Plaignant
Association
nationale canadienne-japonaise (section Québec); M. Andrew Pywowarczuk
Représentant du plaignant
Mme Christine
Hara (porte-parole, Association nationale canadienne-japonaise (section
Québec))
Mis en cause
Le Journal de
Montréal et M. Franco Nuovo (chroniqueur)
Résumé de la plainte
Durant les Jeux
de Nagano, la photo du chroniqueur Franco Nuovo du Journal de Montréal montre
celui-ci en train de se brider les yeux avec les doigts, alimentant ainsi les
préjugés et le dénigrement des personnes asiatiques. Le chroniqueur fait
référence aux yeux bridés de manière insultante dans des textes publiés les 5
et 10 février 1998.
Faits
Il s’agit de
deux plaintes déposées dans le contexte des Jeux olympiques d’hiver de Nagano
au Japon, concernant une photo et deux textes du chroniqueur Franco Nuovo parus
dans Le Journal de Montréal. Les articles en cause ont paru respectivement les
5 et 10 février 1998.
Griefs du plaignant
Les deux
plaignants reprochent au chroniqueur Franco Nuovo du Journal de Montréal, dans
son article du 5 février 1998:
– la photo du
chroniqueur Nuovo où celui-ci tire ses yeux pour imiter les yeux bridés
d’Asiatiques constitue, pour les plaignants, «une attitude stéréotypée et de
dénigrement des personnes d’origine asiatique».
– la phrase
suivante, jugée tout aussi insultante que la photo: «Je voyais bien cependant
qu’au fond de son oeil torve et néanmoins bridé de fouineur spécialisé, il
était intrigué par mes cigares», décrivant un douanier japonais.
– un humour
inapproprié, ne tenant pas compte des différences culturelles.
Commentaires du mis en cause
La direction du
Journal de Montréal se dit étonnée que les plaignants aient pu voir dans la
photo de M. Nuovo et dans la phrase reprochée «quelque consonance négative que
ce soit envers le peuple japonais». Les dirigeants du journal soulignent à ce
propos qu’ils fréquentent régulièrement un petit restaurant asiatique de
Montréal arborant fièrement le nom de «Les bridés». La direction du média se
demande comment «ce qui pour certains serait une insulte est pour d’autres une
fierté».
Quant à
l’expression «l’oeil torve» utilisée par le chroniqueur, Le Journal de Montréal
signale que celle-ci décrivait simplement l’attitude inquisitrice d’un douanier
japonais et ne visait aucunement les Japonais. La direction du journal s’étonne
enfin que les références et anecdotes positives qui émaillent les nombreuses
chroniques de Franco Nuovo n’ont pas été relevées avec le même empressement par
les plaignants.
Réplique du plaignant
Seule
l’Association nationale de Canadiens d’origine japonaise, section Québec, a
utilisé son droit de réplique.
En réponse aux
commentaires de la direction du Journal de Montréal, l’organisme dit voir dans
la lettre de M. Jean-Denis Lamoureux «un exemple de manipulation de
l’information et de déshonneur aux principes fondamentaux de journalisme
professionnel».
La plaignante
adresse des reproches additionnels à l’encontre du journaliste Franco Nuovo,
relativement aux phrases suivantes parus quelques jours après le dépôt de sa
plainte au Conseil: «Ce qui m’inquiète, c’est qu’il tousse, qu’il morve, mais
surtout qu’il a les yeux qui commencent à brider. Ä ce rythme, bientôt il va se
faire hara-kiri!».
Enfin,
l’Association nationale de Canadiens d’origine japonaise dit estimer que le
Journal de Montréal tente de se faire passer pour une victime dans ce dossier
médiatisé; et elle compare l’humour du journal à celui utilisé par les Nazis
contre les Juifs, de même qu’à celui des mouvements de suprématie blanche
visant à exclure les Noirs de la société.
Analyse
Le Conseil de presse rappelle que la chronique et la critique sont des genres qui tiennent autant de l’éditorial que du commentaire et du reportage d’information. Ces genres journalistiques laissent à leurs auteurs une grande latitude dans l’expression de leurs points de vue et de leurs jugements. Ils permettent aux journalistes qui les pratiquent d’adopter un ton de polémiste pour prendre parti et exprimer leurs critiques, ce qu’ils peuvent faire dans le style qui leur est propre, même par le biais de l’humour et de la satire.
Le Conseil tient à souligner par ailleurs que la latitude reconnue aux chroniqueurs n’est pas sans limite:
Ils doivent éviter tant par le ton que par le vocabulaire qu’ils emploient, de donner aux événements une signification qu’ils n’ont pas ou de laisser planer des malentendus qui risquent de discréditer des personnes ou des groupes.
Compte tenu de ce qui précède, le Conseil de presse ne peut accueillir les plaintes de représentation raciste associées à la photo coiffant la chronique de Franco Nuovo.
En effet, selon le Conseil, la signification du geste du chroniqueur est sujette à interprétation. De toute évidence, les plaignants y voient une insulte à caractère raciste, d’autres, une représentation humoristique dont le goût est discutable. Parce que le Conseil de presse ne saurait faire un procès d’intention à M. Nuovo ou au Journal de Montréal, il estime que les éléments soumis à son analyse ne permettent pas d’établir d’intention malveillante au geste initial du chroniqueur.
Le Conseil doit cependant noter que malgré les protestations immédiates de la communauté canado-japonaise, le Journal de Montréal a fait preuve de désinvolture en choisissant d’ignorer cette sensibilité pourtant clairement exprimée et en publiant, jour après jour, la photo offensante.
Maintenant, pour ce qui est de l’article du 5 février faisant l’objet des plaintes, le Conseil de presse considère que les mots «son oeil torve et néanmoins bridé» sont clairement associés dans le texte à un seul individu et ne représentent pas, dans son contexte, une référence au peuple japonais dans son entier.
Pour ces raisons, le Conseil ne peut accueillir cette plainte qualifiant l’article de «raciste et stéréotypé».
Le Conseil de presse du Québec ne peut toutefois passer sous silence l’insensibilité manifestée par le chroniqueur et son journal face au tollé soulevé jusqu’alors, et qui récidivent le 10 février avec un article où on peut lire d’un collègue malade: «ce qui m’inquiète c’est qu’il tousse, qu’il morve, mais surtout qu’il a les yeux qui commencent à brider. Ä ce rythme, bientôt, il va se faire hara-kiri!».
En présentant la forme des yeux caractéristiques des peuples asiatiques comme la conséquence d’une maladie, M. Nuovo et le Journal de Montréal ont utilisé l’humour d’une façon dénigrante pour une importante partie de la population mondiale. Cette pratique évoque, selon le Conseil, une étroitesse d’esprit condamnable et inexcusable, compte tenu notamment des réactions défavorables qui avaient déjà été exprimées clairement au Journal de Montréal et à son chroniqueur.
Analyse de la décision
- C18C Préjugés/stéréotypes
Date de l’appel
4 June 1998
Appelant
M. Franco Nuovo
(chroniqueur, Le Journal de Montréal)
Décision en appel
Après étude du
dossier, les membres de la Commission accueillent unanimement l’appel de M.
Franco Nuovo.
La décision de
la Commission repose sur la base suivante:
1. Les quelques
phrases reprochées au chroniqueur Franco Nuovo ont été citées hors contexte.
Une lecture exhaustive de la couverture journalistique de M. Nuovo aux Jeux de
Nagano permet de constater que ses chroniques donnent, dans leur ensemble, une
image positive du Japon et du peuple japonais.
2. Les membres
de la Commission n’ont perçu, dans les comparaisons humoristiques de M. Nuovo,
aucune intention d’offenser volontairement la communauté japonaise et canado-japonaise.
3. La latitude
reconnue au genre journalistique de la chronique autorisait son auteur à
recourir à l’humour pour agrémenter ses textes, en conformité et dans le
respect des valeurs culturelles québécoises et canadiennes et du seuil de
tolérance propre à la société nord-amÉricaine.
Analyse de la décision en appel
- C18C Préjugés/stéréotypes
Griefs pour l’appel
M. Nuovo
interjette appel à la décision du Conseil de presse.