Plaignant
Mme Linette Morin; M. Giovanni Bruno
Mis en cause
TVA [Montréal] et l’Assemblée nationale du Québec
Représentant du mis en cause
M. Marc Blondeau (vice-président, Information et Affaires publiques, TVA [Montréal]) et M. Jean-Pierre Charbonneau (président, Assemblée nationale du Québec)
Résumé de la plainte
A la suite de la diffusion de l’émission «Un jour à la fois» du 17 mars 1997, l’Assemblée nationale adopte une motion «déplorant les propos, le thème et les procédés de l’émission» et le Réseau TVA suspend pour une journée son animateur, le journaliste Benoît Johnson, en faisant des excuses publiques. Ces interventions portent atteinte à la liberté de l’information, à la liberté de presse et à l’indépendance de la presse.
Faits
La plainte concerne l’émission télévisée «Un jour à la fois», diffusée le lundi 17 mars 1997 par le Réseau TVA et animée par le journaliste Benoît Johnson, qui invitait les télespectateurs à voter pour le politicien le plus menteur au pays. Les plaignants s’inquiètent des réactions suscitées par la diffusion de cette émission: une motion de blâme de l’Assemblée nationale du Québec à l’endroit du Réseau TVA, suivie d’excuses publiques de la direction de TVA et de l’absence à l’antenne de son animateur pendant une journée.
Griefs du plaignant
Les plaignants considèrent que l’Assemblée nationale a porté atteinte au droit du public à l’information et à la liberté de la presse, en tentant de censurer un télédiffuseur privé. Les plaignants contestent aussi le fait que TVA ait présenté des excuses publiques à la suite de la motion de l’Assemblée nationale. Selon l’un des deux plaignants, M. Giovanni Bruno, la motion de blâme de l’Assemblée nationale du Québec constitue «une entrave grave à l’exercice des droits et libertés des citoyens québécois pour le présent et pour le futur. A partir du moment où l’état s’attaque à la liberté de presse et d’information, c’est un pas vers la dictature». La seconde plaignante, Mme Linette Morin, s’inquiète à la fois de la motion de l’Assemblée nationale et des excuses publiques du Réseau TVA: «la presse serait-elle censurée? La presse serait-elle à la solde des partis politiques? La presse serait-elle incapable de nous donner les vrais nouvelles?».
Commentaires du mis en cause
Le président de l’Assemblée nationale, M. Jean-Pierre Charbonneau, et le vice-président du Réseau TVA, M. Marc Blondeau, répondent à la plainte. La réponse du président de l’Assemblée nationale comporte deux documents: une lettre résumant sa pensée sur le sujet, intitulé «Pour une équité dans les exigences éthiques»…; et un volumineux document dans lequel il tente de démontrer pourquoi le tribunal d’honneur du Conseil n’a pas autorité ou juridiction sur les questions débattues par l’Assemblée nationale. Le vice-président du Réseau TVA rappelle pour sa part, dans sa réponse, le code d’éthique et les pratiques professionnelles à TVA, reconnaît une erreur en regard du traitement du sujet à l’antenne et explique que l’animateur Benoît Johnson n’a pas été suspendu, mais simplement relevé de ses fonctions pour une journée, le temps de discuter du dossier.
Réplique du plaignant
M. Giovanni Bruno répond par une réplique de 15 pages au président de l’Assemblée nationale, tandis que Mme Linette Morin réitère sa demande «de ne pas laisser les politiciens bâillonner les journalistes». Dans sa réplique, M. Bruno cite plus de 50 extraits d’articles de journaux faisant état de différentes déclarations de politiciens, de manière à étayer ses prétentions à l’effet que le mensonge soit courant en politique. Le plaignant réitère ses accusations de censure à l’endroit de l’Assemblée nationale, exigeant de cette dernière le retrait de la motion de blâme contre le Réseau TVA ou des excuses publiques du président de l’Assemblée nationale.
Analyse
Après examen minutieux des présents cas, le Comité des plaintes et d’éthique de l’information du Conseil en vient aux conclusions suivantes: Avant toute chose, remettons en contexte l’énoncé exact de la motion de l’Assemblée nationale: «Que les membres de cette Assemblée déplorent les propos, le thème et les procédés de l’émission « Un jour à la fois » diffusée au Réseau TVA le 17 mars 1997, lesquels discréditaient l’ensemble des hommes et des femmes élus et candidats à tous les niveaux de gouvernement, scolaire et municipal, provincial et fédéral».
D’entrée de jeu, le Conseil de presse ne peut que reconnaître pleinement à l’Assemblée nationale du Québec le droit de se prononcer sur toute question qu’elle juge d’intérêt; qui plus est, un droit reconnu d’ailleurs à tous les citoyens du Québec par la Charte des droits et libertés de la personne. En conséquence, le Conseil ne peut accueillir la plainte à l’égard du grief de «censure» à l’encontre de l’Assemblée nationale puisque celle-ci n’a fait qu’exercer son droit à l’expression. Toutefois, dans le respect absolu des prérogatives de l’Assemblée nationale et compte tenu du poids de cette institution politique, le Conseil s’inquiète sérieusement des conséquences du blâme publié adressé au réseau TVA, conséquences qui pourraient créer un précédent regrettable en regard de la liberté de la presse. Car, malgré une erreur reconnue par TVA sur la formulation d’une question posée à répétition aux télespectateurs, le Conseil ne voit rien de répréhensible dans l’émission d’information comme telle, ni dans le travail effectué par le journaliste-animateur Benoît Johnson.
Or, la motion de l’Assemblée nationale ne condamne pas la question, mais bien l’émission, son thème et ses propos. Dans ce contexte, les excuses publiques présentées par le télédiffuseur et l’ampleur qu’il leur a donnée pourraient avoir été une conséquence directe du blâme de l’Assemblée nationale, en raison à la fois de l’importance de cette institution et du libellé de la motion.
Ainsi, pour ces dernières considérations, le Conseil de presse partage-t-il les inquiétudes de Mme Linette Morin et de M. Giovanni Bruno en regard des excuses présentées par le Réseau TVA et invite tous les médias québécois à protéger jalousement leur indépendance face au pouvoir politique.
Enfin, le Conseil profite de l’occasion pour rappeler l’un des éléments majeurs des principes déontologiques qu’il défend, en ce qui a trait à la liberté d’informer: «Les médias et les professionnels de l’information contreviendraient à leur responsabilité et compromettraient le droit à l’information si, dans leur façon d’aborder les événements, ils se laissaient guider par une philosophie ou un courant d’idées donné, ou s’ils taisaient (…) l’information concernant ceux qui les critiquent ou dont ils ne partagent pas les points de vue».
Analyse de la décision
- C06D Ingérence extérieure dans la rédaction