Plaignant
Mme Lucie
Turcotte
Mis en cause
TVA [Montréal], Mme
Jocelyne Cazin et M. Gaétan Girouard (journalistes)
Représentant du mis en cause
M. Alain
Gazaille (rédacteur en chef délégué, TVA [Montréal])
Résumé de la plainte
Les journalistes
Jocelyne Cazin et Gaétan Girouard de TVA versent dans le sensationnalisme et
font preuve de manque de préparation lors de la tribune téléphonique qu’ils
animent, le 22 janvier 1998, sur le thème de la dénonciation des abuseurs
sexuels. Les journalistes sont pris au dépourvu par le problème qu’ils ont
soulevé; ils auraient dû faire appel à des experts qui leur auraient permis de
gérer adéquatement la question.
Faits
La plainte fait
suite à une tribune téléphonique tenue le 22 janvier 1998 sur les ondes de TVA.
L’émission portait sur la dénonciation des abuseurs sexuels. La plaignante
reproche au réseau TVA et à ses journalistes d’avoir manqué de
professionnalisme et d’éthique lors de la diffusion de l’émission.
Griefs du plaignant
Mme Turcotte
reproche aux mis-en-cause d’avoir préféré le sensationnalisme et d’avoir ainsi
négligé de préparer adéquatement leur émission; et également de ne pas avoir eu
la prudence de s’entourer d’experts qui leur auraient permis de gérer
adéquatement la question.
La plaignante
affirme que les journalistes ont été pris au dépourvu par le problème qu’ils
ont soulevé. Ce faisant, ils risquaient de créer un tort considérable aux
femmes aux prises avec cette situation, les décourageant à l’avance de toute
démarche visant à dénoncer leurs agresseurs.
Mme Turcotte
trouve inadmissible que les responsables du réseau TVA et de l’émission J.E.
n’aient pu prévoir le type de réponses que leur question allait générer et
n’aient pas été préparés en conséquence.
Commentaires du mis en cause
Commentaires du
rédacteur en chef délégué de l’émission, Alain Gazaille:
En préambule à
sa réaction, M. Gazaille situe dans son contexte la partie de l’émission
incriminée:
– témoignage de Mme
Sylvie Désilets expliquant ses motifs de dénonciation des actes de pédophilie
de son oncle;
– invitation à
des victimes de pédophilie à répondre à la question: «Regrettez-vous votre
dénonciation tardive?». Une demi-douzaine de témoignages de victimes.
M. Gazaille
ajoute que ces témoignages étaient hautement émotifs et qu’ils furent traités
avec délicatesse et doigté par les deux animateurs de l’émission.
Le rédacteur
affirme que la plaignante accuse TVA de trois choses: – de sensationnalisme; –
de décourager les victimes dans la dénonciation de leur agresseur; – de ne
s’être pas préparé adéquatement à traiter d’une telle question et de ses
conséquences.
Il reprend
chaque élément pour les réfuter, disant d’abord qu’il n’y a pas eu de
sensationnalisme, que la «ligne ouverte» ne s’adressait pas au public en
général mais à des victimes qui avaient un témoignage précis à rendre, dans le
sillage de celui de Mme Désilets.
En ce qui a
trait à l’effet sur les victimes de les décourager à dénoncer, il estime qu’il
s’agit de l’opinion de la plaignante, avec laquelle il est en désaccord,
estimant que la «ligne ouverte» montre les différents aspects de la
problématique. Il affirme ensuite que les deux animateurs n’ont pas été pris au
dépourvu et qu’ils ont invité certaines interlocutrices à faire appel aux
ressources de leur milieu.
Réplique du plaignant
La plaignante
réagit aux commentaires du rédacteur en chef. Elle dit considérer comme peu
respectueuse de la clientèle la position adoptée par M. Gazaille.
Elle précise que
loin d’être dictée par une trop grande émotivité, sa réaction a été mûrement
réfléchie. Elle explique que si elle a choisi de réagir c’est à partir de faits
précis qui ont fait ressortir une certaine faiblesse professionnelle en regard
du sujet traité.
Elle maintient
sa plainte pour négligence, incompétence et pour la légèreté dont Le réseau TVA
aurait fait preuve dans ce dossier.
Analyse
Le thème de la dénonciation d’abus sexuels est un sujet à la fois délicat et complexe.
Les reproches de la plaignante portaient essentiellement sur la négligence dont aurait fait montre les mis-en-cause dans leur préparation d’émission, en ne s’entourant pas d’experts. Par cette «négligence» les journalistes auraient été pris au dépourvu et auraient créé le risque de causer du tort aux femmes aux prises avec cette situation.
Le Conseil a déjà mentionné dans des décisions antérieures, en regard des choix qui se présentent aux journalistes, que l’attention qu’ils décident de porter à un sujet particulier relève de leur jugement rédactionnel, et que le choix de ce sujet et la façon de le traiter leur appartiennent en propre. Et que s’ils doivent donner au public les éléments nécessaires pour éclairer son jugement sur les questions et les événements d’intérêt public, cela n’implique cependant pas qu’ils doivent rendre compte de façon exhaustive de tous les détails concernant ces questions ou ces événements.
Le réseau TVA, comme média d’information, avait pleinement le droit de traiter le sujet avec l’approche journalistique choisie, ce que lui permet sa liberté rédactionnelle.
Le Conseil reconnaît également que le sujet a été abordé et traité avec discernement et délicatesse par les journalistes Jocelyne Cazin et Gaétan Girouard. Leur traitement ne révèle aucun accroc à l’éthique journalistique.
Conséquemment, la plainte de Mme Lucie Turcotte contre Le réseau TVA et ses journalistes Jocelyne Cazin et Gaétan Girouard est rejetée.
Analyse de la décision
- C02A Choix et importance de la couverture