Plaignant
Mme Lucille
Bastien (infirmière, Hôpital Maisonneuve Rosemont)
Mis en cause
CFJP-TV [TQS, Montréal]
et Mme Isabelle Maréchal (journaliste)
Représentant du mis en cause
M. Daniel
Asselin (directeur de l’information, CFJP-TV [TQS, Montréal]), M. Luc Doyon
(vice-président programmation et exploitation, CFJP-TV [TQS, Montréal]) et M.
André Larin (président directeur-général, Coscient)
Résumé de la plainte
La journaliste
Isabelle Maréchal porte atteinte à l’éthique journalistique dans un reportage
sensationnaliste qu’elle réalise sur le temps d’attente dans les salles
d’urgences montréalaises, pour le compte de l’émission humoristique «La fin du
monde est à 7 heures» de TQS. La journaliste enregistre les propos de la
plaignante et de plusieurs patients avec une caméra cachée, sans révéler ni son
identité ni ses véritables intentions. Elle ridiculise le personnel des
hôpitaux en comparant le temps d’attente à l’urgence et celui dans une clinique
vétérinaire.
Faits
Lors de
l’émission humoristique «La fin du monde est à 7 heures», diffusée le 22
septembre 1997 sur les ondes de Télévision Quatre-Saisons, la journaliste
Isabelle Maréchal a réalisé un reportage visant à dénoncer de manière ironique
les temps d’attente importants dans les services d’urgence des hôpitaux de
Montréal.
Sous une fausse
identité et à l’aide d’une caméra cachée, Mme Maréchal s’est introduite dans
une salle d’urgence, a posé diverses questions à des patients en attente, a
proposé à une infirmière de la payer pour accéder plus vite à des soins…
C’est d’ailleurs cette dernière qui porte plainte pour manque d’éthique et
d’intégrité professionnelles.
La journaliste
est ensuite allée dans une clinique vétérinaire pour comparer les temps
d’attente.
Le reportage était
suivi d’un échange entre Isabelle Maréchal et l’animateur de l’émission: la
journaliste expliquait et justifiait sa méthode d’enquête, sous le couvert de
l’humour, et résumait ce qu’elle avait pu constater.
Griefs du plaignant
Mme Lucille
Bastien, infirmière aux Services d’urgence de l’hôpital Maisonneuve Rosemont à
Montréal, estime que le reportage de Mme Maréchal «déroge en tout point aux
principes de l’éthique journalistique.»
En premier lieu,
Mme Maréchal aurait réalisé un reportage sensationnaliste, destiné à «mettre du
piquant» et non pas à informer.
Elle compare
deux situations n’ayant aucun rapport entre elles (le temps d’attente dans les
services d’urgence et dans les cliniques vétérinaires) et, ce faisant, elle
ridiculise les hôpitaux et le personnel des salles d’urgence.
La journaliste
aurait également usé de fausses représentations, niant catégoriquement être
journaliste à un chef de service qui lui posait la question.
En outre, Mme
Maréchal, en plus d’utiliser une caméra cachée, aurait enregistré les propos de
la plaignante et de plusieurs patients sans les en informer ni dévoiler son
identité et ses intentions.
En tentant de
soudoyer la plaignante pour accéder plus rapidement à des soins, devant les
patients qui attendaient et alors que l’infirmière était débordée, la
journaliste aurait également manifesté une arrogance «inacceptable».
Mme Bastien
estime que de telles pratiques journalistiques constituent un abus de
confiance, en plus de ne pas respecter l’anonymat des patients, l’impératif
d’agir vite qui prévaut dans le milieu hospitalier et la vulnérabilité de la
clientèle.
Commentaires du mis en cause
Les mis-en-cause
font valoir un même point de vue, à savoir que «La fin du monde est à 7 heures»
se veut une émission de variétés humoristique, destinée à amuser, et non pas
une émission d’information.
Les séquences
s’apparentent davantage à des «sketch» qu’à des reportages.
Mme Maréchal a
d’ailleurs été embauchée comme scénariste et non pas comme journaliste.
L’animateur de l’émission est également un comédien. Le concept de la série
veut donc que le regard porté sur les événements soit satirique.
Pour ces
raisons, M. Luc Doyon, vice-président programmation et exploitation de TQS, et
M. André Larin, président directeur-général de Coscient Inc., estiment que
l’émission incriminée ne relève pas de la compétence du Conseil.
Mme Isabelle
Maréchal ajoute cependant que, en tant que journaliste, sa principale
préoccupation reste de bien informer le public. Elle estime donc avoir respecté
les principes de l’éthique journalistique dans la mesure où aucun des faits
présentés n’a été déformé.
Mme Maréchal
indique également que toutes les personnes clairement identifiables dans le
reportage ont été informées de son identité et de ses intentions et qu’elles ont
librement consenti à la diffusion de leurs propos. Les autres, y compris la
plaignante, étaient masquées ou filmées à contre-jour. La journaliste est
soutenue dans ces affirmations par M. André Larin.
Mme Maréchal
considère donc que la véracité des faits reste intacte et que son reportage a
servi à déclencher une polémique intéressante sur la lenteur du système de
santé.
Analyse
Après examen de l’enregistrement et de la correspondance des plaignants et des mis-en-cause, le Conseil de presse confirme que l’émission soumise à son attention n’entre pas dans la catégorie des émissions d’information mais qu’elle appartient au genre médiatique de l’humour.
Cependant, le Conseil ne peut que s’inquiéter de la confusion que ce genre d’émission peut créer à l’antenne, compte tenu de sa similitude avec les procédés journalistiques, d’autant plus que la chroniqueure, Mme Isabelle Maréchal, est toujours membre de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec.
Le Conseil note, à ce propos, une divergence de points de vue exprimés dans l’argumentation des mis-en-cause: la direction de TQS et de la firme Coscient ne voient qu’une émission d’humour dans La fin du monde est à 7 heures, alors que Mme Maréchal appuie la défense de son reportage sur le respect de l’éthique journalistique.
Conséquemment, le Conseil de presse invite les médias et plus particulièrement les journalistes à jouer de prudence et à éviter les situations ambiguës que pourraient engendrer la confusion des genres à l’antenne, et qui pourraient jeter le discrédit sur la profession journalistique.
Ces réserves exprimées, le Conseil ne peut que rejeter sur le fond la plainte de Mme Lucille Bastien.
Analyse de la décision
- C20A Identification/confusion des genres