Plaignant
L’Association
des chiropraticiens du Québec
Représentant du plaignant
Mme Mireille
Duranleau (présidente, Association des chiropraticiens du Québec)
Mis en cause
Châtelaine
[Montréal] et Mme Véronique Robert (journaliste)
Représentant du mis en cause
Mme Catherine
Élie (rédactrice en chef, Châtelaine [Montréal])
Résumé de la plainte
La journaliste
Véronique Robert fait preuve de partialité et de manque de rigueur dans le
dernier volet d’une série de cinq reportages consacrés aux médecines douces,
publiés pas le magazine Châtelaine. Le traitement négatif, les préjugés et les
faussetés de ce texte sur la chiropratique contrastent nettement avec les
quatre premiers reportages. La journaliste laisse planer des doutes et exploite
le sensationnalisme. Elle s’appuie sur des sources douteuses, ne cherchant même
pas à obtenir l’opinion de chiropraticiens confirmés.
Faits
Mme Mireille
Duranleau, au nom de L’Association des chiropraticiens du Québec, dépose une
plainte contre Mme Véronique Robert pour son article intitulé «Les limites de
la chiropratique» et paru dans le numéro d’avril 1997 de la revue Châtelaine.
Ce reportage
contreviendrait aux règles de l’éthique journalistique pour plusieurs raisons:
il contiendrait des faussetés ainsi que des préjugés et prouverait le manque de
rigueur de la journaliste.
La journaliste,
quant à elle, estime avoir accompli son travail de manière sérieuse, honnête et
objective.
Griefs du plaignant
Mme Duranleau
détaille sa plainte en cinq griefs successifs.
Premièrement,
Mme Robert aurait fait preuve de partialité dans la rédaction de son article.
Celui-ci s’inscrit dans une série de cinq reportages, consacrés à la médecine
douce, dont il constitue le dernier volet. La plaignante estime que l’article
contient des préjugés défavorables à l’endroit de la chiropratique et qu’une
simple comparaison permet de déceler une nette différence de traitement entre
les cinq disciplines ayant donné lieu à un article. Mme Robert aurait donc
enfreint les règles d’objectivité du reportage pour laisser place à
l’expression de ses préjugés et pour colporter des faussetés ou des demi-vérités.
Le ton employé par la journaliste tout au long de l’article et le choix du
vocabulaire et des témoignages rapportés, en seraient la preuve et montreraient
clairement l’ampleur du parti pris de Mme Robert.
Deuxièmement, la
journaliste aurait manqué de rigueur dans la cueillette de ses informations et
n’aurait pas cherché à vérifier ses informations auprès des personnes
compétentes. Elle cite deux membres «d’une profession concurrente» n’ayant, aux
yeux des plaignants, aucune autorité en matière de chiropratique.
Mme Robert
rapporte également des erreurs à propos de la pratique de cette discipline,
erreurs qu’une analyse plus sérieuse aurait dû dissiper. L’Association des
chiropraticiens reproche enfin à la journaliste de laisser planer le doute au sujet
d’une question fondamentale sans même tenter d’y répondre, preuve flagrante de
son manque de rigueur.
Troisièmement,
la journaliste aurait eu recours à un «sensationnalisme poussé» dans sa
description des traitements chiropratiques.
Quatrièmement,
les sources de Mme Robert manqueraient de crédibilité. La plaignante trouve
«inadmissible» que la journaliste n’ait pas cherché à obtenir l’opinion de
chiropraticiens confirmés. En agissant ainsi, elle n’a pu donner à ses lecteurs
«une image juste et précise de la portée et des limites de la chiropratique».
Selon Mme Duranleau, la mise-en-cause n’a fait preuve ni de l’esprit critique
ni de l’impartialité requise pour un bon exercice du journalisme.
Enfin, la
plaignante considère que la journaliste a répandu des faussetés, des
demi-vérités et des sous-entendus. Elle en cite quelques exemples en rectifiant
les faits.
Pour toutes ces
raisons, l’Association des chiropraticiens du Québec demande au Conseil de se
prononcer sur cet «article de désinformation».
Commentaires du mis en cause
Commentaires de
Mme Véronique Robert:
Mme Robert
précise vouloir resituer la plainte dans son contexte. Pour ce faire, elle
joint à sa lettre une copie de la correspondance qu’elle a entretenue avec M.
Normand Danis, président de l’Ordre des chiropraticiens du Québec. Selon la
journaliste, ce dernier aurait fait un «procès de l’article avant parution».
Mme Robert estime avoir accompli son travail en concordance avec les principes
déontologiques, en gardant l’esprit critique requis. Elle dit regretter que les
chiropraticiens s’estiment seuls bons juges de leur discipline.
Elle estime
n’avoir fait preuve d’aucun préjugé dans la rédaction de son article sur la
chiropratique et avoir traité le sujet avec le même souci d’intégrité que les
quatre reportages précédents, consacrés aux médecines alternatives. Elle
souligne néanmoins le fait que la chiropratique n’a pas les mêmes ambitions que
les autres médecines douces et qu’elle ne peut donc pas exiger un traitement identique.
Mme Robert estime avoir écrit un texte «à la fois un peu différent, véridique
et instructif pour le public».
Elle reprend
donc, point par point, les motifs de plainte de l’Association des
chiropraticiens du Québec.
La journaliste
défend la crédibilité de ses sources et le choix de son vocabulaire. Elle
affirme en outre avoir laissé le lecteur libre de se forger une opinion en
posant des questions sans toujours y répondre. Elle souligne que son article
contient plusieurs commentaires positifs sur la chiropratique et exprime ses
doutes quant à la signification des mots «liberté de la presse» pour
l’Association des chiropraticiens du Québec.
Quant à
l’accusation de sensationnalisme, Mme Robert s’en défend en assurant n’avoir
fait que rapporter les termes exacts de deux personnes.
La journaliste
nie avoir propagé des préjugés et des faussetés: elle n’a fait que rapporter
des informations trouvées à travers différentes recherches, études et
entrevues. Après avoir revérifié ses informations, elle maintient donc ses
dires sur plusieurs points.
Mme Robert
estime avoir accompli un travail «sérieux et honnête» en donnant des points de
vue variés pour la plus grande objectivité possible.
Commentaires de
Mme Catherine Élie (rédactrice en chef de Châtelaine):
Mme Élie exprime
son soutien à Mme Robert. Selon la rédactrice en chef de Châtelaine, la
journaliste a accompli consciencieusement son travail, c’est-à-dire écrire un
article intègre sans chercher à promouvoir ni à discréditer la chiropratique,
mais en conservant un esprit critique. Le souci d’équité de sa revue lui paraît
évident: tous les articles de la série ont été le fruit de recherches et les
différences de traitement entre les cinq disciplines concernées ne peuvent être
imputées qu’à des faits, et non à des préjugés.
Mme Élie nie
l’accusation de sensationnalisme: elle affirme n’avoir choisi de publier que
les témoignages les plus représentatifs, en écartant les cas les plus extrêmes.
Elle estime
également que les sources de sa journaliste étaient, non seulement crédibles,
mais aussi instructives et garantes d’honnêteté. Le choix des entrevues s’est
effectué en toute impartialité, dans le seul but de fournir aux lecteurs «une
image juste et précise de la portée et des limites de la profession». Mme Élie
signale que chaque affirmation a été vérifiée.
Elle termine ses
commentaires par une série d’interrogations au sujet de la sauvegarde de la
liberté de la presse face à des groupes semblant «difficilement faire la
différence entre le publi-reportage (…) et un travail journalistique (…)».
Réplique du plaignant
L’Association
des chiropraticiens du Québec continue de soutenir que «l’esprit général» de
l’article révèle les préjugés de la journaliste, dans la mesure où il semble y
avoir eu une sélection des interventions, qui concourent toutes à présenter la
chiropratique sous un jour négatif. Mme Duranleau affirme qu’il y a méprise
quant aux intentions de l’association qu’elle dirige: les chiropraticiens
désirent seulement plus d’impartialité dans le traitement qui leur a été
accordé.
La présidente de
l’Association des chiropraticiens du Québec relève ensuite différentes lacunes
ou erreurs, tant dans les commentaires que dans l’article de la mise-en-cause,
qui lui semblent révéler le parti pris de cette dernière, et qu’elle tient à
rectifier.
Mme Duranleau
ajoute que, certains aspects du sujet abordé ayant été négligés, tout
l’éclairage n’a pas été fait pour permettre aux lecteurs de se forger une
opinion, ce qui est «très près, ici, d’une information tronquée» et favorise
l’apparition de préjugés.
Quant au choix
de deux médecins pour évaluer la chiropratique, choix que justifient Mme Robert
et Mme Élie dans leurs commentaires, Mme Duranleau indique que cela est
contraire au Code des professions du Québec.
M. Danis, quant
à lui, joint au dossier une copie de la correspondance entretenue avec la
mise-en-cause après la parution de l’article incriminé. Ces lettres font état
d’interprétations très divergentes des contacts pris entre Mme Robert et M.
Danis avant la rédaction de l’article.
Analyse
De la lecture que le Conseil de presse fait du texte de la journaliste Véronique Robert se dégagent les constats suivants:
– le texte de Châtelaine montre sur la chiropratique ce que tout article équilibré doit contenir sur un sujet donné, soit l’endroit et l’envers de la médaille. L’article de Mme Robert montre les vertus et les limites de cette médecine alternative.
– il y a dans le regard critique de Châtelaine sur la chiropratique, aux yeux du Conseil, une recherche d’équilibre. Le Conseil a d’ailleurs répertorié dans l’ensemble du texte en cause plusieurs éléments de contenu où l’on traite positivement de cette science de la santé, faisant en quelque sorte contrepoids aux éléments jugés négatifs.
– tout au long de sa série de reportages sur les médecines douces, la journaliste Véronique Robert conserve un même regard critique dans son traitement journalistique. De l’avis du Conseil, son article portant sur l’homéopathie apparaît plus sévère que celui sur la chiropratique.
En contrepartie, le Conseil de presse reconnaît qu’il aurait été autant intéressant que pertinent d’en apprendre plus sur le cours universitaire de premier cycle en chiropratique dispensé par l’Université du Québec à Trois-Rivières, un aspect cependant qui ne constitue pas en soi un accroc à la déontologie.
Un autre aspect de la plainte: le terme «chiro» employé ou non à bon escient? Ce diminutif familier, que l’on retrouve dans le dictionnaire Robert, est utilisé couramment dans la langue populaire du Québec, aussi souvent dans un contexte neutre que positif ou négatif.
Considérant le traitement de l’article de Mme Robert dans son ensemble, le Conseil de presse du Québec ne retient aucun blâme formel contre la journaliste et la revue Châtelaine, compte tenu qu’il n’y voit aucune violation des grands principes qui régissent l’éthique journalistique.
Analyse de la décision
- C13A Partialité
Date de l’appel
4 June 1998
Appelant
L’Association
des chiropraticiens du Québec
Décision en appel
Après étude du
dossier, les membres de la Commission d’appel maintiennent unanimement la
décision de première instance.
Griefs pour l’appel
L’Association
des chiropraticiens du Québec interjette appel de la décision du Conseil de
presse.