Plaignant
M. Michel Leduc
(maire, LaSalle)
Mis en cause
TVA [Montréal] et
Mme France Gauthier (journaliste)
Représentant du mis en cause
M. Bernard
Guérin (conseiller juridique, TVA [Montréal])
Résumé de la plainte
Dans un
reportage diffusé à l’émission «Mongrain» du 8 mars 1996, sur les ondes du
réseau TVA, la journaliste France Gauthier trompe le public et fait preuve de
sensationnalisme en rapportant les allégations mensongères de M. Martin Lécuyer
au sujet de la gestion du plaignant. La journaliste indique à tort avoir
contre-vérifié ces allégations. Enfin, elle présente M. Lécuyer comme un simple
citoyen, alors qui s’agit du principal adversaire politique du plaignant.
Faits
La plainte
concerne le reportage de Mme France Gauthier diffusé à l’émission «Mongrain»
sur le réseau TVA le 8 mars 1996 et le déroulement de cette même émission.
Griefs du plaignant
Le 15 mars 1996,
M. Michel Leduc, maire de LaSalle, remet en cause le travail de la journaliste
France Gauthier. Il décrit sa démarche journalistique avant l’émission du 8
mars.
Lors d’une
première visite à la mairie le 28 février en compagnie de M. Lécuyer, son
principal témoin, Mme Gauthier consulte des documents sur les petites caisses
des années 1988 et 1989. Elle y revient le 4 mars pour quelques minutes. Le 7
mars, la journaliste a une entrevue téléphonique avec le plaignant. Son ton est
plus ou moins agressif. Ses questions concernent: la procédure de remboursement
en vigueur à LaSalle en ce qui à trait aux dîners d’affaires, l’allocation non
imposable du maire et le tournoi de golf qu’il organise. A plusieurs reprises,
le maire lui propose de venir consulter les documents à l’appui de ses
affirmations.
A la fin de
l’entrevue, la journaliste propose au plaignant de participer à l’émission
«Mongrain» du lendemain. Celui-ci accepte à condition que M. Lécuyer ne soit
pas présent. La journaliste indique que le sujet abordé sera celui de
l’allocation non imposable.
Le plaignant
s’attarde ensuite sur le déroulement de l’émission.
Il reproche à la
journaliste d’avoir présenté M. Lécuyer d’une manière erronée en affirmant que
c’était un simple citoyen curieux de fouiller dans les comptes de dépenses des
élus alors que c’est le principal adversaire politique du plaignant. Il
reproche à la journaliste d’avoir menti à son public et d’avoir fait preuve de
sensationnalisme en appuyant toutes les affirmations de M. Lécuyer. Au cours du
reportage, celui-ci affirme que:
– «des dépenses
du maire étaient payées à même les petites caisses des directeurs»;
– «il y a plein
de doublage de factures»;
– en ce qui
concerne le tournoi de golf, «…qu’il (le maire) n’a remis que 30 000 $ à 40
000 $ des 200 000 $ depuis 10 ans, alors qu’il est allé chercher de 600 à 700
000 $».
La journaliste
cautionne l’ensemble de ces affirmations et indique les avoir contre-vérifiées
alors que tel n’est pas le cas. Si elle avait effectué des recherches approfondies,
elle aurait pu rétablir les faits déformés par M. Lécuyer:
– les dépenses
du maire remboursées par les petites caisses des directeurs sont ensuite
imputées à son poste budgétaire;
– la journaliste
aurait pu trouver une erreur en 12 ans alors qu’elle présente le doublement de
facture comme la norme dans la gestion financière de la mairie;
– la journaliste
n’a pas vérifié les informations concernant le tournoi de golf puisqu’elle n’a
consulté aucun document. Elle aurait pu savoir que le Service de police de la
Communauté urbaine de Montréal a reconnu la légalité de sa gestion.
En d’autres
termes, le plaignant estime que cette émission lui a grandement porté préjudice
par la diffusion d’informations erronées tendant à prouver que sa mairie avait une
gestion douteuse.
Commentaires du mis en cause
Le 7 juin 1996,
M. Bernard Guérin, conseiller juridique de TVA, réplique que le défendeur
répondra uniquement aux motifs de plainte portant sur le reportage diffusé le 8
mars 1996. En se référant à la décision du Conseil de presse rendue dans le cas
D199501-001 –Association nationale des chauffeurs et conducteurs du Québec (M.
Yvon Boulais, directeur général) c. Mme Esther Bégin, journaliste, et
Télé-Métropole (Montréal) — le Conseil n’a pas à se prononcer sur les faits et
le travail préparatoire précédant un reportage.
Au cours de
l’émission, M. Leduc a eu un droit de réplique de quatorze minutes pour
répondre à tous les points soulevés par la journaliste dans son reportage.
Mme Gauthier n’a
pas cautionné les affirmations de M. Lécuyer, comme le prétend le témoin. Mme
Gauthier a simplement voulu préciser que ce témoignage s’appuyait sur des
éléments de preuve.
La
contre-vérification concerne les conclusions posées en ondes par la
journaliste: le fait que les pièces justificatives présentées par M. Leduc ne
portaient aucune mention justifiant la dépense; les remboursements dans la
période du 11 janvier au 12 février se sont fait en sus de son allocation non
imposable; certaines dépenses sont liées à ses activités au sein de sa clinique
médicale.
Au cours de
l’entrevue qui a suivi, le plaignant n’a jamais nié ces conclusions mais en a
confirmé la véracité.
Les propos tenus
par M. Lécuyer constituaient un commentaire raisonnable eu égard à la recherche
qu’il avait effectuée et étaient corroborés sur plusieurs points par la
recherche de Mme Gauthier. De plus, il n’existait aucun motif qui aurait pu
faire douter la journaliste de la crédibilité de sa source.
Réplique du plaignant
Le 26 juillet
1996, le plaignant Michel Leduc réplique à la réponse des mis-en-cause.
Cependant, il refuse de limiter le débat au seul reportage du 8 mars 1996,
puisque le comportement de la journaliste, dans les recherches effectuées, «a
eu une incidence évidente sur le reportage lui-même».
La journaliste a
introduit le reportage «d’une manière biaisée» en présentant des faits «qu’elle
savait faux».
Sur le premier
point soulevé par TVA, il précise qu’il a effectivement pu visionner la première
partie du reportage mais «debout dans un hall d’entrée achalandé et bruyant».
Il signale que
son temps d’antenne lui a largement servi à «tenter de rétablir la présentation
biaisée des faits» et à répondre à M. Mongrain.
Il réfute le fait
que Mme Gauthier aurait soutenu «en apparence» les dires de M. Lécuyer; elle a
fait une affirmation nette et explicite et il ne s’agissait pas d’une
apparence.
De plus, il a
été à plusieurs reprises interrompu par M. Mongrain alors qu’il essayait de présenter
la situation de M. Lécuyer à son égard à savoir qu’il est un adversaire
politique.
Sur le deuxième
point de TVA, il fait remarquer que la journaliste ne s’est livrée à aucune
«vérification» et «contre-vérification», elle a donc présenté de fausses
conclusions quant aux justifications des dépenses. Selon M. Leduc, madame
Gauthier n’a pas parlé à M. Gilles Morin pour connaître le mode de
fonctionnement de la petite caisse ni les documents relatifs à son tournoi de
golf.
Par ailleurs, il
rappelle lui avoir expliqué le système de remboursement des factures lors d’un
entretien téléphonique.
Elle a omis de
mentionner que deux enquêtes policières ont exonéré le plaignant concernant son
tournoi de golf.
Selon le
plaignant, il n’y a rien dans les photocopies fournies par la Ville par le
biais de la Loi sur l’accès à l’information qui permette à Mme Gauthier de
laisser dire à M. Lécuyer qu’il y avait plein de doublage de factures et
d’affirmer que tout a été vérifié.
M. Leduc affirme
que la présentation journalistique du sujet «a laissé planer des doutes de
mauvaise gestion, des doutes de fraude tant à l’égard des fonds municipaux qu’à
l’égard des fonds perçus à l’occasion de (son) tournoi de golf.»
Commentaires des tiers
Le 13 mai 1996,
M. Martin Lécuyer intervient dans le dossier pour corriger plusieurs
affirmations gratuites. A cette fin, il suit l’ordre de la plainte de M. Michel
Leduc et fournit une documentation exhaustive et massive à l’appui de son
argumentation.
Il précise que
la demande de pièces justificatives relève de la Loi des Cités et des Villes
(a.93) et non de la Loi sur l’accès à l’information.
Il met en doute
«la transparence absolue» de M. Leduc à propos de son tournoi de golf, car au
cours d’une séance publique, le maire a refusé de divulguer les rapports
financiers des tournois. De plus, il constate que l’organisation du tournoi est
étroitement liée à des activités municipales (vente de billets, bénévolat
d’employés municipaux…).
M. Lécuyer
mentionne qu’il ne vise pas en particulier M. Leduc et son parti et que ses
recherches auraient été faites pour tout autre parti au pouvoir. Il ne fait
plus aucune politique active.
Il précise que
l’accusé de réception de la plainte à la Commission municipale date du 4 mars
1996, contrairement aux propos du maire.
Selon M.
Lécuyer, Michel Leduc a prêté de «mauvaises intentions à France Gauthier». La
journaliste a pris connaissance de bon nombre de documents et a donc pu
s’assurer des propos de M. Lécuyer après en avoir vérifié l’authenticité.
Analyse
Il y a d’abord lieu de préciser qu’il n’appartient pas au Conseil de presse de porter un jugement sur:
– la gestion de la municipalité de LaSalle; – l’organisation du tournoi de golf annuel du maire.
Le rôle du Conseil de presse consiste à déterminer si le traitement accordé à cette affaire par TVA et la journaliste France Gauthier est conforme aux règles et aux principes d’éthique journalistique.
Le Conseil estime que la journaliste aurait dû accepter l’invitation du plaignant de rencontrer toutes les personnes impliquées de la Ville pour obtenir leur version des faits. Son propos à l’effet qu’elle avait «vérifié et contrevérifié» aurait eu plus de crédibilité.
L’émission aurait dû informer le public que Martin Lécuyer est un membre en règle du Parti municipal de LaSalle, parti de l’opposition. L’omission de ce fait amène le Conseil de presse à reprocher à TVA et à la journaliste de ne pas avoir donné cette information importante pour que le téléspectateur sache à qui il avait affaire.
Les animateurs d’émission d’affaires publiques et de services à la communauté sont astreints aux mêmes exigences de rigueur et de qualité que tout autre programme d’information; ils jouissent d’une grande latitude dans la conduite de leur émission souvent polémique et dans l’expression de leurs points de vue. Il leur incombe cependant de respecter les personnes invitées et ils doivent permettre à celles-ci de s’exprimer. Partant, le reportage sur les activités de M. Lécuyer et la présence, sur le plateau, du maire Michel Leduc auraient pu permettre une émission équilibrée si le plaignant avait pu visionner la première partie de l’émission dans des conditions autres. Le plaignant a été pris au dépourvu et n’a pas eu au préalable l’opportunité de visionner la première partie. Le Conseil de presse considère que le plaignant a été pris au piège et qu’il n’a pas eu l’occasion de répondre adéquatement à des questions par ailleurs fort pertinentes.
Analyse de la décision
- C12A Manque d’équilibre
- C12B Information incomplète
- C12C Absence d’une version des faits
- C24D Hors mandat
Tiers
M. Martin
Lécuyer (membre, Parti municipal de LaSalle)