Plaignant
Commission
scolaire Vallée-de-la-Lièvre [CSVL]
Représentant du plaignant
M. Réjean
Chalifoux (directeur général, Commission scolaire Vallée-de-la-Lièvre [CSVL])
Mis en cause
Télé-Québec
[Montréal] et M. Jean-Luc Mongrain (animateur)
Représentant du mis en cause
M. Robert
Normand (président-directeur général, Télé-Québec [Montréal]) et Mme Danielle
Villemaire (conseiller juridique, Télé-Québec [Montréal])
Résumé de la plainte
Une émission sur
les nouvelles approches pédagogiques, diffusée sur les ondes de Télé-Québec le
25 mars 1997, discrédite injustement l’approche holistique adoptée par l’école
Saint-Laurent de Buckingham. L’animateur Jean-Luc Mongrain assimile de manière
pernicieuse approche holistique et secte, alors qu’il n’a aucune connaissance
du sujet. Il se fie au témoignage d’un seul parent inquiet, aucun autre parent
et aucun enseignant n’ayant été invités à donner leur point de vue.
Faits
La plainte
concerne l’émission «Mongrain», diffusée le 25 mars 1997 sur les ondes de
Télé-Québec.
Le thème
principal de l’émission portait sur les nouvelles approches pédagogiques et sur
les inquiétudes, légitimes selon l’animateur Jean-Luc Mongrain, que certaines d’entre
elles peuvent susciter chez les parents d’élèves, désormais «dépassés» et
incompétents à servir de référence à leurs enfants.
Pour
illustration, un reportage évoquait l’exemple de l’approche holistique,
pratiquée à l’école Saint-Laurent de Buckingham. Y étaient présentés différents
points de vue: celui de Mme Rachelle Brazeau, mère d’une ancienne élève,
sceptique et inquiète devant cette méthode; celui de M. Jim Lahey, directeur de
l’école Saint-Laurent; et celui de Mme Marianne Lalande, membre du groupe
«Étoile de David-Vortex» et du Centre de Santé Solamira, qui a préconisé
l’utilisation de l’approche holistique à l’école Saint-Laurent.
Suivait une
entrevue en direct avec la vice-présidente du Conseil pédagogique
interdisciplinaire du Québec, Mme Colette Buguet-Melançon, et un spécialiste
des sectes, M. Yves Casgrain.
Griefs du plaignant
La plaignante
est la Commission scolaire Vallée-de-la-Lièvre. C’est cette commission qui est
à l’origine du projet de développer l’approche holistique à l’école Saint-Laurent.
M. Réjean
Chalifoux, le directeur général de la CSVL, estime que l’émission «Mongrain» du
25 mars 1997 a «véhiculé des faussetés» sur cette nouvelle méthode pédagogique.
Il considère que l’animateur s’est plu, de manière pernicieuse, à assimiler
approche holistique et secte, alors qu’il n’avait aucune connaissance réelle du
sujet.
M. Chalifoux
retrace les étapes chronologiques de l’implantation définitive du projet, en
soulignant que ce sont les parents qui en sont à l’origine.
M. Jean-Luc Mongrain
se serait fié aux dires du seul parent insatisfait sur les 95 impliqués dans ce
programme.
M. Chalifoux
joint à sa plainte une documentation qui décrit en quoi consiste l’approche
holistique telle que pratiquée à l’école Saint-Laurent, ainsi que la correspondance
échangée avec la direction de Télé-Québec suite à la diffusion de l’émission.
Dans une
résolution, adoptée par le conseil des commissaires de la CSVL et envoyée à M.
Robert Normand, Président de Télé-Québec, les membres de l’organisme indiquent
clairement leur mécontentement face au traitement accordé au thème de
l’approche holistique. Ils estiment que M. Jean-Luc Mongrain a tenu des propos
méprisants et dépréciateurs sur ce projet et qu’il a «dénigré sans
discernement» le personnel enseignant de l’école Saint-Laurent de Buckingham.
La plaignante
qualifie le procédé utilisé de «malhonnête»: à ses yeux, l’objectif évident de
l’émission était de démontrer que l’approche pédagogique holistique de l’école
Saint-Laurent correspond à des pratiques sectaires, remplies «d’ésotérisme et
de pratiques et de discours d’une spiritualité suspecte», ce qui serait
totalement faux. D’ailleurs, ces allégations ne reposent que sur un seul
témoignage, celui de Mme Brazeau.
La plaignante
insiste sur le fait que l’approche holistique, telle que vécue à l’école
Saint-Laurent, est parfaitement conforme au régime pédagogique prescrit par le
ministère de l’Éducation du Québec et ne «déroge en rien du programme
d’enseignement religieux catholique ou de formation morale en vigueur partout
au Québec».
Elle ajoute que
cette méthode d’enseignement est une «réussite éducative», à laquelle les
parents sont étroitement associés, et qui n’a donc rien à voir avec le
« »grand concept vide » qui véhicule des valeurs que les parents ne
partagent pas» dénoncé par M. Jean-Luc Mongrain.
A cela, M.
Robert Normand a répondu que M. Mongrain et lui-même estimaient que toutes les
facettes de la question avaient été abordées et présentées, permettant ainsi au
téléspectateur de se forger sa propre opinion de manière éclairée. Il
considérait que le sujet avait été traité de manière équilibrée et qu’il n’y
avait donc pas lieu de s’excuser auprès de la CSVL, comme celle-ci le demandait
dans sa résolution.
M. Réjean
Chalifoux, suite à cette réponse, a réécrit à M. Normand pour lui signaler que
le Conseil des commissaires était loin de partager son opinion. Ceux-ci
considèrent que le sujet de l’émission portait davantage sur la prétendue
présence d’une secte à l’école Saint-Laurent que sur l’approche pédagogique
holistique qui y est pratiquée.
M. Chalifoux
ajoute que, de l’entrevue accordée par M. Lahey, directeur de l’école
Saint-Laurent, il ne reste que les passages étayant l’opinion préconçue de M.
Mongrain. De même, le choix d’interviewer Mme Lalande ne se justifiait que par
le fait que cette dernière est membre du groupe «Étoile de David-Vortex et du
Centre de Santé Solamira».
La CSVL
considère également que l’entrevue avec un spécialiste des sectes n’était pas pertinente,
ce dernier n’ayant manifestement aucune connaissance de l’approche pédagogique
holistique et n’étant donc pas compétent pour émettre certaines opinions sur le
«manque d’esprit critique» des professeurs.
Enfin, la
plaignante déplore qu’aucun enseignant ni parent impliqué «à l’exception de Mme
Brazeau» n’ait eu l’occasion de donner son point de vue: à ses yeux, il y a là
une grave lacune, des facettes importantes du sujet ayant été ignorées.
Commentaires du mis en cause
Mme Danielle
Villemaire, conseiller juridique de Télé-Québec, et M. Jean-Luc Mongrain font
valoir un même point de vue: selon eux, les normes de l’éthique journalistique
ont été respectées, chacune des parties en présence ayant pu exposer amplement
sa version des faits. Mme Villemaire ajoute que Mme Buguet-Melançon et M.
Casgrain sont des personnes indépendantes et crédibles: leur intervention était
pertinente et apportait un éclairage supplémentaire.
M. Mongrain,
quant à lui, invoque sa liberté éditoriale pour justifier son droit à faire «un
commentaire sur des questions d’intérêt public».
Quelques jours
plus tard, Mme Villemaire fait parvenir au Conseil une copie du dossier de
recherche pour l’émission du 25 mars 1997 dans lequel se trouvent:
– un résumé du
reportage incriminé;
– des articles
et extraits de livres portant sur la pensée de Rudolph Steiner, pédagogue
allemand cité dans la brochure «L’approche holistique à la CSVL» comme étant à
l’origine de cette méthode;
– la lettre de
Mme Brazeau à Jean-Luc Mongrain où elle explique que certains éléments de
l’enseignement reçu par sa fille à l’école Saint-Laurent l’inquiètent;
– les notes
personnelles de la journaliste qui a préparé le reportage incriminé;
– plusieurs
articles alarmistes sur le groupe «Étoile de David-Vortex» et le Centre Source
Solamira dont Mme Lalande, une des personnes à l’origine de l’application de
l’approche holistique à l’école Saint-Laurent, est membre.
Analyse
La plaignante a soumis son dossier au Conseil de presse, en disant considérer que les choix éditoriaux de l’émission étaient erronés, et en affirmant que le sujet de l’émission portait davantage sur la prétendue présence d’une secte à l’école Saint-Laurent que sur l’approche pédagogique holistique qui y est pratiquée.
Le Conseil fait observer que l’objectif de l’émission n’était pas de faire le point sur le projet de la Commission scolaire Vallée-de-la-Lièvre, mais de démontrer la présence de nouvelles approches pédagogiques et de nouvelles valeurs en milieu scolaire, et les inquiétudes que certaines d’entre elles peuvent susciter chez les parents d’élèves.
En vertu de la liberté rédactionnelle reconnue aux médias, les mis-en-cause avaient le droit de traiter le sujet de leur choix et sous l’angle qu’ils choisissaient de privilégier.
La plaignante considérait également que l’animateur s’était fié aux dires du seul parent insatisfait sur les 95 impliqués dans ce programme et que le procédé utilisé était «malhonnête»; que l’objectif de l’émission était de démontrer que l’approche pédagogique holistique de l’école Saint-Laurent correspondait à des pratiques sectaires, emplies «d’ésotérisme et de pratiques et de discours d’une spiritualité suspecte»; que ces allégations ne reposaient que sur un seul témoignage, celui de Mme Brazeau.
A ce sujet, le Conseil arrive à la conclusion que puisque l’objectif de l’émission n’était pas de mesurer la satisfaction des parents à l’égard du projet ou de l’approche holistique à l’école St-Laurent, mais d’illustrer les doutes et les incertitudes qui peuvent surgir devant une nouvelle approche pédagogique, un seul témoignage pouvait suffire pour lancer la question. En utilisant cet exemple, les mis-en-cause ont pu démontrer, au cours de l’émission, des éléments reliés à l’ésotérisme dans le discours de la mère et de l’enfant.
En regard des griefs concernant des inexactitudes et un traitement incorrect de l’information, la plaignante considérait que l’animateur s’était plu, de manière pernicieuse, à assimiler approche holistique et secte, alors qu’il n’avait aucune connaissance réelle du sujet.
Le Conseil fait observer que le rapprochement entre l’approche holistique et le phénomène des sectes n’est pas le résultat d’une tournure d’esprit mal intentionnée mais que ce sont des faits observables: une nouvelle approche pédagogique dite globale ou «holistique» dans une école catholique; le recours à des «invocations/prières» au soleil; un document explicatif du programme faisant référence à Rudolph Steiner, personnage controversé quant à son orthodoxie; une des premières instigatrices du programme qui déménage, et va elle-même adhérer à une secte et pratiquer une vie spirituelle peu commune.
Pour le Conseil, ces faits justifient tout à fait le questionnement. En ce qui a trait à la «connaissance réelle du sujet» chez l’animateur, l’émission a justement pour but de tenter de jeter de la lumière sur le sujet.
L’émission mise en cause visait à prévenir les téléspectateurs contre les aberrations qui peuvent survenir avec la déconfessionnalisation. Le Conseil constate que lors de l’émission, on n’a pas pris soin d’exposer clairement les modifications apportées au programme, après la démarche de Mme Brazeau. Mme Brazeau exceptée, aucun autre parent ni enseignant ayant participé au programme pédagogique n’est interrogé. La seule personne à qui on permet de prendre parti pour défendre le programme est le directeur, et encore, il le fait maladroitement.
A ce sujet, le Conseil est d’avis que les informations au sujet du programme sont moins inexactes qu’incomplètes.
La plaignante estimait, enfin, que l’animateur avait tenu des propos méprisants et dépréciateurs sur ce projet et qu’il a «dénigré sans discernement» le personnel enseignant de l’école Saint-Laurent de Buckingham.
En vertu de la latitude permise par ce genre journalistique, le Conseil de presse considère que même si le ton et les propos de l’animateur comme ceux de la reporter indiquent du scepticisme, ils n’ont pas pour effet de discréditer le directeur Lahey et les personnes de son entourage. L’animateur avait le droit de s’interroger comme il l’a fait sur ce sujet, même en adoptant une attitude polémique.
En conclusion et pour toutes ces raisons, même s’il reconnaît que le dossier aurait gagné à être plus complet, le Conseil de presse ne voit pas dans l’émission mise en cause de violation à l’éthique journalistique, et partant, rejette la plainte.
Analyse de la décision
- C03A Angle de traitement
- C12B Information incomplète