Plaignant
Le Regroupement
Les Sages-femmes du Québec [RSFQ]; Le Mouvement pour l’Autonomie dans la Maternité
et pour l’Accouchement Naturel [MAMAN]; Regroupement Naissance-Renaissance
Représentant du plaignant
Mme Lucie
Hamelin (présidente, Regroupement Les Sages-femmes du Québec (RSFQ)); Mme
Lysane Grégoire (présidente, Groupe MAMAN (Mouvement pour l’Autonomie dans la
Maternité et pour l’Accouchement Naturel)); Mme Hélène Laliberté (présidente,
Regroupement Naissance-Renaissance)
Mis en cause
Télé-Québec
[Montréal] et Mme Anne-Marie Dussault (animatrice)
Représentant du mis en cause
Mme Lynn Phaneuf
(réalisatrice-coordonnatrice, Télé-Québec [Montréal]), Mme Josée Boileau
(rédactrice en chef, Télé-Québec [Montréal]) et Mme Dominique Langelier
(coordonnatrice aux reportages, Télé-Québec [Montréal])
Résumé de la plainte
Le 23 octobre
1997, Télé-Québec diffuse une émission trompeuse et négative sur les projets-pilotes
conduits dans les maisons de naissance au Québec. Cette émission trace un
portrait alarmiste à partir d’un cas malheureux, portrait renforcé par des
statistiques et des extraits d’entrevues rapportés hors contexte et sans
vérification. Le débat animé par Mme Anne-Marie Dussault ne conduit à présenter
qu’une version des faits. Des jugements de valeur, qui discréditent les
sages-femmes et le processus mis en place pour leur évaluation, sont portés
sans fondement.
Faits
La plainte concerne
l’émission «Québec Plein Écran», diffusée le 23 octobre 1997 sur les ondes de
Télé-Québec. Le thème abordé est «Les maisons de naissance: quand ça tourne
mal».
Le sujet traité
porte sur les projets-pilotes conduits dans les maisons de naissance au Québec.
Ces programmes expérimentaux doivent aboutir à une évaluation de la pratique de
sage-femme, afin de déterminer si cette profession doit être ou non légalisée
par le ministre de la Santé.
L’émission
soulève une question: «Dans quelle mesure une expérience malheureuse va peser
dans l’évaluation de ces projets-pilotes», alors que, neuf mois avant la
publication des conclusions du Conseil d’évaluation, le ministre de la Santé a
déjà annoncé la légalisation de la pratique de sage-femme.
L’émission commence
par un reportage que l’animatrice Anne-Marie Dussault présente comme
l’illustration d’un «cas pathétique»: celui d’un couple dont l’enfant, né en
maison de naissance, garde des séquelles neurologiques importantes à la suite
d’un accouchement difficile.
Ce reportage
comporte le témoignage des parents de l’enfant. Ils estiment avoir été victimes
d’«improvisation» et d’un manque d’encadrement et comptent intenter des
poursuites judiciaires contre la maison de naissance où l’accouchement a eu
lieu. Ils ont préféré ce type de recours en raison des doutes qu’ils
entretiennent quant à l’impartialité du Conseil multidisciplinaire censé
recevoir et traiter ce type de plainte.
Le reportage
contient également des extraits d’entrevue avec M. Gilles Tremblay, porte-parole
des projets-pilotes, qui traite des conséquences d’un tel accident. Suit un
débat sur le processus d’évaluation de la pratique de sage-femme entre Mme
Marie-Claude Renault, présidente de l’Association des sages-femmes du Québec
ayant démissionné des projets-pilotes, et le docteur Alain Poirier, président
du Conseil d’évaluation des projets-pilotes.
Griefs du plaignant
Le Regroupement
Les Sages-femmes du Québec (RSFQ), le Groupe Maman et le Regroupement
Naissance-Renaissance estiment que le traitement journalistique de l’émission
«Québec Plein Écran» du 23 octobre était biaisé, partial et manquait de rigueur
professionnelle.
Les trois
plaignants détaillent longuement leurs griefs et donnent leur version des faits
sur de nombreux points. Ils reprochent principalement à l’émission:
– une
méconnaissance générale du sujet qui a conduit à donner au téléspectateur une
image négative et trompeuse de la réalité telle que vécue en maison de naissance.
Seul un cas particulier a été évoqué: il a d’ailleurs fait l’objet d’une
«exploitation éhontée» alors qu’il n’est pas représentatif de l’ensemble des
situations;
– d’avoir laissé
sous-entendre que les accouchements en maison de naissance étaient moins
sécuritaires qu’en hôpital et que le personnel y était moins compétent. En
n’établissant aucune comparaison avec les statistiques des hôpitaux, l’émission
est devenue alarmiste et ce, sans fondement. Des données statistiques et des
extraits d’entretien ont été présentés hors-contexte, sans vérification d’un
expert. Les conclusions n’ont été tirées qu’à partir des interprétations du
couple éploré. Quant aux questions posées par l’animatrice aux intervenants du
débat, plusieurs d’entre elles relevaient du «jaunisme»;
– d’avoir
colporté des allégations trompeuses, gratuites et non vérifiées, qui remettent
en cause l’intégrité, la transparence et le professionnalisme des Conseils
multidisciplinaires. Des jugements de valeur, qui discréditent la réputation et
la compétence des sages-femmes, ainsi que la crédibilité du processus mis en
place pour leur évaluation, ont été portés sans fondement;
– de n’avoir
interrogé aucune des sages-femmes impliquées dans les projets-pilotes et de
n’avoir pas même cherché à contacter le Regroupement les Sages-femmes du
Québec, seul organisme représentant les sages-femmes reconnues légalement aptes
à pratiquer. Inviter Mme Renault, qui a un évident parti pris contre les
projets-pilotes dont elle a démissionné, n’a conduit qu’à donner une seule
version des faits. De plus, aucun membre de la maison de naissance en cause n’a
pu témoigner, pour cause d’intention de poursuites civiles.
Commentaires du mis en cause
Mme Lynn
Phaneuf, réalisatrice-coordonnatrice, Mme Anne-Marie Dussault, animatrice, Mme
Josée Boileau, rédactrice en chef, et Mme Dominique Langelier, coordonnatrice
aux reportages signent collectivement une longue argumentation, très détaillée.
Celle-ci vise à expliquer le concept de l’émission «Québec Plein Écran», à
défendre les choix éditoriaux effectués et à démontrer l’impartialité et la
rigueur professionnelle qui ont prévalu dans l’émission du 23 octobre.
Les mis-en-cause
précisent leur définition de l’angle de traitement sélectionné pour l’émission
incriminée, en insistant sur le fait que son but était de soulever des
questions d’intérêt public. L’émission n’avait pas pour ambition de recenser
exhaustivement tous les éléments du débat entourant la pratique de sage-femme
et les projets-pilotes qui y sont associés. Elle était destinée à mieux faire
connaître les mécanismes d’évaluation de ces programmes expérimentaux et à
savoir dans quelle mesure les problèmes rencontrés dans ce cadre allaient être
pris en compte dans le processus d’accréditation des sages-femmes, étant donné
que le ministre de la Santé avait déjà annoncé sa décision avant même que cette
évaluation soit terminée.
En vertu de leur
liberté éditoriale, les mis-en-cause s’estiment dans leur droit en traitant le
sujet sous cet angle particulier, compte tenu du «continuum journalistique et
social» entourant le thème des projets-pilotes et des sages-femmes.
Le témoignage
d’un couple ayant vécu une expérience malheureuse et exprimant son scepticisme vis-à-vis
de l’impartialité du Conseil multidisciplinaire chargé de recevoir les plaintes
était pertinent selon les mis-en-cause: il illustrait, par un cas vécu, le
bien-fondé du questionnement de départ. De plus, ce reportage soulevait la
question importante des potentiels conflits d’intérêts au sein de ces
organismes de contrôle et lançait le débat: suite à cette histoire, qui n’est
pas la première, faut-il remettre en cause le déroulement des projets-pilotes?
Est-on trop alarmiste?
Les mis-en-cause
soulignent les nombreuses reprises où neutralité, équilibre journalistique et
impartialité ont été de mise pendant l’émission, tant au cours de la mise en
contexte du sujet et du reportage que lors du débat animé par Mme Dussault.
Lors de ce
débat, deux personnes crédibles sont intervenues pour présenter des points de
vue opposés: l’équité entre les parties a donc été respectée. Le choix des
invités était pertinent, chacun ayant pu défendre longuement sa position afin
de permettre au téléspectateur de se forger sa propre opinion de manière
éclairée.
Le fait que les
plaignants contestent la présence de Mme Renault indique, selon les
mis-en-cause, l’existence de «querelles intestines». De plus, l’équipe de
«Québec Plein Écran» a tenté vainement d’obtenir la version des faits de la
maison de naissance concernée. Ces démarches n’ont pu aboutir pour cause
d’intention de poursuites civiles. Les mis-en-cause estiment que les plaignants
doivent assumer cette décision délibérée.
Les mis-en-cause
rejettent donc fermement les accusations de parti pris: s’interroger sur la
transparence et le fonctionnement du processus d’évaluation des projets-pilotes
est légitime compte tenu des incidents survenus. Ce questionnement répond, à
leurs yeux, à un souci d’exactitude et non pas à une volonté de discréditation
de la pratique de sage-femme comme l’affirment les plaignants.
Quant au
reproche concernant l’absence de contexte des données statistiques et des
extraits d’entretien, les mis-en-cause expliquent qu’il s’agissait d’illustrations
opportunes, que chacun est libre d’interpréter à sa guise.
Enfin,
concernant les présumées allégations diffamatoires et alarmistes tenues par Mme
Dussault, les mis-en-cause estiment que cette dernière a parfaitement tenu le
rôle qui lui est dévolu, en posant des questions incisives et en faisant des
synthèses pour relancer et élargir le débat.
Les mis-en-cause
concluent leur réplique en soulignant que les plaignants, par «leur attaque
concertée et virulente», menacent la liberté de la presse.
Tous ces
arguments sont soutenus par Me Danielle Villemaire, conseillère juridique de
Télé-Québec. Elle ajoute qu’examiner au grand jour les problèmes survenus en
maison de naissance est souhaitable et légitime. De même, remettre en question
le fonctionnement de l’organe de contrôle des projets-pilotes répond à un souci
d’intérêt public et non pas à un parti pris défavorable.
Réplique du plaignant
Seuls le
Regroupement Les Sages-femmes du Québec et le Groupe Maman ont utilisé leur
droit de réplique.
Les deux
associations font valoir un même point de vue: si le coeur de l’émission était
bien de discuter du processus d’évaluation des projets-pilotes, comme
l’affirment les mis-en-cause, une représentante du Regroupement Les
Sages-femmes du Québec aurait dû pouvoir s’exprimer, afin de respecter une
certaine équité.
Le Groupe Maman
considère, en outre, qu’il y a eu fausse représentation, dans la mesure où Mme
Renault n’était pas identifiée correctement comme porte-parole d’un groupe
dissident. Ce qui a eu pour conséquence d’induire le public en erreur, en lui
faisant croire que l’invité parlait au nom des sages-femmes du Québec.
Le RSFQ déclare,
en effet, être le seul groupe dont tous les membres sont légalement accrédités
pour travailler en maison de naissance. Ceci ne serait pas le cas de
l’Association dirigée par Mme Renault.
Il en est de
même pour le docteur Poirier: en tant que président du Conseil d’évaluation, il
ne pouvait prétendre endosser le rôle de porte-parole des évaluées.
Le RSFQ estime donc
que l’émission incriminée a nié son droit de parole en omettant d’inviter les
personnes qui étaient au coeur même du débat et qui auraient été les plus aptes
à en exposer tous les éléments.
De même, le
témoignage du couple, objet du reportage, n’était pas pertinent si, comme le
soulignent les mis-en-cause, l’émission se voulait un questionnement sur la
transparence et le fonctionnement du processus d’évaluation. Ce couple a, en
effet, refusé d’utiliser ce processus et a préféré s’en remettre aux tribunaux.
Le cas de personnes ayant fait jouer le mécanisme prévu légalement aurait donc
était opportun pour permettre au téléspectateur de se forger une opinion
éclairée.
A ceci, le
Groupe Maman ajoute que le ton alarmiste des questions de l’animatrice, ses allégations
de «grossesse à risque non diagnostiquée», ainsi que le choix des invités,
indiquent une idée préconçue quant à la validité du processus d’évaluation
examiné. Ceci constituerait même une négation de la présomption d’innocence
puisque, lors de la diffusion de l’émission, les tribunaux ne s’étaient pas
encore prononcés.
Enfin, l’absence
de commentaire lors de l’apparition des statistiques à l’écran, ainsi que
l’identification erronée de M. Gilles Tremblay lors de son entretien, étaient
susceptibles, aux yeux du Groupe Maman, de nuire à une bonne compréhension du
débat.
Selon les
plaignants, ces lacunes indiquent un manque de professionnalisme et de rigueur
dans la recherche de l’émission.
Analyse
L’essentiel de la plainte soumise à l’attention du Conseil concernait le traitement journalistique accordé au sujet, qui apparaissait aux plaignants biaisé, partial et manquant de rigueur.
La déontologie du Conseil de presse a déjà précisé que l’information communiquée au public fait nécessairement l’objet de choix rédactionnels et que la façon de présenter l’information relève du jugement et des prérogatives des médias et des professionnels de l’information.
De l’avis du Conseil, l’angle de traitement de l’émission était clairement défini en début d’émission par la question de l’animatrice. Et il était tout à fait légitime, pour les artisans de Québec Plein Écran, d’aborder le sujet comme ils l’ont fait.
L’objectif de l’émission mise en cause n’était pas de faire le point sur la pratique des sages-femmes, ni une quelconque évaluation du projet-pilote. Il consistait à s’interroger sur l’impact d’une «histoire malheureuse» sur les décisions définitives concernant l’avenir des maisons de naissance et la reconnaissance de la pratique de sage-femme.
En choisissant de bâtir leur émission sous cet angle, les mis-en-cause faisaient également le choix de ne pas tout dire sur le sujet, de ne pas donner la parole à tous et de n’exposer qu’un seul cas. Ils tentaient simplement de répondre à la question de départ concernant l’impact de «l’expérience malheureuse» sur les décisions à venir.
Cependant, les insatisfactions des plaignants se traduisent par de nombreux griefs à l’égard du traitement de l’information. Le Conseil attribue à l’angle éditorial choisi – légitime, par ailleurs – les apparentes injustices dénoncées par les plaignants, qui concourent à créer ainsi les impressions d’iniquité, voire d’atteinte à la réputation, ressenties par les plaignants.
Le Conseil considère finalement, après examen, que rien dans l’émission mise en cause ne permet de conclure à des écarts professionnels de la part des mis-en-cause.
Par conséquent le Conseil de presse ne peut retenir de blâme à cet égard et rejette la plainte.
Analyse de la décision
- C03A Angle de traitement