Plaignant
Mme Sheema Khan
Mis en cause
CBF-AM [SRC,
Montréal] et M. Danny Braün (journaliste)
Résumé de la plainte
Le 12 mai 1996, la
radio de Radio-Canada diffuse un reportage sur la mosquée Markaz-el-Islam qui
perpétue les préjugés à l’égard des musulmans. Le présentateur Danny Braün
associe les membres de la mosquée à des activités terroristes, sans leur donner
l’occasion de répondre à ces fausses accusations. Enfin, le présentateur
utilise de façon détournée certains passages d’un rapport du S.C.R.S datant de
1995.
Faits
La plainte
concerne un reportage de Dimanche Magazine consacré aux activités de la mosquée
Markaz-el-Islam, présenté par Danny Braün et diffusé le 12 mai 1996 sur les
ondes de la radio française de Radio-Canada.
Griefs du plaignant
Mme Sheema Khan
porte plainte contre Danny Braün et la SRC pour avoir perpétué les préjugés des
médias sur les Musulmans au cours de l’émission Dimanche Magazine du 12 mai
1996.
Cette émission
était consacrée aux activités de la mosquée Markaz-el-Islam.
La plaignante
accuse le présentateur, Danny Braün, d’avoir lié les membres de la mosquée à
des activités terroristes.
Elle présente sa
plainte en deux parties: la première fait état d’une plainte générale, le
seconde est détaillée en douze points successifs.
En premier lieu,
elle reproche au journaliste d’avoir profité de la «généreuse offre
d’informations» de M. Hanif Aziz, président de la mosquée, pour détourner
certaines informations et «donner une image calomnieuse de l’I.C.N.A (Cercle
Islamique d’Amérique du Nord) […] en les liant au terrorisme».
Elle s’indigne
du fait que M. Braün ait donné à son reportage un ton méprisant et raciste
envers les Pakistanais, les membres de la mosquée et ceux de l’I.C.N.A. Il leur
aurait donné une image d’organisation secrète ayant l’intention d’infiltrer la
société et étant lié au Djihad d’outre-mer.
Au cours des
douze griefs retenus, Mme Sheema Khan réfute que:
– l’I.C.N.A soit
relié à la Guerre Sainte;
– le
Jamaat-el-Islam du Bangladesh soit lié à celui du Pakistan;
– les
accusations de M. Durran à l’effet que les fonds collectés à Montréal serviront
à la Guerre Sainte au Cachemire;
– l’I.S.N.A (Société
Islamique d’Amérique du Nord) soit une organisation jumelle de l’I.C.N.A.;
– l’association
des membres de l’I.C.N.A. forme un groupe secret activiste.
Elle mentionne,
également, que:
– M. Farouk Baroudi
n’était pas le fondateur de la mosquée mais faisait partie du groupe fondateur
de la Markaz-el-Islam. Par ailleurs, il aurait perdu la présidence lors de
l’élection annuelle, et non parce qu’il aurait été évincé par les membres de
l’I.C.N.A. durant son absence, comme l’entend M. Braün;
– le
Jamaat-el-Islam n’a pas le mandat de publier des décrets religieux;
– M. Ahmed
Shihabuddin (président canadien de l’I.C.N.A.) n’a jamais été membre du
Jamaat-el-Islam. M. Braün a profité de son absence pour affirmer un fait sans
vérification préalable;
– le
Jamaat-el-Islam n’a pas d’aile militaire;
– ni l’I.C.N.A.,
ni l’I.S.N.A. n’ont reçu 1,5 millions de dollars de sympathisants canadiens,
comme peut le prouver le relevé des taxes.
Par ailleurs,
elle considère que Danny Braün a manqué à l’éthique professionnelle exigée par
son métier car à plusieurs reprises, il n’a pas donné l’occasion aux membres de
la Markaz-el-Islam de répondre à ces fausses allégations (cf. interview d’Élyse
Massicotte) et n’a pas fourni de réfutations aux allégations de M. Durran.
De plus, elle
précise que M. Braün a utilisé de façon détournée certains passages du rapport
de la S.C.R.S (service canadien du renseignement de la sécurité) de 1995.
Pour tous ces
griefs, elle dénonce «le calomnieux portrait d’un groupe pacifique d’honnêtes
citoyens canadiens» présenté par Danny Braün, qui a sali leur réputation et a
perpétué les préjugés des médias sur les Musulmans.
Commentaires du mis en cause
M. Danny Braün
présente sa réponse de façon similaire à celle de Mme Sheema Khan.
En premier lieu,
il précise qu’il a rencontré à trois reprises M. Aziz et que celui-ci lui a
remis les informations nécessaires et requises, des cassettes audios et vidéos.
Il a clairement été demandé à M. Aziz une entrevue sur l’I.C.N.A., «il savait
donc pertinemment qu’il accordait une entrevue sur l’I.C.N.A. dont il est
membre actif».
Il ne considère
pas avoir fait preuve de racisme en mentionnant que le Jamaat-el-Islam est un
parti religieux fondamentaliste pakistanais. Il rappelle que M. Farouk Baroudi
a lui-même indiqué que la plupart des dirigeants de la mosquée sont d’origine
pakistanaise.
Il mentionne
n’avoir jamais affirmé que l’I.C.N.A. faisait partie des groupes terroristes
dangereux présents au Canada et renvoie à la transcription de l’émission pour
indiquer que c’est M. Hanif Aziz qui a lui-même lié l’I.C.N.A. et la
Markaz-el-Islam au Djihad international.
Quant aux points
spécifiques relevés par Mme Sheema Khan, il mentionne que:
– l’information
indiquant les liens entre les Moudjahiddins, la mosquée et l’I.C.N.A. provient
explicitement de M. Aziz;
– le
Jamaat-el-Islam est le principal parti politique islamiste du Bangladesh et du
Pakistan. Ce parti à la même base politique, sociale et idéologique dans les deux
pays.
A propos de M.
Farouk Baroudi, M. Braün précise que ce que «M. Baroudi a déploré lors de
l’entrevue, ce n’est pas l’illégitimité de l’élection qui l’a évincé du pouvoir
mais plutôt la manière utilisée pour le remplacer à la tête de la mosquée».
Quant à la
question du décret religieux, il mentionne que les dirigeants du
Jamaat-el-Islam ont les compétences religieuses pour condamner quelqu’un à
mort.
Il indique que
le «Jamaat-el-Islam a une aile militaire composée d’environ 4000 membres» au
Cachemire et en Afghanistan.
Il souligne que
le rapport de la SCRS cité en ondes était celui de 1994 et non celui de 1995,
puisque ce dernier n’avait pas été rendu public au moment de l’émission.
Il rectifie la
somme indiquée par Mme Sheema Khan, à savoir qu’il s’agit d’un demi-million de
dollars collectés par l’I.C.N.A. et l’I.S.N.A., et non de 1,5 millions.
Quant au droit
de réplique dont auraient dû bénéficier, selon Mme Khan, les membres de la
mosquée à propos de leurs liens avec l’I.C.N.A., il considère qu’il n’était pas
nécessaire puisque M. Aziz a lui-même établi les liens entre les différents
groupes.
En conclusion,
il considère que le reportage n’a pas accru les stéréotypes des médias sur les
Musulmans mais «visait à éviter l’ostracisme de la communauté musulmane» en
précisant que ce n’était pas la majorité des Musulmans qui faisait partie de
ces groupes.
Réplique du plaignant
Mme Sheema Khan
affirme, clairement, que M. Aziz:
– n’a jamais lié
l’I.C.N.A., la mosquée et le Djihad;
– n’a jamais
affirmé que M. Shihabuddin appartenait au Jamaat-el-Islam.
Elle déclare que
M. Aziz a contacté M. Braün après l’émission pour obtenir une copie de
l’interview initiale; ce dernier lui a répondu que la cassette avait été
effacée.
Elle souligne
que les connotations racistes sont clairement explicites au cours de
l’interview avec M. Baroudi.
Elle indique que
l’équipe de la SRC a utilisé de «façon malhonnête» certains passages du rapport
de 1994 de la SCRS en les assemblant entre eux pour donner un sens détourné aux
textes et «engendrer la peur dans l’esprit des auditeurs».
Elle déplore que
les défendeurs continuent de croire que le Jamaat-el-Islam du Bangladesh et
celui du Pakistan soient liés.
Elle précise que
M. Shihabuddin était facilement rejoignable pour toute vérification sur son
appartenance au Jamaat-el-Islam.
Elle souligne
que M. Durran n’est pas une source fiable car après avoir contacté le Conseil
des relations AmÉricano-Islamiques, elle soutient que M. Durran portait un faux
nom et qu’il n’avait pu témoigner lors d’une audition d’immigration à cause de
documents invalides.
Elle déplore le
manque d’impartialité de Radio-Canada qui n’a pas fourni d’interview
d’officiels de la Markaz et dénonce les nombreuses inexactitudes de l’émission
qui auraient calomnié un groupe d’individus dans notre société.
Analyse
Il y a lieu de préciser, au départ, que la décision du Conseil de presse porte sur le travail du journaliste et qu’elle ne constitue pas un jugement sur l’ensemble de l’organisation des groupes concernés par le sujet dans le reportage de Dimanche Magazine.
Le traitement d’un événement ou d’un phénomène social particulier relève du jugement rédactionnel des médias et des journalistes, lesquels doivent éviter de cultiver ou d’entretenir des préjugés ou des attitudes discriminatoires. Les médias ne doivent toutefois s’empêcher d’aborder des sujets controversés.
Après étude du reportage, le Conseil de presse est d’avis que les grands principes d’éthique ont été respectés même si le traitement journalistique comporte des failles mineures.
Ainsi, le Conseil souligne l’effort d’équilibre consenti par le journaliste Danny Braün en donnant la parole à des intervenants d’opinions diversifiées. Cependant, il estime qu’il aurait été préférable de donner la parole à un porte-parole officiel de l’ICNA afin de produire un reportage plus complet et plus solide.
Le Conseil note par ailleurs que les défendeurs ont reconnu leur erreur quant à l’information indiquant que le Jamaat-el-Islami n’a pas le pouvoir de voter des décrets religieux.
Sans le blâmer, Le Conseil considère que le journaliste aurait eu intérêt à mieux préciser le lien qu’on pourrait faire entre l’ICNA et le terrorisme, dans le passage référant au SCRS. De même, l’affirmation du journaliste Danny Braün, à l’effet que le président de l’ICNA soit membre du Jamaat-el-Islami, n’a pas été démontrée.
Pour l’ensemble de ces considérations et, malgré quelques faiblesses mineures, le Conseil de presse du Québec n’accueille pas la plainte de Mme Sheema Khan.
Analyse de la décision
- C11B Information inexacte
Date de l’appel
13 February 1998
Appelant
Mme Sheema Khan
Décision en appel
Après
discussion, l’appel est rejeté, compte tenu des éléments suivants:
– les membres de
la Commission d’appel ne perçoivent dans le reportage de Dimanche Magazine
aucune apparence de mauvaise foi, compte tenu de l’ensemble des éléments et de
l’extrême complexité du dossier;
– la Commission
note quelques erreurs mineures dans le traitement journalistique de l’émission
en cause, des erreurs sans incidence quant au fond du sujet diffusé;
– la Commission
estime que l’émission n’a pas été tendancieuse à l’égard des personnes qui
s’estiment lésées.
Griefs pour l’appel
Mme Sheema Khan
interjette appel de la décision du Conseil de presse.