article du 23 décembre 1995, M. Eric Trottier a choisi de traiter de la mort du jeune Kevin en s’interrogeant sur le diagnostic posé par les médecins qui l’ont ausculté avant son décès. Ce choix est exprimé dans le titre de l’article. Le journaliste ne porte aucune accusation.
Cependant, le Conseil de presse reproche qu’après avoir tenté sans succès de rejoindre le Dr Brouillet, le journaliste ait choisi de le nommer alors que le fait de publier le nom des médecins était non justifié et justifiable. De cette façon, il y avait absence de confirmation de l’affirmation que faisait le père «Les médecins avaient dit à son père de ne pas s’inquiéter!». En l’absence de leur témoignage, ce choix rédactionnel a eu pour effet de jeter la suspicion sur les actes médicaux posés par ces deux médecins.
Quant au journaliste Réjean Dupuis, le Conseil de presse estime que sa faute est d’autant plus grande car il n’a fait aucune vérification se contentant de mentionner que ces faits avaient été cueillis dans La Presse. Il n’y a là aucune apparence de travail journalistique.
Analyse de la décision
- C03A Angle de traitement
- C16B Divulgation de l’identité/photo