Plaignant
Mme Claire
Gagnon (journaliste scientifique)
Mis en cause
L’Actualité [Montréal]
et M. Georges-Hébert Germain (journaliste)
Représentant du mis en cause
M. Jean Paré
(directeur, L’Actualité [Montréal])
Résumé de la plainte
Le journaliste
Georges-Hébert Germain s’inspire largement d’un reportage réalisé par la
plaignante sur les innondations au Saguenay pour signer un texte sur le même
sujet dans l’édition du 15 mars 1997 de L’Actualité. Le journaliste ne
mentionne pas la provenance de ses informations.
Faits
Mme Claire
Gagnon présente une plainte concernant un reportage spécial, publié le 15 mars
1997 dans le magazine L’Actualité, intitulé «Autopsie d’une catastrophe» et
signé par Georges-Hébert Germain. Elle estime que cet article est en grande
partie inspiré de l’enquête qu’elle a elle-même conduite à propos des
inondations ayant eu lieu dans la région du Saguenay en juillet 1996, enquête
parue dans la revue Plan d’octobre 1996. Elle reproche à M. Germain de n’avoir
pas mentionné «une source d’information prépondérante» dont il se serait
largement servi pour élaborer son reportage.
Griefs du plaignant
La plaignante
considère que «la propriété intellectuelle» de son article n’a pas été
respectée et que cette pratique «frôle le plagiat». En effet, à aucun moment le
mis-en-cause ne cite le magazine Plan alors qu’il semble évident, pour la
plaignante, que le reportage publié dans L’Actualité s’en est largement
inspiré. Le magazine évoque seulement une coopération avec M. Taras Gresco du
Canadian Geographic.
Cette
constatation étonne d’autant plus la plaignante que l’enquête qu’elle a menée a
été très médiatisée et que L’Actualité en a nécessairement pris connaissance.
Selon elle, M. Georges-Hébert
Germain n’a fait que réaliser une synthèse de son propre article, allant même
jusqu’à réécrire certains passages textuellement. Pour preuve, elle joint à sa
plainte une copie des deux articles en question où elle met en évidence les
similitudes qu’elle estime flagrantes.
La plaignante
demande donc au Conseil de se prononcer sur ce manquement à l’éthique qu’elle
qualifie de «pratique paresseuse».
Elle exige
également un rectificatif de la part du rédacteur en chef de L’Actualité dans
la page des lecteurs.
Commentaires du mis en cause
Commentaires de
M. Georges-Hébert Germain:
M.
Georges-Hébert Germain dit avoir pris connaissance des accusations de la
plaignante. Il indique avoir réalisé les entrevues qui ont servi à la rédaction
de son reportage bien avant la parution du numéro d’octobre de la revue Plan.
Pour appuyer ses dires, il joint un relevé de sa carte Visa attestant de sa
présence dans la région du Saguenay durant le mois de septembre.
Il déclare avoir
mené son enquête en utilisant tous les moyens dont il disposait, y compris la
lecture de tout ce qui avait déjà été écrit sur le sujet incluant, entre
autres, l’article de Mme Gagnon. M. Germain insiste sur le fait qu’il a écrit
des textes originaux, contenant des informations inédites et ne ressemblant «ni
par le ton, ni par la structure» à ce qui a déjà été écrit.
Il admet que
certaines ressemblances puissent exister entre les deux textes mais il
considère cela comme inévitable compte tenu du «battage» médiatique dont cette
catastrophe a fait l’objet. Il est obligatoire de trouver des similitudes dans
la mesure où les deux journalistes ont interviewé les mêmes personnes et ont
relaté les mêmes faits. Les ingénieurs et les scientifiques, susceptibles de
fournir des renseignements pertinents, ont d’ailleurs tenu des discours
identiques à tous les journalistes qui les ont interrogés ainsi qu’à la
Commission scientifique et technique chargée de l’enquête.
M. Germain
estime donc la plainte injustifiée dans la mesure où il ne pouvait pas
réinventer l’événement «pour le plaisir d’en faire une relation tout à fait
différente». Selon le mis-en-cause, Mme Gagnon ne détient l’exclusivité ni sur
le vocabulaire propre à décrire une catastrophe ni sur l’idée d’enquêter auprès
des scientifiques pour avoir une meilleure compréhension des faits. Selon lui,
il n’y avait pas là matière à «scoop» comme le prétend la plaignante. En
conséquence, il demande au Conseil de rejeter la plainte et même de blâmer Mme
Gagnon pour manque de rigueur professionnelle si cette dernière persiste dans
son recours.
Commentaires de
M. Paré (directeur de L’Actualité):
M. Paré
considère les accusations de Mme Gagnon comme «fantaisistes» et
«diffamatoires». Selon lui, il est facile de dissiper tout soupçon de plagiat,
ou même d’inspiration, par une simple comparaison des textes incriminés. Il lui
apparaît comme «grotesque et absurde» de croire que les personnes interviewées
changent leur discours en fonction de leur interlocuteur. Les deux journalistes
disposant des mêmes sources, il était normal qu’ils en arrivent aux mêmes
conclusions, en employant des expressions similaires. La commission Nicolet a
d’ailleurs abouti aux mêmes résultats.
M. Paré
proteste, les inondations de juillet 1996 sont des faits et non une fiction:
personne ne peut se prévaloir de détenir un droit d’exclusivité dans le récit
que l’on peut en faire.
Il considère que
les accusations de la plaignante relèvent plus des tribunaux civils que du
Conseil de presse.
Réplique du plaignant
En premier lieu,
Mme Gagnon tient à souligner qu’elle ne doute pas que M. Germain soit allé au
Saguenay et ait interrogé les personnes qu’il cite. Elle précise que sa plainte
porte sur le fait que ce dernier a utilisé les conclusions de l’enquête parue
dans Plan pour rédiger son article et ce, sans citer sa source.
La plaignante
estime détenir une certaine exclusivité dans la manière d’aborder le déluge du
Saguenay, contrairement à ce qu’affirme le mis-en-cause. En effet, ses
révélations étaient tellement inédites qu’elles ont modifié le cours de l’enquête
publique menée par la Commission Nicolet. Plusieurs médias importants ont
repris ce «scoop» en en citant toujours la provenance, excepté L’Actualité. Mme
Gagnon joint une analyse structurale comparative des deux textes pour montrer à
quel point le reportage de M. Germain reprend de nombreuses explications
inédites de son article.
Mme Gagnon
établit également une distinction entre le fait de se renseigner en lisant
l’article d’un collègue et le fait de s’approprier son travail.
Elle réitère son
souhait de voir le Conseil de presse donner son avis sur cette pratique
journalistique. Elle demande au Conseil de «tracer la limite entre l’acceptable
et l’inacceptable quant à la nécessité de citer la source lorsqu’un journaliste
s’inspire et reprend à son compte les conclusions d’une enquête d’un collègue»;
et elle invoque son «droit légitime de faire appel à un organisme neutre pour
éclairer la pratique journalistique».
Analyse
Le Conseil de presse a procédé, dans le présent cas, à un examen comparatif, aussi minutieux qu’exhaustif, des articles de la revue Plan et du magazine L’Actualité, de même que des explications fournies par les parties, de manière à déterminer les liens de parenté que pouvaient contenir les textes mis en cause.
Un certain nombre de constats se dégagent de l’étude du Conseil:
– la catastrophe naturelle qui a frappé la région du Saguenay en juillet 1996 a fait l’objet d’une très large couverture médiatique. L’événement a été traité sous tous les angles par un nombre impressionnant de médias écrits et électroniques. La littérature journalistique a donc été abondante sur le sujet;
– les tenants et les aboutissants du déluge au Saguenay ont été examinés par les mêmes experts scientifiques qui ont témoigné publiquement devant la même commission d’enquête scientifique et technique;
– l’exclusivité d’un désastre naturel ne peut appartenir à aucun média en particulier, même si celui-ci – la revue Plan – publie sur le sujet un reportage fouillé et original;
– le Conseil ne peut mettre en doute le fait que le journaliste Georges-Hébert Germain se soit abreuvé, dans son traitement, à plusieurs sources d’information et ait travaillé sur le terrain même de l’événement en septembre 1996, précédemment en fait, à la publication de l’édition de la revue Plan;
– le Conseil a pris également note du fait que M. Germain reconnaît avoir consulté, en vue de la rédaction de son article, une abondante documentation disponible, dont le texte de la revue Plan.
Il n’en demeure pas moins, estime le Conseil, que l’analyse comparative détaillée révèle que l’article de M. Georges-Hébert Germain présente plus d’éléments de contenu différents que de similitudes avec l’article de Mme Claire Gagnon.
Dans une décision antérieure, le Conseil a déjà reconnu qu’en matière d’information, le travail d’autres médias peut être utile aux journalistes. En effet, l’information rendue publique par un média sert parfois de point de départ ou de complément de renseignements au journaliste pour aller plus loin, pour faire un suivi, obtenir des réactions et déboucher sur d’autres perspectives, selon le cas. L’information qui résulte de ce travail s’avère en général fort différente dans sa forme, et même dans son contenu, et n’a rien du plagiat ou du pillage d’un concurrent.
Dans le cas qui nous occupe, le Conseil de presse reconnaît pour l’essentiel le caractère original de l’article de L’Actualité, bien que le texte de M. Germain présente quelques similitudes avec l’article de la revue Plan. Cela dit, compte tenu du caractère inédit du texte de Mme Gagnon dont le contenu a influencé une commission d’enquête, sans doute aurait-il été légitime autant que rigoureux intellectuellement que M. Germain cite cette source d’informations parmi d’autres.
Conséquemment, le Conseil rejette sur le fond la plainte de Mme Claire Gagnon à l’endroit du journaliste Georges-Hébert Germain et de L’Actualité, mais ne saurait par ailleurs blâmer la plaignante d’avoir requis ses services pour éclairer les professionnels de l’information sur la délicate question du plagiat.
Analyse de la décision
- C03B Sources d’information
- C23G Plagiat/repiquage