Plaignant
L’Ordre des
dentistes du Québec
Représentant du plaignant
M. Robert Salois
(président, Ordre des dentistes du Québec) et M. Jean-Paul Thériot (directeur général
et secrétaire, Ordre des dentistes du Québec)
Mis en cause
CBFT-TV [SRC,
Montréal], M. Charles Tisseyre et M. Michel Rochon (journalistes)
Représentant du mis en cause
Mme Lina Allard
(rédactrice en chef déléguée, actualités TV, Société Radio-Canada [Montréal])
Résumé de la plainte
Le 6 octobre
1996, dans le cadre de l’émission Découverte, diffusé sur les ondes de
Radio-Canada, les journalistes Charles Tisseyre et Michel Rochon présentent un
reportage alarmiste, tendancieux, trompeur, inexact et incomplets sur les
amalgames dentaires. La Société Radio-Canada n’ayant pas donné suite à la
demande de rectification du plaignant, ce dernier a dû mener à ses frais une
campagne d’information.
Faits
La plainte
concerne un reportage sur les amalgames dentaires diffusé au cours de
l’émission Découverte du 6 octobre 1996, présenté par Charles Tisseyre et
Michel Rochon, sur le réseau Radio-Canada.
Griefs du plaignant
L’Ordre des
dentistes du Québec porte plainte contre la Société Radio-Canada, les journalistes
Charles Tisseyre et Michel Rochon pour avoir induit le public en erreur au
cours du reportage sur les amalgames dentaires, diffusé le 6 octobre 1996 lors
de l’émission Découverte.
Le plaignant
reproche généralement aux journalistes, d’avoir manqué de rigueur en suscitant
de grosses inquiétudes chez le public, «compte tenu des propos alarmistes,
tendancieux, trompeurs, inexacts et incomplets» contenus dans le reportage.
Il mentionne que
les journalistes ont exagéré leurs propos quant à l’innocuité des amalgames
dentaires; cela accentué par une insuffisante et inexacte collecte
d’informations.
Le plaignant
relève, alors, plusieurs erreurs:
– dès le début
du reportage, M. Tisseyre aurait cherché à démontrer la toxicité des amalgames
dentaires, alors que le rapport de Santé Canada affirme n’avoir aucune preuve
fondée du danger du mercure contenu dans les amalgames, et n’émet que des
recommandations et non des «exclusions»;
– le journaliste
Michel Rochon fournirait des estimations trompeuses et alarmistes. Par
ailleurs, selon le plaignant, il n’a pas vérifié la véracité des faits
rapportés, notamment sur la profession du Dr Vimy, sur la position des autres
pays qui n’ont pas de loi en vigueur, mais des principes ou des projets de loi
qui ne sont pas encore en vigueur, sur le rapport Richardson qui aurait été
rejeté par un groupe d’experts et non validé;
– le plaignant
déplore que l’émission Découverte n’ait pas fait état de la position des Dr
Barry Dolman et Pierre Desautel, spécialistes en soins dentaires, alors que les
journalistes les avaient interviewés longuement. Pour cette raison, il pense
que M. Rochon ne s’est pas acquitté de son devoir d’information en exposant les
divers aspects de la situation.
Il précise que
l’Ordre des dentistes a mis en demeure la Société Radio-Canada de se rétracter
et d’apporter au plus vite des rectifications. Il indique, que n’ayant aucune
réponse, l’Ordre des dentistes a dû, à ses frais, mener une campagne
«objective» et informative sur les amalgames dentaires pour rassurer la
population.
Mme Line Allard,
de Radio-Canada, a répondu au Dr Salois, président de l’Ordre des dentistes, et
a reconnu que le reportage était fondé sur le rapport Richardson.
Pour toutes ces
raisons, il juge que les journalistes se sont rendus coupables d’une
désinformation auprès du public, en provoquant des craintes exagérées au sein
de la population.
Commentaires du mis en cause
Radio-Canada
informe le Conseil de presse qu’ils ne répondront qu’à la deuxième partie de la
plainte, jugeant l’autre partie mal argumentée.
Sur la
présentation du reportage, les défendeurs estiment que les propos de Charles
Tisseyre sont «journalistiquement» exacts car ils reflètent l’esprit et les
recommandations de Santé Canada. Ils indiquent que Découverte est une émission
qui s’adresse à un large public, ce qui les contraint à synthétiser les
informations et éviter certains détails mineurs.
Ils pensent ne
pas avoir induit le public en erreur, car ils ont «compris et repris qu’il est
recommandé d’éviter les amalgames au mercure».
Quant au
pourcentage de 5 à 14% de personnes allergiques au mercure, il indique
s’appuyer sur trois sources: – le rapport Richardson; – les données de
l’Organisation Mondiale de la Santé; – le collectif anti-amalgame Defense
against mystery syndromes.
Par ailleurs,
ils mentionnent que Santé Canada ne se réfère à aucune étude pour justifier son
chiffre de 2 à 3% d’allergies.
Ils ajoutent que
nulle part l’Ordre des dentistes ne conteste qu’il faille éviter les amalgames chez
les patients souffrant d’allergies.
A propos du Dr
Vimy, les défendeurs joignent son curriculum vitae pour constater qu’il est
bien plus «qu’un assistant de recherche». De plus, ils remarquent que les
plaignants n’indiquent pas d’études précises démontrant que la méthode du Dr
Vimy est erronée.
Ils rappellent
les nombreuses expériences rapportées au cours de l’émission prouvant que le
reportage ne s’est pas fait sur la seule base des travaux du Dr Vimy.
Quant au rapport
Richardson, ils indiquent qu’il y a deux groupes d’experts:
– celui des
pairs de Richardson, auquel a été soumise l’étude préparée, et après
consultation n’a pas été rejetée;
– celui qui a
préparé, pour le compte de l’Association Dentaire Canadienne (ADC), une réponse
aux travaux de Richardson.
Ils précisent
que le Dr Desautel n’a pas voulu être interviewé. Parallèlement, le Dr Dolman
n’aurait pas appuyé ses réponses par des arguments scientifiques; les
journalistes n’ont, de ce fait, obtenu que la position officielle de l’ADC,
indiquent-ils.
C’est la raison
pour laquelle, en l’absence d’éléments nouveaux, ils ont choisi de résumer la
position du Dr Dolman lors de la présentation de Charles Tisseyre; de même que
de rapporter les propos du Dr P. Larose, précisant qu’il n’y a pas lieu de
s’alarmer pour le remplacement des amalgames.
Ils signalent
que ces passages ont été aménagés pour donner une information juste et non
alarmiste.
Réplique du plaignant
L’Ordre des
dentistes pense que la façon dont ont été rapportées les recommandations de Santé
Canada n’en a pas respecté l’esprit.
L’organisme
déplore le manque de nuances du reportage, alors que Santé Canada fait des
recommandations nuancées.
L’ordre soulève
le fait que dans la communauté scientifique, il y a peu de consensus sur la
proportion exacte de personnes allergiques. Il n’existe pas d’étude
scientifique venant confirmer le chiffre de 2 à 3 %, indique le plaignant.
Selon l’Ordre
des dentistes, les opinions du Dr Vimy ne faisant pas l’unanimité dans la
communauté scientifique, il aurait été souhaitable d’avoir l’avis d’autres
experts.
Quant au rapport
Richardson, l’ordre nie faire référence à un groupe d’experts commandité par
l’ADC.
En conclusion,
le plaignant reproche aux journalistes d’avoir donné aux informations rapportées
une tournure plus sensationnaliste que scientifique, en ne donnant pas quelques
unes des nombreuses études existantes, démontrant que les amalgames dentaires
ne sont pas nocifs.
Analyse
L’émission Découverte de Radio-Canada s’est intéressée à la controverse que suscite les amalgames dentaires à base de mercure. A priori, le Conseil de presse considère que les artisans de cette émission avaient non seulement le droit, mais le devoir d’exposer au public le danger potentiel que peut représenter pour la santé humaine l’amalgame dentaire au mercure dans le traitement dentaire.
L’ensemble de l’émission a principalement reposé sur la thèse de chercheurs canadiens et amÉricains dénonçant les effets néfastes des amalgames au mercure. Cette thèse a aussi été appuyée par des mesures de réglementation adoptées en ce sens par quelques pays européens. Découverte a uniquement donné l’antenne aux défenseurs de cette thèse: chercheurs, dentistes et patients.
Mais le sujet n’en demeure pas moins controversé et ne fait pas l’unanimité dans la communauté médicale et scientifique, car il y a ceux, comme l’Association dentaire canadienne, qui croient encore aux vertus des amalgames. Or, ce sont les tenants de cette thèse opposée que l’émission n’a pas fait entendre au public, Découverte se contentant d’en résumer la position en présentation du reportage.
C’est là, de l’avis du Conseil, que réside la faiblesse du reportage de Radio-Canada. Le Conseil de presse du Québec s’inquiète également de l’utilisation discutable d’un fond musical tout au long du reportage, lequel crée un effet indu de dramatisation.
Le Conseil accueille donc la plainte de l’Ordre des dentistes sur ces deux aspects du dossier de Découverte.
A l’opposé toutefois, le Conseil de presse rejette la plainte en ce qui a trait aux accusations de «propos alarmistes, trompeurs et inexacts». Le Conseil considère que le public avait pleinement le droit d’être informé par Découverte d’une pratique dentaire controversée au sein même de la communauté scientifique et médicale; une pratique pouvant représenter un danger pour la santé humaine.
Quant au fond du débat, le Conseil n’a ni la compétence, ni l’intention de se prononcer sur le bien-fondé d’arguments scientifiques divergents en regard d’amalgames au mercure.
Analyse de la décision
- C11C Déformation des faits
- C12A Manque d’équilibre