Plaignant
Le Centre Détoxx
de Montréal
Représentant du plaignant
M. Émilien
Gauthier (directeur, Centre Détoxx de Montréal)
Mis en cause
L’Itinéraire
[Montréal] et Mme Isabelle Rivest (journaliste)
Représentant du mis en cause
M. Serge
Lareault (rédacteur en chef, L’Itinéraire [Montréal])
Résumé de la plainte
La journaliste
Isabelle Rivest porte des accusations sans fondement contre le plaignant dans
l’édition de mai 1997 de l’Itinéraire, lorsqu’elle traite des lacunes de
certains centres privés pour toxicomanes. Les organismes qu’elle cite nient
avoir tenu les propos publiés. Le plaignant demande à la journaliste de se
rétracter.
Faits
La plainte
concerne un article, publié dans l’édition de mai 1997 du journal l’Itinéraire et
intitulé «Attention aux dangereux incompétents». Ce texte, écrit par Mme
Isabelle Rivest, a pour sujet les centres privés pour toxicomanes et les
défaillances de certains. La journaliste évoque longuement le Centre Détoxx de
Montréal, dont le plaignant est directeur.
Suite à une
demande de rétractation de ce dernier, l’Itinéraire a fait paraître, dans son
édition de juin 1997, une lettre élogieuse portant sur l’organisme en question.
Griefs du plaignant
M. Émilien
Gauthier, directeur du Centre Détoxx de Montréal, estime que l’article de Mme
Isabelle Rivest contient des propos diffamatoires et non fondés contre
l’établissement qu’il dirige. Il considère que la journaliste «a manqué de
jugement, d’intégrité et de professionnalisme».
Elle aurait, en
outre, porté de graves accusations, sans aucune preuve, et en s’appuyant sur
des sources erronées: les organismes qu’elle cite nient avoir tenu les propos
que Mme Rivest leur prête.
M. Gauthier
joint à sa plainte la lettre de protestation qu’il a envoyée à Mme Rivest. Il y
détaille ses motifs de plainte, en reprenant différents éléments de l’article
incriminé qu’il estime inexacts et en en donnant sa propre version. Le
plaignant demande à la journaliste de publier une rétractation.
Commentaires du mis en cause
Commentaires de
Mme Isabelle Rivest:
Mme Isabelle
Rivest décrit les démarches qu’elle a entreprises pour obtenir des informations
sur la réputation du Centre Détoxx. Elle rapporte les propos que lui ont tenus
différentes personnes à ce sujet: une ex-patiente anonyme (dont la déclaration
est jointe aux commentaires) ainsi que des employés de deux organismes ayant
reçu des plaintes contre le Centre Détoxx.
La journaliste
fait remarquer que ces personnes ont mentionné aussi bien les défauts que
l’utilité de l’organisme du plaignant.
Elle affirme
avoir essayé de rendre compte de ces nuances dans son article, en rapportant
tels quels les faits qui lui ont été signalés, sans chercher à nuire «à la
réputation professionnelle et personnelle» de M. Gauthier.
Commentaires M.
Serge Lareault (rédacteur en chef):
M. Lareault
souligne la compétence et l’expérience de sa journaliste: il affirme que
celle-ci a agi avec tout le professionnalisme requis, en procédant à de
nombreuses recherches. M. Lareault mentionne aussi le fait que M. Gauthier a pu
exercer un droit de réponse: l’Itinéraire a publié un texte élogieux sur le
Centre Détoxx, signé par M. Thierry Évrard, dans la rubrique «Courrier des
lecteurs». M. Lareault insiste également sur le fait qu’il aurait publié la
lettre de protestation de M. Gauthier, adressée à Mme Rivest, s’il l’avait
reçue, ce qui n’est pas le cas.
Réplique du plaignant
M. Gauthier
reprend les mêmes motifs de plainte et précise de nombreux points qui ont été,
à ses yeux, déformés ou ignorés par la journaliste. Il évoque en particulier la
restructuration que le Centre Détoxx a subie: celle-ci a mis fin aux situations
que Mme Rivest dénonçait dans son article et aucune plainte n’a été signalée
depuis. Cette réorganisation a également été évoquée par Mme Bilocq Lebeau,
avec les mêmes effets. M. Gauthier regrette en outre que le texte de M. Évrard
ait été amputé sans l’approbation de l’auteur, décision que M. Lareault
justifiait dans ses «commentaires du mis-en-cause».
Commentaires des tiers
Par ailleurs, M.
Denis Boivin, conseiller en alcoolisme et toxicomanie pour la Régie régionale
de la santé et des services sociaux de Montréal (que Mme Rivest cite dans son
article et dans ses «commentaires»), a écrit à la journaliste pour établir une
nuance: il reconnaît ses paroles dans l’article paru dans l’Itinéraire mais il
nie avoir cité le Centre Détoxx, contrairement à ce qu’affirme Mme Rivest dans
ses «commentaires».
Étant soumis à
un devoir de réserve, il n’a fait qu’évoquer de manière générale et
impersonnelle le problème de la qualité des traitements dans certains services
de désintoxication privés sans mentionner expressément le nom d’aucun.
D’autre part,
Mme Lorraine Bilocq Lebeau, directrice générale du Centre de Référence du Grand
Montréal, qui gère le service Drogue, aide et référence cité dans l’article de
Mme Rivest, apporte certaines précisions qui concourent à minimiser les
allégations de la journaliste à l’encontre du Centre Détoxx.
Analyse
Dans le cas soumis à son examen, le Conseil observe que le plaignant considère que la journaliste a fait plusieurs erreurs dans son traitement, portant ainsi de graves accusations sans aucune preuve, et en s’appuyant sur des sources erronées.
Tout en reconnaissant que l’information communiquée au public fait nécessairement l’objet de choix rédactionnels et que la façon de présenter l’information relève du jugement et des prérogatives des médias et des professionnels de l’information, le Conseil rappelle que ceux-ci sont tenus de respecter les faits en tout temps, en les situant dans leur contexte pour permettre au public de se faire, en toute connaissance de cause, une opinion sur le sujet.
L’article porte sur les centres pour toxicomanes et ne se veut pas un portrait du Centre Détoxx. En fait, la journaliste se sert de l’exemple de Détoxx pour illustrer son propos. Pour ce faire, elle n’avait pas à faire une description complète du Centre et à tout dire à son sujet. Cependant, les informations qu’elle diffuse devaient être conformes aux faits.
La journaliste a choisi de présenter, dans le premier quart de son article, la problématique qu’elle tente de dénoncer à l’aide de l’exemple du centre Détoxx et d’en donner une contrepartie plus positive à la fin du texte. En structurant son reportage comme elle l’a fait, la journaliste a créé, à l’égard du Centre Détoxx, une image partiale et partielle d’abord négative qui n’a été ni rééquilibrée ni neutralisée par les nuances et les opinions positives de fin de texte.
De plus, en choisissant cette approche, elle donne dans l’imprécision: elle fait mention «d’innombrables plaintes» qu’elle ne chiffre pas. Elle ne mentionne pas non plus que ces plaintes ont cessé après un redressement de la situation par la Direction. La journaliste écrit également: «Parmi les allégations, on prétend que les médicaments y seraient prescrits en abondance, et que la drogue et l’alcool y seraient consommés à l’insu du personnel». En ce qui a trait à la surmédication, cette information n’est confirmée ni infirmée par aucune autorité médicale compétente, ni dans le texte, ni dans le commentaire.
Par ailleurs, même si elle peut démontrer, dans ses «commentaires», que certains éléments reposaient sur des témoignages, ses affirmations manquent de fondement dans le texte. Elle ne dit pas que ses allégations reposent sur le témoignage d’une cliente insatisfaite – elle-même victime de vol par une employée du Centre – qui témoigne d’accusations graves et sans preuve à l’appui (drogue qui circulerait librement).
Alors que l’éthique journalistique commandait d’être exacte et conforme aux faits, la journaliste, à cet égard, a manqué de précision, de rigueur et d’exactitude sur la situation réelle du Centre Détoxx et n’a pas établi son information sur des données vérifiées. Conséquemment l’image qui en ressort en a été déformée.
Dans le cas présent, le Conseil est donc d’avis que l’auteure de l’article a outrepassé la latitude rédactionnelle qui est sienne.
Même si la publication de lettres de lecteurs ou la diffusion de mises au point ne constitue pas toujours le meilleur moyen de réparer le préjudice causé, le Conseil est cependant d’avis que l’éditeur du journal l’Itinéraire était de bonne foi en publiant la lettre élogieuse de M. Évrard, en guise de mise au point sur le sujet. Le Conseil rappelle au passage que l’éditeur pouvait légitimement abréger une lettre ouverte qu’il publie, si ce geste n’avait pas pour effet de changer le sens de la pensée ou des propos de l’auteur ou d’en diminuer la portée de façon significative.
En conséquence, le Conseil de presse accueille la plainte à l’encontre de la journaliste Isabelle Rivest. D’autre part, le Conseil tient à signifier son appréciation devant l’ouverture manifestée par l’Itinéraire, en publiant après coup la lettre ouverte du Centre Détoxx.
Analyse de la décision
- C15A Manque de rigueur
- C19B Rectification insatisfaisante
Tiers
M. Denis Boivin
(conseiller en alcoolisme et toxicomanie, Régie régionale de la santé et des
services sociaux de Montréal) et Mme Lorraine Bilocq Lebeau (directrice
générale, Centre de Référence du Grand Montréal)