Plaignant
M. Guy Simard
Mis en cause
La Presse
[Montréal] et M. Alain Dubuc (éditorialiste)
Représentant du mis en cause
M. Claude Masson
(vice-président et éditeur adjoint, La Presse [Montréal])
Résumé de la plainte
Le journaliste
Alain Dubuc de La Presse encourage les préjugés à l’égard des assistés sociaux
dans un éditorial paru le 24 décembre 1997. Le journaliste affirme à tort que
que les «prestations généreuses» de l’État ont rendu les pauvres moins pauvres.
Il incite à la violence en écrivant que « »le coup de pied au cul »
fait partie des outils d’apprentissage».
Faits
La plainte
concerne un éditorial du journaliste Alain Dubuc, paru dans le quotidien La
Presse du 24 décembre 1997.
Tout en disant
comprendre que les éditorialistes ont le droit d’exprimer «des opinions pas
toujours en accord avec la majorité», M. Guy Simard porte plainte au nom des
jeunes assistés sociaux du Québec et de ceux qui veulent une amélioration de la
société québécoise, précisant que les éditorialistes se doivent de bien étayer
leurs thèses et de respecter certaines valeurs humaines.
Griefs du plaignant
M. Simard
reproche à M. Dubuc d’avoir enfreint plusieurs règles dans son article,
estimant que sa thèse est appuyée sur une information douteuse.
Il reproche
notamment au mis-en-cause d’avoir prétendu que «les prestations généreuses [de
l’État] ont certes rendu les pauvres un peu moins pauvres» oubliant que depuis
une dizaine d’années Statistiques Canada indique le contraire. M. Simard
reproche donc à M. Dubuc de continuer à véhiculer et encourager les préjugés.
Il dénonce
particulièrement l’utilisation de la phrase «Disons-le, « le coup de pied
au cul » fait partie des outils d’apprentissage» qui «nous recule de 50 ans
en arrière» et laisse place à beaucoup d’interprétations, notamment de la part
de lecteurs «plus fragiles». Il reproche, en outre, à l’éditorialiste d’oublier
tout ce qui a été fait pour éliminer la «violence éducative». Il suggère que le
journaliste relise la Charte des droits et les codes civil et criminel. Il
rappelle enfin que «la responsabilité du journaliste est grande et que tout
devrait être mis en ouvre pour éviter les incitations à la violence».
Commentaires du mis en cause
Commentaire de
l’éditorialiste Alain Dubuc:
M. Dubuc
reconnaît trois reproches dans la lettre du plaignant, et il répond à chacun.
Au premier élément, il dit que même si le plaignant est en profond désaccord
avec les thèses de son éditorial, le fait d’être en désaccord ne constitue pas
en soi un motif de plainte, à moins que la démarche journalistique n’ait
enfreint des règles d’éthique. Au reproche de voir une erreur factuelle dans
une phrase sur la diminution de la pauvreté, il répond que la phrase est citée
hors contexte et il en explique le sens. Au troisième reproche en regard de
l’expression «coup de pied au cul», il resitue l’expression dans son contexte,
y voit une expression d’opinion, ce qui ne constitue pas, selon lui, un
fondement valide à une plainte.
Commentaire de
l’éditeur adjoint, Claude Masson:
M. Masson appuie
l’argumentation déposée par son éditorialiste.
Réplique du plaignant
Le plaignant
réplique en disant que M. Dubuc a probablement mal lu ses critiques et l’objet
de sa plainte. Au sujet du premier argument, il indique qu’il n’est pas en
désaccord total avec les propos de l’éditorialiste, mais qu’il estime sa thèse
fondée sur une information douteuse et manquant de respect à certaines valeurs
reconnues. En regard du second point de divergence, le plaignant explique qu’il
a bien compris que M. Dubuc faisait allusion aux politiques fastes du passé et
il exprime son désaccord. Pour ce qui est du troisième élément de divergence
d’opinions, le plaignant répond qu’il a bien compris que cette opinion
s’adressait à tous les jeunes, il déplore l’utilisation d’expressions comme
«tordage de bras» et «coup de pied au cul» plutôt ambiguës et aurait attendu
plus de prudence dans leur utilisation.
Analyse
L’éditorial est un genre journalistique qui laisse à son auteur une grande latitude dans l’expression de ses points de vue et de ses jugements. Il permet à son auteur d’adopter un ton polémiste pour prendre parti et exprimer ses critiques, ce qu’il peut faire dans le style qui lui est propre.
Le plaignant reprochait à l’éditorialiste Alain Dubuc de ne pas avoir mentionné certaines informations au sujet de la progression du phénomène de la pauvreté. La déontologie reconnaît que dans le cadre du genre journalistique que constitue l’éditorial, l’auteur est libre d’exclure des points de vue, notamment ceux qui s’écartent de la politique du média, sans qu’une telle exclusion puisse être considérée comme privant le public de l’information à laquelle il a droit.
L’éditorialiste se voyait également reprocher d’entretenir et de véhiculer des préjugés sur les assistés sociaux et sur la violence associée au processus éducatif.
Après étude des griefs du plaignant et du texte incriminé, le Conseil de Presse en arrive à conclure que, replacées dans leur contexte, les expressions dénoncées n’ont pas le sens étroit que leur impute le plaignant.
L’éditorialiste parle, au sens figuré, de tordage de bras pour les jeunes assistés sociaux et de coup de pied au cul pour tous les jeunes. Cette façon imagée de parler des pressions exercées par le milieu ne comportent ni la dimension de violence que leur impute le plaignant, ni la portée éducative. Elle ne réfère qu’aux exigences et aux pressions exercées par des milieux sociaux sur des jeunes lors de leur démarrage dans la vie.
En conséquence, le Conseil de Presse rejette la plainte à l’endroit du quotidien La Presse et de son éditorialiste Alain Dubuc.
Analyse de la décision
- C01C Opinion non appuyée sur des faits