Plaignant
Le Syndicat de
la fonction publique du Québec
Représentant du plaignant
M. Serge Roy
(président général, Le Syndicat de la fonction publique du Québec)
Mis en cause
Le Soleil
[Québec], Le Droit [Ottawa] et M. Michel Vastel (journaliste)
Représentant du mis en cause
M. Gilbert
Lavoie (rédacteur en chef, Le Soleil [Québec])
Résumé de la plainte
Le 2 avril 1997,
Le Soleil et Le Droit publient un article dans lequel le journaliste Michel
Vastel donne les noms de deux employés du ministère de la Sécurité du revenu
chargés d’un dossier controversé, puis, indiquant le numéro de téléphone de
l’un d’eux, ajoute: «Vous n’avez pas besoin de parler longtemps. Juste un mot:
Salaud!». Une telle attaque à la réputation des employés concernés s’avère d’autant
plus impardonnable que le journaliste n’a pas cherché à vérifier les faits
auprès des autorités compétentes.
Faits
Le Syndicat de
la fonction publique du Québec dépose une plainte à l’encontre du journaliste
Michel Vastel à propos d’un article publié dans les éditions du 2 avril des
journaux Le Soleil et Le Droit.
Cet article
aurait porté atteinte à la réputation de deux employés du ministère de la
Sécurité du revenu et témoignerait d’un manque de rigueur professionnelle de la
part du journaliste.
Dans sa
chronique, M. Vastel dénonce la situation précaire que subit une famille: il
cite les deux fonctionnaires du ministère de la Sécurité du revenu chargés du
dossier et donne le numéro de téléphone professionnel de l’un d’eux. Il ajoute:
«Vous n’avez pas besoin de parler longtemps. Juste un mot: Salaud!»
Griefs du plaignant
M. Serge Roy,
président du SFPQ, estime que la chronique de M. Vastel, titrée «Et ce n’était
pas un poisson d’avril!», constitue une attaque directe à la réputation de deux
employés du ministère de la Sécurité du revenu que le journaliste cite
nommément.
Ce manquement à
l’éthique serait d’autant plus impardonnable qu’il témoignerait de l’irrespect
de M. Vastel envers la rigueur qu’exige le traitement de l’information. En
effet, le SFPQ considère que le mis-en-cause n’a pas cherché à vérifier les
faits auprès des autorités compétentes.
En outre, le
syndicat trouve décevant de constater qu’un journaliste de la qualité de M.
Vastel ignore la complexité décisionnelle d’un ministère et la faible marge de
manoeuvre dont jouissent les fonctionnaires dans l’application des lois et
règlements.
Le SFPQ juge
également intolérable que le journaliste ait incité ses lecteurs à exercer la
violence à l’encontre des employés de l’État qu’il cite. Ces derniers ont
d’ailleurs été durement éprouvés par les allégations de M. Vastel. En
conséquence, le SFPQ demande au Conseil de blâmer sévèrement M. Vastel pour «ce
manquement inadmissible à la plus élémentaire notion d’éthique».
Commentaires du mis en cause
Commentaires de
M. Michel Vastel:
M. Michel Vastel
estime avoir accompli son travail de chroniqueur «avec une conscience de (ses)
responsabilités tout à fait irréprochable». Il affirme avoir tenté de vérifier
les faits évoqués dans son article à quatre reprises et ce, auprès de trois
sources différentes. La confidentialité du dossier ayant été invoquée par le
service des communications du ministère, il n’a pu aller plus loin dans son
enquête.
Le journaliste
souligne également le fait qu’aucune de ses affirmations n’a été démentie.
A ses yeux, la
publication des deux numéros de téléphone à la fin de sa chronique ne constitue
nullement une «incitation à la violence» dans la mesure où ce sont des numéros
gouvernementaux de nature publique.
Cependant, ayant
conscience que le problème du traitement des dossiers de l’aide sociale
méritait un approfondissement, M. Vastel a choisi de revenir sur le sujet. Il a
donc réalisé plusieurs entretiens avec des fonctionnaires (dont un avec la
ministre Louise Harel) qui ont donné lieu à deux importants articles, parus
dans Le Soleil du 18 juin 1997. Le journaliste estime ainsi avoir rendu compte
le mieux possible du travail des employés du ministère de la Sécurité du
revenu, sans que rien ne l’y oblige.
M. Vastel
exprime donc son étonnement face à la plainte du SFPQ. Cette attitude, selon
lui, «décourage les journalistes qui tentent d’aller au-delà de leurs
responsabilités normales pour informer le public».
Commentaires de
M. Gilbert Lavoie (rédacteur en chef du Soleil)
M. Lavoie «constate
que l’auteur de la plainte ne conteste pas le bien-fondé des informations
transmises par M. Vastel» et «voit mal comment la plainte pourrait être
retenue».
Commentaires de
M. Pierre Bergeron (éditeur du Droit):
M. Vastel étant employé
par Le Soleil, M. Bergeron laisse à ce quotidien le soin de répondre à la
plainte au nom des deux journaux.
Réplique du plaignant
M. Roy se
réjouit que les deux articles parus le 18 juin 1997 aient donné une meilleure
image du travail des agents d’aide socio-économique. Cependant, il estime que
cela ne doit pas exempter M. Vastel de tout reproche quant à sa conduite
vis-à-vis des deux employés cités dans son premier article.
Les commentaires
du journaliste lui semblent trahir une vision méprisante de ces deux
fonctionnaires et une ignorance «des pressions importantes» qu’ils subissent
dans l’exercice de leur travail.
M. Roy déplore
que le mis-en-cause assimile la plainte du SFPQ à une «attitude vengeresse»
décourageante pour un journaliste. Ce comportement lui semble contraire aux
principes de la conscience professionnelle et montre que M. Vastel ne supporte
pas la critique concernant son travail. Le plaignant juge la réponse de M.
Vastel «désolante et insatisfaisante».
Analyse
La chronique est un genre journalistique qui, contrairement à la nouvelle ou au reportage, permet à son signataire d’émettre une opinion. Le chroniqueur a donc le privilège, et ce en conformité avec les règles de l’éthique journalistique, de prendre position, d’exprimer des commentaires et de faire valoir son point de vue sur les événements de son choix, pour autant qu’il se soumette aux exigences de rigueur qui prévalent pour tous les professionnels de l’information.
Le Conseil a examiné textes, plainte et commentaires afin de déterminer si M. Vastel avait souscrit à toutes les règles du métier.
Après examen, le Conseil de presse considère que la première responsabilité du journaliste était de rapporter une information conforme aux faits. A cet égard, le journaliste a expliqué ses tentatives infructueuses pour obtenir des informations de personnes du Ministère.
Cependant, dans sa chronique, il ne mentionne pas ses nombreuses tentatives, cite une employée «haut placée» du ministère qui apparaît davantage condamner les employés que les défendre. En ce qui a trait aux employés nommés, il mentionne que les lignes étaient occupées et que l’un d’eux était déjà parti à 15h47. Le Conseil ne considère toutefois pas que le journaliste a manqué de rigueur professionnelle, compte tenu que les faits exposés étaient suffisants pour rendre compte de la situation dénoncée.
En ce qui a trait au grief d’atteinte à la réputation, le journaliste Michel Vastel avait le droit d’émettre son opinion sur des faits et d’interpréter des décisions, faits qui ne sont d’ailleurs pas contestés par les plaignants. Quant au ton utilisé par le journaliste, le Conseil de presse est d’avis qu’il avait droit de s’indigner et de prendre parti.
Pour ce qui est du grief à l’effet que le journaliste Vastel aurait incité les lecteurs à la violence, le Conseil de presse ne peut faire autrement que d’exprimer une réserve devant un procédé discutable qui consiste à interpeller les lecteurs, en fin de chronique, pour les inviter à poser un geste de mépris à l’égard de deux fonctionnaires; un procédé journalistique dont le Conseil déplore l’utilisation.
En vertu de l’ensemble de ces considérations, le Conseil de presse n’adresse pas de blâme formel au journaliste Michel Vastel, mais tient néanmoins à réaffirmer sa réprobation quant au procédé utilisé par celui-ci, dans la conclusion de sa chronique.
Analyse de la décision
- C12B Information incomplète
- C15I Propos irresponsable