Plaignant
M. Julian J.
Samuel (avocat)
Mis en cause
Le Devoir
[Montréal] et M. Robert Chartrand (journaliste)
Représentant du mis en cause
Mme Lise
Bissonnette (directrice, Le Devoir [Montréal])
Résumé de la plainte
Le Devoir refuse
de publier le texte rédigé par le plaignant en réponse à la critique négative que
le chroniqueur Robert Chartrand fait de son livre «De Lahore à Montréal», dans
l’édition du 21/22 juin 1997. Le Devoir refuse également de publier la lettre
ouverte que le plaignant adresse au chroniqueur.
Faits
La plainte de M.
Julian J. Samuel fait suite à une chronique littéraire publiée dans Le Devoir
du 21/22 juin 1997 et signée par M. Robert Chartrand.
Ce texte était
une critique du livre du plaignant, intitulé De Lahore à Montréal, et avait
pour titre «L’orangisme déguisé en esprit frondeur. Un vidéaste-écrivain
dénonce les Québécois pour leur nationalisme». Estimant certaines remarques
inéquitables, M. Samuel réclame un droit de réponse que la direction du Devoir
refuse de lui accorder.
Griefs du plaignant
M. Julian J.
Samuel insiste particulièrement sur le fait que la présente plainte ne porte
pas sur le contenu de l’article de M. Chartrand, ni sur les opinions négatives
que ce dernier a pu émettre au sujet de son livre.
Néanmoins, le
plaignant estime que la chronique de M. Chartrand appelle une réplique de sa
part. Il joint donc à sa plainte copie d’un article intitulé «The
« Other » intellectual in the Québécois world», envoyé au Devoir et
qu’il désirait voir publié en réponse à la chronique de M. Chartrand.
Dans cet
article, M. Samuel déplorait l’intolérance des journalistes ayant critiqué son
livre, leur «défense engagée de leur conception particulière de la culture
québécoise», leur incompréhension «intentionnelle» et «tactique» de son
ouvrage, leur stigmatisation injustifiée des passages critiquant ironiquement
les idées séparatistes et leur rejet des immigrants. Il regrettait qu’on ait
tenté de le faire passer pour quelqu’un qui déteste le Québec.
Il précisait
que, suite à la publication de l’article de M. Chartrand et de celui de M.
Robert Beauchemin dans le journal Voir, il avait reçu deux lettres anonymes
d’insultes antisémites, ce qui montre que ces textes attiseraient
l’intolérance. M. Samuel a également envoyé une lettre à M. Chartrand, destinée
à être publiée dans la rubrique «Courrier des lecteurs».
Or, la direction
du Devoir refuse de publier et l’article et la lettre du plaignant. Ce qui
prouverait, selon ce dernier, une volonté de censure de ce quotidien (qu’il
estime faire de la ségrégation envers les intellectuels immigrants) et également
une participation active à la «tactique politique» de M. Chartrand.
M. Samuel
réclame donc l’intervention du Conseil pour que sa réplique soit publiée dans
Le Devoir.
Commentaires du mis en cause
Commentaires de
M. Robert Chartrand:
M. Chartrand, tout
en reconnaissant que sa chronique ait pu déplaire à l’auteur de De Lahore à
Montréal, justifie et maintient le contenu de son article. Il se dit déçu des
reproches de M. Samuel qui remet en cause son «honnêteté» et son «indépendance
d’esprit».
Il explique
ainsi qu’une chronique littéraire n’est pas le compte rendu exhaustif d’un
ouvrage et que, s’il a choisi de s’attarder plus particulièrement sur les
passages évoquant le Québec, c’est parce que ceux-ci étaient «les plus
susceptibles d’intéresser les lecteurs».
De plus, M.
Chartrand estime que ses remarques sur le style «ironique» de M. Samuel
relèvent de ses prérogatives de critique littéraire et ne sont pas dues à une
quelconque incompréhension, comme le pense le plaignant.
Il considère
également que M. Samuel lui fait un «procès d’intention» en l’accusant de se
servir de sa chronique pour exprimer ses idéologies: il n’a fait que resituer
le livre dans un contexte, en l’occurrence en établissant un rapprochement avec
le discours des médias anglophones canadiens.
En outre, M.
Chartrand fait savoir qu’il ne dépend pas de lui que la réplique de M. Samuel
soit publiée ou non, mais de la discrétion éditoriale du Devoir.
Enfin, M. Chartrand
déplore que M. Samuel ait reçu des lettres antisémites suite à sa chronique,
d’autant plus qu’un tel acte l’associe à «la même détestable famille d’esprit»
que l’auteur de ces envois.
Commentaires de
Mme Lise Bissonnette (directrice):
Mme Bissonnette
informe le Conseil que Le Devoir envisage de porter plainte contre M. Samuel
auprès des autorités policières pour harcèlement. Par ailleurs, elle estime que
la chronique de M. Chartrand remplit toutes les exigences de la profession et
que la « »réplique » de M. Samuel n’en est pas une au texte publié».
Réplique du plaignant
M. Julian J.
Samuel souligne que le journal Voir ainsi que Lettres Québécoises, qui avaient
également émis des commentaires négatifs sur son livre, ont été «assez
démocratiques» pour publier ses répliques.
Il accuse donc
Lise Bissonnette d’avoir empêché sa lettre adressée à M. Chartrand d’être
publiée et ce, sans raison.
Il continue de
soutenir que la critique de M. Chartrand avait pour but manifeste de le faire
passer pour un ennemi du Québec et il estime avoir le droit de se défendre
contre cette attaque.
Analyse
Le Conseil reconnaît que même s’ils doivent favoriser l’expression du plus grand nombre possible de points de vue, les médias jouissent de la prérogative de publier ou non les lettres des lecteurs et les lettres de réplique qui leur sont soumises, et de déterminer le choix du moment de leur parution. Nul n’a accès de plein droit à la tribune réservée à cette fin dans les journaux.
Dans le cas présent, le Conseil ne retient aucun blâme contre Le Devoir pour ne pas avoir publié la lettre ouverte du plaignant. Il relevait de la prérogative du quotidien de faire un tel choix.
Le Conseil de presse constate, au surplus, que le critique littéraire du Devoir a effectué, dans le présent cas, un bon travail journalistique.
Le Conseil tient également à rappeler que la liberté de la presse serait compromise si les médias ne devenaient que de simples courroies de transmission des divers textes qui leur sont présentés. Les médias doivent plutôt faire un choix rédactionnel qui se fonde sur le souci de bien informer les lecteurs des questions d’intérêt public.
Conséquemment, le Conseil de presse rejette la plainte à l’encontre du journal Le Devoir.
Analyse de la décision
- C09A Refus d’un droit de réponse
Date de l’appel
29 October 1998
Appelant
M. Julian J.
Samuel (avocat)
Décision en appel
Après étude du
dossier, il est résolu de maintenir la décision rendue en première instance.
L’appel est donc rejeté unanimement.
Griefs pour l’appel
M. Samuel
interjette appel de la décision du Conseil de presse.