Plaignant
M. Gilles Saint-Amour
Mis en cause
Le Soleil [Québec]
Représentant du mis en cause
M. Gilbert Lavoie (rédacteur en chef, Le
Soleil [Québec])
Résumé de la plainte
Le Soleil fait preuve de sensationnalisme
dans son édition du 25 juin 1997 en publiant, à la une, la photo d’un individu
en train d’uriner dans un képi de policier. Cette photo n’ajoute rien à
l’information touchant aux méfaits commis la veille lors de la Fête nationale
du Québec.
Faits
La plainte concerne une photo parue en
première page de l’édition du 25 juin du quotidien Le Soleil. La photo montre
un individu en train d’uriner dans un képi de policier. Le quotidien traitait
alors de la Fête Nationale du Québec et des incidents qui s’y sont déroulés.
Griefs du plaignant
Selon M. Gilles Saint-Amour, cette photo
n’est pas nécessaire à la compréhension de l’information. Le choix de sa
parution ne répond qu’à une recherche de sensationnalisme. Il s’agit d’un cas
d’abus de la liberté de presse et le quotidien fait preuve d’une dangereuse
irresponsabilité. M. Saint-Amour admet que la volonté de traiter un événement,
en l’occurrence la Fête Nationale du Québec, sous l’angle des incidents qui s’y
sont déroulés, relève d’un «choix journalistique». Mais la présente
illustration de ce «méfait» est indigne et fait montre d’un «mépris profond
envers les lecteurs» car elle répond à d’autres objectifs que celui d’informer
et n’ajoute rien à l’information.
Commentaires du mis en cause
Commentaires de M. Gilbert Lavoie, (rédacteur
en chef):
Le rédacteur en chef du Soleil, M. Lavoie,
estime que le choix des photos se justifie par le fait que ce sont celles qui
illustraient le mieux les événements et, surtout, qui correspondaient à ce que
le journaliste souhaitait mettre en exergue, à savoir l’aspect malveillant des
actions visant volontairement à insulter la police. Le choix de diffuser la
photo incriminée fut d’ailleurs pris collectivement par l’équipe
rédactionnelle, après concertation, et ce dans le but de dénoncer cette
attitude et d’en souligner la gravité. Lors de la prise de décision, les
journalistes étaient conscients que le choix de cette photographie «choquerait
certains lecteurs» mais ils ont cependant estimé que ce serait «se soustraire à
(ses) responsabilités que de succomber à la tentation de l’auto-censure». M.
Lavoie a, par ailleurs, expliqué publiquement dans son quotidien, dès le
lendemain, son choix de photographies.
Réplique du plaignant
A cela, le plaignant réplique que
«l’autocensure», loin d’être une fuite devant ses responsabilités, répond à une
demande du lectorat et marque une «manière digne, responsable, respectueuse et
intègre» d’exercer cette «liberté fondamentale» dont se réclame M. Lavoie. Il
ne reproche nullement au Soleil d’avoir choisi de traiter le déroulement de la
Fête Nationale en privilégiant la narration des incidents qui y ont eu lieu.
Cependant il estime que le traitement des
éléments d’information doit demeurer à l’intérieur des limites de ce qui est
«acceptable» ce qui n’est pas le cas ici.
Analyse
Le Conseil de presse a déjà établi que l’attention que les médias décident de porter à un sujet particulier relève de leur jugement rédactionnel. Le choix de ce sujet et sa pertinence, de même que la façon de le traiter, dans le respect des règles journalistiques, leur appartiennent en propre et relèvent de leur discrétion rédactionnelle. Ce choix doit, en revanche, être toujours fonction du degré d’intérêt public de la nouvelle. Les médias se doivent de publier une information précise, juste, complète et équitable.
L’équipe rédactionnelle du Soleil a estimé que les incidents ayant émaillé la Fête Nationale étaient prioritaires dans le traitement de cette information et que la photo d’un homme en train d’uriner dans un képi de policier était la plus révélatrice de l’esprit offensant et blâmable qui régnait le 24 juin (c’est ce qu’elle souhaitait particulièrement illustrer), ce qui relève de ses prérogatives fondamentales. Le Soleil a choisi de traiter les autres facettes de l’événement en page 3, choix tout à fait légitime dans les circonstances.
Le Conseil a déjà confirmé que la presse ne peut se permettre de taire ou de donner une image déformée de la réalité sous prétexte qu’ils sont objets de tabous ou qu’ils sont susceptibles de heurter certaines sensibilités. L’existence d’une presse libre et le droit à l’information seraient gravement compromis si quelqu’un s’arrogeait le droit d’interdire aux médias de diffuser les photos qu’ils jugent d’intérêt public ou si la presse devait se plier à quelque philosophie ou courant d’idées dans sa façon d’aborder les événements.
Le Conseil rappelle que, tout en restant fidèle à leur éthique professionnelle, les journalistes ont le droit et même le devoir d’aborder tous les sujets, même les plus délicats.
Le Soleil a pris le parti de mettre en évidence les excès et les dérives de certaines personnes lors de la Fête Nationale pour mieux les dénoncer: cette photo en est une illustration pertinente et acceptable dans le présent contexte, bien plus éloquente que n’aurait pu l’être un texte. Elle montre parfaitement l’aspect intentionnel des actions visant à insulter la police et, en mettant en évidence la jubilation du responsable de cet acte, elle confirme l’opinion du journaliste selon laquelle la volonté de provoquer était manifeste. Cette démonstration était d’ailleurs le but du Soleil dans plusieurs de ses articles consacrés à ce sujet.
Après examen de la plainte dans le contexte évoqué, le Conseil de presse considère donc que le quotidien Le Soleil n’a pas failli aux principes de l’éthique journalistique en décidant de publier cette photo. Celle-ci apportait une réelle information d’intérêt public: elle permettait de montrer, mieux que des mots, l’ampleur et la gravité d’une situation que Le Soleil voulait rapporter.
Pour ces motifs, le Conseil de presse du Québec rejette la plainte.
Analyse de la décision
- C14A Sensationnalisme/exagération/insistance indue