Plaignant
Le Conseil
canadien pour les réfugiés
Représentant du plaignant
Mme Janet Dench
(directrice des politiques et des programmes, Conseil canadien pour les
réfugiés)
Mis en cause
Le Devoir
[Montréal] et M. Jean Chartier (journaliste)
Résumé de la plainte
L’article «121
609 réfugiés ont débarqué à Montréal depuis 1985», publié le 27 mai 1996 dans
Le Devoir, souffre d’un manque d’équilibre, d’erreurs de fait et d’omissions
qui servent à appuyer les allégations du journaliste Jean Chartier à l’encontre
des réfugiés. Son titre, sensationnel, laisse faussement croire que les
chiffres présentés viennent d’être rendus publics.
Faits
La plainte porte
sur un article intitulé «121 609 réfugiés ont débarqué à Montréal depuis 1985»,
paru le 27 mai 1996 dans le journal Le Devoir, sous la signature de Jean
Chartier
Griefs du plaignant
Le Conseil
canadien pour les réfugiés, par l’entremise de Mme Janet Dench, directrice des
politiques et des programmes, reproche au journal Le Devoir et à son
journaliste Jean Chartier d’avoir publié un article qui «contribue à dénigrer
les réfugiés et les revendicateurs du statut de réfugié.
La plaignante
estime que le texte de Jean Chartier manque d’équilibre et «contient des erreurs
de fait, des déformations et omissions qui servent à appuyer un parti pris et
des allégations sans preuve».
Mme Dench
reproche également au journal Le Devoir d’avoir publié un titre «à la recherche
du sensationnel» qui laisse croire «que les chiffres sont fraîchement rendus
publics» alors qu’ils sont accessibles depuis longtemps.
Mme Janet Dench
juge que «l’article sélectionne et déforme ses témoins en fonction de certains
préjugés qui veulent que le Québec soit submergé sous un flot incontrôlable de
réfugiés, flot implicitement orchestré par le gouvernement fédéral». Selon la
plaignante, «l’article omet les faits qui vont à l’encontre de sa thèse et
exclut complètement des points de vue importants».
Enfin, la
plaignante expose, paragraphe par paragraphe, les points de l’article qu’elle
conteste. Mme Dench joint à sa plainte des documents pour appuyer ses dires.
Commentaires du mis en cause
Le journaliste
Jean Chartier considère que la plainte du Conseil canadien pour les réfugiés
est un procès d’intention et déclare que «d’aucune façon, je n’ai dénigré les
réfugiés dans mes articles».
M. Chartier
ajoute qu’il ne prétend pas avoir décrit toute la réalité des réfugiés mais
qu’il pense avoir apporté des éléments nouveaux au dossier. Il explique qu’il a
tenté de circonscrire le phénomène sur l’île de Montréal en sollicitant les
dernières statistiques et qu’il les a examinées dans une perspective
historique.
M. Chartier note
que les plaignants n’ont pas contesté les chiffres qu’il a utilisés dans son
article. Il précise qu’il a pris le chiffre total du Bulletin statistique de
Québec. Selon M. Chartier «on n’attaque pas mon analyse comme telle mais plutôt
les adjectifs et certains verbes».
D’autre part, le
journaliste souligne «qu’un lead doit être «punché» et que celui-ci ne créait
pas contresens par rapport au phénomène, il le dramatisait plutôt». Il ajoute
que «les chiffres ont paru impressionnants, au-delà de tout ce qu’on aurait
crû; il y avait lieu de dramatiser la chose».
M. Chartier
explique que «c’est la réalité des réfugiés sur place qui nous intéressait au
premier chef, pas les subtilités juridiques, et en ce sens les chiffres étaient
considérables».
Enfin, M.
Chartier répond aux points soulevés par Mme Janet Dench et annexe certains
documents à l’appui de ses affirmations.
Réplique du plaignant
Mme Janet Dench
considère que les commentaires du journaliste Jean Chartier ne répondent pas,
pour la plupart, aux points soulevés dans sa plainte. Elle ajoute quelques
commentaires sur certains points.
Analyse
Dans le cas présent, le Conseil constate que le journaliste du Devoir a exercé son jugement en fonction de ce qu’il estimait être susceptible d’intéresser les lecteurs de son journal. M. Chartier a choisi de traiter des réfugiés en mettant l’accent sur les statistiques les concernant. Il ne prétend pas rendre compte de l’ensemble de la situation des réfugiés.
A la lumière des documents fournis dans le présent dossier et à la lecture de l’article mis en cause, il est clair que les informations du journaliste proviennent, comme il l’indique dans son texte, de chiffres mentionnés dans un document du gouvernement québécois, et d’entrevues qu’il a réalisées avec des fonctionnaires de l’Immigration.
Le Conseil n’estime pas non plus que le titre, dont le choix relève de la discrétion rédactionnelle de l’éditeur, est sensationnaliste. Cette discrétion n’est toutefois pas absolue: l’éditeur doit veiller à ce que le titre reflète fidèlement l’esprit et le contenu de l’article qui l’accompagne. Cependant, le choix du titre est également un moyen pour rendre l’information vivante, dynamique et susceptible de frapper l’attention du public.
Dans le cas étudié ici, le Conseil ne retient aucun blâme contre M. Jean Chartier. Il estime que le contenu de son article rencontre les exigences de l’éthique journalistique et n’a pas pour effet d’entretenir des préjugés à l’égard des réfugiés, comme le prétend le plaignant.
La liberté de la presse et, partant, le droit du public à l’information, seraient gravement compromis si la presse devait se plier à quelque philosophie ou courant d’idées dans sa façon d’aborder les événements ou si l’on pouvait exiger d’elle qu’elle véhicule des messages qui épousent l’image ou le sens que veulent donner à leur action des personnes ou des groupes.
Analyse de la décision
- C14A Sensationnalisme/exagération/insistance indue
- C18C Préjugés/stéréotypes